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Nos Lecteurs ont la Parole

Entre la protection des communautés et celle de l’État

Par Robert FADEL
La proposition de loi électorale soumise par quelques membres de la communauté orthodoxe, réunis dans le « Rassemblement orthodoxe », peut susciter la perplexité tant elle semble être en rupture avec les positions historiques traditionnelles de cette communauté, qui s’est toujours distinguée par son ouverture, son refus des identités cloisonnées et de l’enfermement communautaire. Dans cette proposition, les représentants de chaque communauté seraient élus au scrutin proportionnel, mais uniquement par les Libanais de cette communauté.
Cette proposition, qui n’émane ni d’une instance représentative de la communauté orthodoxe ni d’un organe officiel, a reçu néanmoins l’appui de l’ensemble des figures politiques maronites réunies sous l’égide du patriarche. Cette validation doit nous inciter à un sursaut et à une réflexion sur l’état de nos institutions et sur la montée des clivages confessionnels qui dénaturent notre régime et menacent notre pacte national.

Une rupture avec la position traditionnelle des orthodoxes...
 Cette idée me semble être en rupture avec les positions qui ont toujours été celles de la communauté orthodoxe à travers l’histoire, depuis le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, en passant par les heures les plus sombres de la guerre libanaise. Tout au long de leur histoire, les orthodoxes de notre région du monde ont refusé les carcans communautaristes et identitaires, ils ont toujours cherché à transcender les divisions sectaires, à faire émerger des synthèses au service de l’union nationale et de l’intérêt supérieur du Liban. Jamais ils ne se sont demandés à propos de telle ou telle proposition : « Est-ce que cela est bon pour notre communauté ? », mais uniquement « Est-ce que cela est dans l’intérêt de notre pays? »
Les orthodoxes ont toujours prôné l’ouverture, ont toujours été parmi les premiers à comprendre que leur épanouissement et celui de leurs compatriotes ne pourrait se faire que dans le cadre des institutions étatiques d’un Liban uni et démocratique. Certaines figures emblématiques de la communauté orthodoxe libanaise, comme Ghassan Tuéni, Albert Moukheiber, Fouad Boutros, les évêques Audi et Khodr et, avant eux, le patriarche Hazim, sont devenues les symboles de cette aspiration à l’universalisme et du rejet des sectarismes.
Cette vision leur a permis de garder la tête froide durant les périodes de fièvre, d’emportements et de dérapages. Les Libanais sont aujourd’hui unanimes pour reconnaître le rôle stabilisateur et unificateur qu’ont joué les orthodoxes lorsque tout allait mal. Je souhaite que nous restions fidèles à ce noble héritage et que nous continuions à refuser les fléaux que sont les identitarismes et communautarismes exacerbés.
Or, cette proposition de loi risque de renforcer les extrémismes, de favoriser les surenchères confessionnelles, d’inciter les candidats à mobiliser leurs troupes sur des slogans hostiles aux autres communautés, et elle mettrait donc en danger notre vie en commun et nos intérêts communs.
Je n’ai strictement aucun intérêt personnel à tenir ce genre de propos, bien au contraire. Je suis fier d’être le député d’une région mixte et d’avoir obtenu dans ma circonscription aussi bien une majorité des voix sunnites qu’une majorité des voix chrétiennes et orthodoxes. Je n’ai jamais ressenti, bien au contraire, le besoin de renoncer à mon identité du fait d’avoir été élu par des voix majoritairement d’une autre communauté que la mienne. J’ai même le sentiment d’être un des rares hommes politiques qui ont véritablement dépassé les clivages confessionnels sans pour autant renier mon attachement à la communauté à laquelle j’appartiens.

...qui s’explique par la déliquescence de l’État et par les dérives des institutions
 Cela dit, il est nécessaire de nous poser la question suivante : comment en est-on arrivé là ? Si cette proposition du Rassemblement orthodoxe a pu voir le jour, si elle a été considérée comme « adéquate » par les principaux leaders maronites, c’est que nous vivons depuis plusieurs années dans un système politique devenu fou, que l’accord de Taëf a été vidé de sa substance et dénaturé, qu’il a exacerbé les clivages confessionnels au lieu de les résorber et que l’État n’est pas parvenu à imposer son autorité aux communautés qui le forment.
Notre système politique a en effet progressivement muté vers un système de fédéralisme communautaire qui ne dit pas son nom, en raison des rivalités entre les communautés, du refus des leaders communautaires de renoncer à leur droit de veto sur les institutions et de la résurgence des tensions confessionnelles à l’échelle régionale.
Nous n’avons voulu ni appliquer correctement les différentes clauses de l’accord de Taëf ni le modifier pour échapper à certains de ses écueils alors qu’il aurait fallu faire les deux. Nous nous retrouvons dans une situation dans laquelle les institutions ne sont plus que des coquilles vides et l’État impuissant. Dans ce contexte, comment s’étonner lorsque certaines parties, notamment les chrétiens, qui ne disposent ni d’armes comme les chiites ni d’une profondeur stratégique régionale comme les sunnites, en viennent à développer des propositions de cette sorte ?
Il est tout à fait légitime de critiquer cette proposition de loi, mais comment ne pas voir que nous n’en serions pas arrivés là si nous avions mis en place les réformes nécessaires de la loi électorale et enclenché la construction d’un État fort et impartial, au-delà de toutes les communautés et garantissant les droits politiques, économiques et sociaux de toute la population ?
Nous avons choisi, semble-t-il, de renoncer à l’édification de l’ État, d’accepter la toute-puissance des communautés, et nous en récoltons donc aujourd’hui la conséquence. Cette proposition de loi n’est que le symptôme d’un corps politique malade depuis plusieurs années.
La responsabilité de cet état de fait est collective et chaque communauté a eu ses égarements si bien que chacun doit aujourd’hui commencer par faire son autocritique.

L’heure du choix
Le Liban est aujourd’hui à la croisée des chemins et nous devons choisir clairement entre deux options :
Soit, ce que je souhaite, nous décidons de rompre le processus de confessionnalisation à outrance des institutions en acceptant simultanément d’appliquer ce qui reste de l’accord de Taëf et d’en corriger les écueils. Ce faisant, notre classe politique et les leaders des communautés accepteraient de construire un État fort et impartial, capable d’imposer à tous son autorité et d’offrir à chacun les garanties nécessaires. Cette décision de renforcer l’État impliquera la recherche de nouvelles propositions qui permettent une meilleure représentativité de toutes les composantes de notre société, mais sans aller aussi loin que la proposition du Rassemblement orthodoxe.
Soit, au contraire, nous continuons de renforcer les communautés, de les conforter dans leurs peurs et leurs hantises, et d’importer les conflits régionaux. Dans cette logique, nous irions, au meilleur des cas, vers l’institutionnalisation d’un système de fédéralisme communautaire et, au pire, vers un chaos organisé. Sans le dire ouvertement, le Liban a semblé avoir fait ce deuxième choix au cours des années écoulées. Dans ce contexte de renforcement des communautés, la proposition du Rassemblement orthodoxe apparaît plus compréhensible, même si elle se démarque de l’héritage de notre communauté. Elle annoncerait tristement le ralliement des derniers sages au processus de dénaturation de nos institutions.

Robert FADEL
Député de Tripoli
La proposition de loi électorale soumise par quelques membres de la communauté orthodoxe, réunis dans le « Rassemblement orthodoxe », peut susciter la perplexité tant elle semble être en rupture avec les positions historiques traditionnelles de cette communauté, qui s’est toujours distinguée par son ouverture, son refus des identités cloisonnées et de l’enfermement...

commentaires (6)

suite... J'avais dit que j'approuvais sans réserve les dires du Député Robert Fadel sans avoir dit les SI... On m'avait coupé urgemment pour une affaire. J'ai dû quitter vite. Je suis revenu à la maison, et j'ai continué mon idée. Superbe tout ce que dit le Député. Il manquait tant de Si...SI...SI... Anastase Tsiris

Anastase Tsiris

08 h 17, le 23 décembre 2011

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Commentaires (6)

  • suite... J'avais dit que j'approuvais sans réserve les dires du Député Robert Fadel sans avoir dit les SI... On m'avait coupé urgemment pour une affaire. J'ai dû quitter vite. Je suis revenu à la maison, et j'ai continué mon idée. Superbe tout ce que dit le Député. Il manquait tant de Si...SI...SI... Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    08 h 17, le 23 décembre 2011

  • Je suis obligé de revenir sur cette question soulevé par le Député de Tripoli Monsieur Robert Fadel, que j'appui complètement... SI... les mentalités confessionnelles auraient changées et SI.. toutes les communautés, sans exception aucune, auraient accepté la laïcité comme modèle politique et civil, et SI... toutes les communautés rendaient leurs armes à l'Armée Libanaise, et SI... et SI... il y en a beaucoup de SI.. Cher Député. Or, il en est rien de tout cela au Liban. Le confessionnalisme est ancré dans les esprits, qu'on le désire ou pas. Comme Vous, la plupart des Députés Chrétiens sont élus avec les voix des autres communautés. Dites-moi, s.v.p. représentez-vous les Orthodoxes de Tripoli ? Bien sûr que non. Même pas les Tripolitains. Vous représentez le camp communautaire qui vous a élu seulement. Vous représentez les Orthodoxes, autant que les Députés du CPL représentent les Maronites. Donc, excusez de nouveau, je suis pour le projet Grec Orthodoxe de Monsieur Ferzli, car je sais, qu'alors, le Député Orthodoxe, que j'élirais, me représenterait, à moi, et non l'autre. Ceux qui le dénigrent sont ceux qui dépendent des voix des autres pour accéder à leur poste. Encore une fois : Excusez... Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    08 h 11, le 23 décembre 2011

  • Je m'excuse au Député Orthodoxe de Tripoli, Monsieur Robert Fadel, car en lisant les premières lignes de son juste analyse, il semble qu'une ligne avait sauté de mes yeux et j'ai compris le contraire de ce qu'il disait. Je retire complètement mon commentaire, et j'approuve, sans réserve aucune, tout ce qu'il dit. Encore une fois, je m'excuse au Député Robert Fadel. Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    04 h 09, le 23 décembre 2011

  • J'use de cette rubrique pour souhaiter à tous à l'Orient-Le-Jour, Directeurs, Rédacteurs, Journalistes, Employés, spécialement à l'équipe des Modérateurs(trices) du Web, et à tous les Internautes Ami(e)s, sans exception aucune, un Joyeux Noël et une bonne année 2012 pleine de bonheur et de prospérité. Puisse la nouvelle année apporter le Dialogue, l'Entente et l'Unité, ainsi que la Paix, et la concorde des Âmes et des Esprits, dans UN LIBAN UNI, pays de tous ses Enfants. Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    03 h 53, le 23 décembre 2011

  • Bravo Monsieur le Député, tout cela est bien pensé et bien dit. Plaise à Dieu que le Parlement puisse enfin nous offrir plus souvent et sur d'autres sujets aussi importants que celui-ci, des réflexions intelligentes, nuancées, courageuses et surtout aussi matures que la vôtre...!

    Salim Dahdah

    03 h 15, le 23 décembre 2011

  • Le bon Monsieur Fadel, divague un peu en décrivant les Orthodoxes comme une communauté qui était fermée sur elle-même, à moins que l'erreur s'est échappée d'elle même de sa plume. D'un autre côté, il est vrai que les Orthodoxes, la plupart originaires du Sandjak d'Iskenderun, ex Syrie, de la Syrie elle-même, et du Sud de l'Asie Mineure, syrianisée avant l'avènement des Mongoles, ( tout comme les Maronites, populace de l'Asie Moneure, appellée Maronite, bien avant Saint Maron, voir l'histoire ) ont toujours été d'esprit ouvert et prônaient la grande Syrie. Dans le contexte du confessionnalisme qui prévaut au Liban, imbu dans les esprits et les moeurs, le risque de se trouver soudain dans une théocratie Fakihiste des uns, ou Salafiste des autres, force est de devenir réaliste. D'où la juste proposition que chaque communauté élise ses propres représentants. Je dirai plus : Des cantons avec gouvernement central pour garder le pays UNI. Le Liban est si petit pour être divisé en Etats indépendants. Et si grand pour qu'une communauté l'accapare, à elle seule. Réalité exige ! Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    02 h 33, le 23 décembre 2011

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