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Devoir d’ingérence...

Le retrait il y a quelques jours de la dernière unité de l’armée américaine d’Irak, au terme de près de neuf ans de présence militaire, fournit l’occasion de remettre sur le tapis un problème de fond qui entretient de manière épisodique un large débat parmi les politologues et analystes, à savoir le droit d’ingérence : un pays tiers peut-il, ou plutôt doit-il, intervenir – politiquement ou même militairement – dans les affaires d’un autre pays lorsque la sécurité de la population civile y est sérieusement menacée par le pouvoir en place et lorsque de graves atteintes aux droits de l’homme y sont signalées ?
Intellectuels, journalistes et universitaires peuvent ergoter longtemps sur ce plan, à coups de moult arguments et contre-arguments. Mais parfois les faits parlent d’eux-mêmes et sont suffisamment éloquents en la matière. Dans le cas spécifique de l’Irak, à titre d’exemple, force est de reconnaître que sans l’intervention des troupes américaines et britanniques, enclenchée le 20 mars 2003 dans le cadre de l’opération « Liberté pour l’Irak », Saddam Hussein ou l’un de ses fils serait aujourd’hui en toute vraisemblance toujours au pouvoir. Est-il besoin de rappeler ce que le régime du dictateur irakien signifiait en termes de comportement autocratique, de répression sanglante, de massacres et d’atteintes sauvages aux libertés publiques et individuelles les plus élémentaires ?
Certes, cette intervention américano-britannique a provoqué, au fil des ans, des dizaines de milliers de morts au sein de la population civile (le bilan varie fortement selon les sources). Les attentats terroristes meurtriers se sont multipliés, visant chacune des principales communautés du pays. La boîte de Pandore confessionnelle a été grandement ouverte et la mise en place d’un nouvel équilibre politico-communautaire se fait, jusqu’à présent, dans des conditions particulièrement dangereuses et pénibles. Mais fallait-il pour autant maintenir en place une tyrannie implacable et sanguinaire qui figeait l’Irak pendant de longues décennies dans une situation condamnant les Irakiens à demeurer otages d’un clan familial et mafieux sans foi ni loi ? Lorsqu’une personne malade souffre de maux chroniques et de sérieux dysfonctionnements de son organisme qui ne peuvent être traités que par une intervention chirurgicale, faut-il s’opposer à l’opération sous prétexte qu’elle entraîne des risques, des souffrances, des hémorragies et des effets secondaires ?
D’aucuns, affichant un cynisme outrageant doublé d’une mauvaise foi répugnante, contestent dans ce cadre le principe même d’une « intervention étrangère » et se plaisent à prôner plutôt un « dialogue interne » pour trouver une issue à la crise née des soulèvements populaires. Tel est le cas principalement, à titre d’exemple, de la Russie qui n’a cessé au cours des derniers mois de faire obstruction à toute attitude internationale ferme à l’égard du régime syrien, allant même jusqu’à afficher son opposition aux sanctions prises par les instances arabes et occidentales contre le pouvoir baassiste. Or, sous couvert du rejet du principe du « droit d’ingérence », une telle ligne de conduite russe rend Moscou coupable non seulement de non-assistance à personne en danger, mais surtout de complicité de meurtre. Cette conduite russe et ce refus de toute « ingérence » permettent en effet aux unités « régulières » et aux « chabbiha » de Bachar el-Assad de poursuivre impunément leur répression au quotidien et leurs massacres systématiques dans les localités périphériques syriennes, faisant régulièrement entre une vingtaine et une trentaine de tués civils chaque jour... Car force est de relever que tant qu’il n’est pas lui-même mis au pas sous l’effet d’une quelconque intervention étrangère, le régime en place sur les bords du Barada n’a absolument aucun scrupule à aller de l’avant, indéfiniment, dans son entreprise funeste de répression sanglante, sans sourciller un instant sur le bilan des victimes civiles.
Comble du cynisme, ce recours à la logique du « tout sécuritaire » est justifié par une prétendue volonté d’éviter le chaos, l’engrenage de la déstabilisation chronique et le risque de la montée en puissance des courants extrémistes. Autant dire que l’on opte, pour écarter un tel spectre, pour le maintien de pouvoirs tyranniques, mafieux et claniques qui figent les sociétés dont ils prétendent être en charge dans un obscurantisme moyenâgeux. Admettre une telle logique revient à dire, par exemple, que la Révolution française ou même la guerre de Sécession n’auraient pas dû avoir lieu. L’histoire des pays les plus développés est en effet riche en exemples de révolutions, d’insurrections ou même de guerres qui ont fait évoluer la conjoncture du moment vers davantage de démocratie, de respect des libertés publiques et de bien-être social, mais qui ont été immanquablement accompagnées, avant d’atteindre cet état d’équilibre, de longues périodes d’instabilité, de violentes luttes intestines et parfois de chaos généralisé.
Dans une perspective historique, c’est le résultat final qui importe, et c’est donc sur base d’une vision à long terme qu’il faut juger les bouleversements qui modifient la marche de l’histoire. Cela s’applique, on l’aura deviné, au cas particulier du printemps arabe, plus spécifiquement – pour l’heure – aux situations actuelles de l’Égypte, de la Tunisie, de la Libye, du Yémen et de la Syrie.
Certes, dans tous ces pays les soulèvements populaires entraînent une montée en flèche des courants islamistes, ce qui ravive de profondes appréhensions exprimées dans divers milieux aussi bien locaux qu’au plan régional. À l’évidence, les dangers de l’émergence de nouveaux régimes extrémistes, qui risqueraient d’être tout aussi totalitaires que les dirigeants évincés du pouvoir, sont réels et nullement négligeables. Mais il faut aussi reconnaître que ces courants extrémistes tirent aujourd’hui les dividendes d’une répression systématique orchestrée contre eux quarante ans durant par les dictatures militaires au nom de la lutte contre l’islamisme, ce qui constitue un facteur de légitimation sur le mode victimaire, considérable aux yeux du peuple – on en sait d’ailleurs quelque chose au Liban. En outre, les courants islamistes tablent sur la division, la dispersion et la mollesse du courant démocrate-libéral, qui, à l’échelle du monde arabe tout entier, a encore du mal à sortir de sa léthargie, à prendre conscience des enjeux de la bataille à venir et à s’organiser lui aussi.
Il reste à savoir combien de temps « l’âge d’or » des islamistes durera, une fois investis de responsabilités réelles, celles de diriger un État au plan politique, économique et social. Car l’aboutissement immédiat des soulèvements populaires ne constitue nullement dans les pays concernés une fin quelconque de l’histoire. Mais bien au contraire un ferme coup de pied dans la fourmilière, qui a enclenché une dynamique historique et sociopolitique nouvelle permettant de sortir le monde arabe de l’état de léthargie dans lequel il était enfermé depuis des décennies. Or qui dit dynamique dit espoir, au moins, en des jours meilleurs. Un espoir que ne cessaient de balayer d’un coup de main les clans sectaires et familiaux qui s’accrochaient ou qui continuent de s’accrocher désespérément au pouvoir en feignant d’oublier que nous sommes déjà, il faut l’admettre, au vingt et unième siècle. Et non pas au Moyen Âge...
Le retrait il y a quelques jours de la dernière unité de l’armée américaine d’Irak, au terme de près de neuf ans de présence militaire, fournit l’occasion de remettre sur le tapis un problème de fond qui entretient de manière épisodique un large débat parmi les politologues et analystes, à savoir le droit d’ingérence : un pays tiers peut-il, ou plutôt doit-il, intervenir –...
commentaires (7)

La question de droit ne se pose même pas, nous sommes tous conscients que les ingérences et interventions militaires étrangères n'ont lieu que par intérêt et en fonction de la puissance de la cible, et ce en s'octroyant tous les droits, qu'ils existent ou pas. Cet article n'est qu'un constat de la réalité, on tourne un peu autour du pot et les questions posées restent ouvertes étant sans cesse reformulées sans y trouver de réponses.

Robert Malek

06 h 27, le 20 décembre 2011

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Commentaires (7)

  • La question de droit ne se pose même pas, nous sommes tous conscients que les ingérences et interventions militaires étrangères n'ont lieu que par intérêt et en fonction de la puissance de la cible, et ce en s'octroyant tous les droits, qu'ils existent ou pas. Cet article n'est qu'un constat de la réalité, on tourne un peu autour du pot et les questions posées restent ouvertes étant sans cesse reformulées sans y trouver de réponses.

    Robert Malek

    06 h 27, le 20 décembre 2011

  • SUPER BRAVO pour votre article cependant idéaliste. Les fanatiques, islamistes et autres...Voyons voir comment ils vont s'en sortir...Facile de s'opposer mais pas évident de diriger. En revanche sur le concept d'ingérence en irak ou ailleurs: Je ne suis pas d'accord sur l'ingérence US en Irak vu les dégats causés notamment aux chrétiens d'irak. Les vrais irakiens installés bien avant les autres communautés d'irak. Le concept d'ingérence se déroule sur quel critère?? On intervient au Koweit parce qu'ils ont du pétrole?? ( sous pretexte de la liberté des koweitiens?) et en même temps, on distribue les armes pour qu'une guerre ait lieu au Liban des années durant?? Puis on autorise une armée syrienne à envahir le Liban sous pretexte de pacifier le Liban??? Un devoir d'ingérence doit se faire sur des bases claires et équitables. Ce qui se passe se fait sur la base d'intérêts US et jamais au profit des peuples victimes. Même le peuple des USA est victime du système puisqu'ils envoient leurs boys se faire tuer pour une cause US inexistante ...Juste une question de fric.

    ALI CHAHINE

    06 h 09, le 20 décembre 2011

  • Ce genre d'article est dangeureux, je parle de l'article et pas de l'auteur de cet article qui pourrait être dans le fond bien intentionné. Qui donne ou se donne le droit ou le devoir d'ingérence ? est ce qu'un état lamda peut décider d'attaquer son voisin parce qu'il juge que la population de cet état est massacrée ? n'importe quel état ? On voit toujours les mêmes états attaquer selon leur bon vouloir, au moment où cela leur semble bon de le faire, Saddam quand il avait agressé l'Iran avec les 2 millions de morts provoqués, et qu'en même temps il massacrait sa population kurde et chiite, le question de le dégommer ne se posait pas, c'est quand il s'en est pris au Koweit que les décideurs de s'ingérer se sont donnés ce droit messianique à le rayer de leurs propres agendas. Khaddafi aussi, 42 ans plus tard on décide de l'écarter, parce qu'il avait livré toutes ses armes et tous ses secrêts ! On se permet de faire des amalgames entre un complot contre la Syrie et une révolution qui ne convainc que les va t en guerre étrangers ! Tiens si on a envi d'intervenir, pourquoi la Corée du Nord diabolisée n'est pas inquiétée ? Ils expérimentent bien des missiles nucléaires au nez et à la barbe du monde "civilisé".Arrétons un peu de prendre les gens pour des tarés de naissance, le seule et unique raison de s'ingérer par ces neo colonialistes s'est selon que le pays visé est suffisemment faible ou pas.

    Jaber Kamel

    05 h 51, le 20 décembre 2011

  • Intervention étrangère toujours ce complexe de supériorité des grandes puissances qui finit en queue de poisson pour des Arabes qui par leur culture resteront attachés au culte du Moyen Âge... Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    05 h 48, le 20 décembre 2011

  • Je ne suis pas de votre avis M. Touma. D'abord, les Etats-Unis n'ont pas fait la guerre en Irak pour exporter leur democratie comme l'a dit si hypocritement et avec culot M. Bush, ni pour mettre fin aux armes de destruction massive. Leur but etait de diviser le pays comme ils l'ont fait avec tous les attentats terroristes qui ont eu lieu et qui n'ont pas encore cesse. De plus et en ce qui concerne l'ingerence etrangere, tout est relatif: Saddam Hussein etait certainement un tyran mais la situtation actuelle n'est pas meilleure. Dans chaque pays, il y a une opposition et les Etats-Unis ont encourage cette opposition a se soulerver dans les pays arabes afin de demanteler tous les pays de la region. En conclusion, aucun pays ne vient au secours "des populations opprimees" s'il n'a pas interet a le faire...

    Michele Aoun

    04 h 39, le 20 décembre 2011

  • c'est un article REVOLTANT qui insulte purement et simplement la morale humaine mais nous sommes désormais habitués, messieurs Touma et Nasr! - NON ET MILLE NON (à la libanaise) aux guerres préventives et au droit (mais de quel droit!?) d'ingérence si cher à G.W. Bush, à Bernard Couchner et au Philosophe B.H. Levy (Régalez-vous cher connaisseurs de ces personnages). Quand le D. (je n'ose plus prononcer le mot dans ce contexte) d'ingérence se fait par le biais d'actions militaires pour nourrir des enfants faméliques, ça s'appelle une GUERRE D'INVASION ET D'OCCUPATION qui se fait généralement pour s'accaparer des richesses de ses "pauvres" enfants ou pour des raisons politico-stratégiques. Si messieurs les moralistes sans morale en occident veulent vraiment aider les pauvres et les indigents, il y a la moitié de la planète qui attend votre aide "sans aucune ingérence" et non pas de vos armes que vous vendez aux factions belligérants pour s'entretuer pendant que, tels des moustiques, vous sucez leurs richesses.

    Ali Farhat

    03 h 12, le 20 décembre 2011

  • - - Très bel article qui vole au secours de Burhan Ghalioun , qui semble avoir perdu pour de bon , la bataille de coup d'état , qu'il a entrepris depuis 10 mois avec ses alliés et amis et toutes leurs forces " redoutables " bien préparées , qu'elles soient financières , logistiques , militaires et surtout , médiatiques !! contre le régime et le pouvoir de Bachar . Comme vous dites , le dernier soldat US est parti d'Irak , la voie est libre maintenant aux alliés et nouveaux " maîtres " de l'Irak , qui se trouvent avec des frontières directes avec , la Syrie , la Jordanie ,,,,, jusqu'au Liban et même au delà si vous le souhaitez ! Bachar a gagné contre les intégristes et c'est bien comme ça , réjouissons-nous de cette victoire au Liban , qui éloigne le spectre de la guerre civile et de religions , que nous avons connu et disons : never again .

    JABBOUR André

    00 h 14, le 20 décembre 2011

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