Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

I.- Le contexte institutionnel et matériel du financement du TSL (1)

Pr Fady FADEL et Pr Cynthia EID
Les financements des tribunaux internationaux ou à caractère international ont toujours fait l’objet de constats problématiques et d’insuffisance, tant de la part des États contributeurs ou de la communauté internationale que des responsables mêmes de ces instances.
À la différence des tribunaux nationaux, où le ministère de la Justice se charge des affaires administratives, logistiques et budgétaires, les tribunaux ad hoc doivent prendre en charge eux-mêmes le suivi de ces affaires. Tantôt c’est le président ou le procureur, tantôt c’est le greffier, et récemment il s’agit de comités de gestion composés des États contributeurs tels le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) et le Tribunal spécial pour le Liban (TSL).
Or, même au niveau des tribunaux ad hoc, on a deux catégories : d’une part, les tribunaux ad hoc internationaux tels le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), et d’autre part, les tribunaux spéciaux à caractère international, comme le TSSL, celui du Kosovo, celui du Timor-Oriental, les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (ECCC) et tout récemment celui du Liban, le TSL.
Dans la première catégorie, le TPIY et le TPIR sont des organes subsidiaires du Conseil de sécurité (CS) des Nations unies, et par conséquent, ils sont financés par l’ONU à travers le budget adopté par l’Assemblée générale de l’ONU. Or, même dans ce cas de figure, à plusieurs reprises, des membres permanents du CS, notamment la Russie, ont haussé le ton au niveau du financement du TPIY ou du TPIR et ont appelé à davantage d’économie de moyens.
Dans la catégorie des tribunaux spéciaux hybrides, dont le TSL fait partie, il n’y a pas un modèle unique. C’est pourquoi il convient d’examiner en première partie la situation de financement de ces tribunaux hybrides (I) avant de nous pencher sur le cas du TSL (II).

I. Le financement des tribunaux hybrides à caractère international
En parlant de situation unique concernant le TSL, on souhaite rappeler les cas des autres tribunaux hybrides, du Timor-Oriental jusqu’à la Sierra Leone.
Comme l’a noté le juriste Téo Blackburn, « chaque système hybride a une structure de financement distincte ».(2)
D’abord, le Kosovo et le SPDC (Timor-Oriental) sont financés principalement – dans le cas du Special Panels of the Dili District Court (SPDC), entièrement – par les budgets de leur mission respective.
Au Kosovo par exemple, la Mission des Nations unies au Kossovo (Unmik) a financé de son budget des travaux du tribunal spécial, le gouvernement du Kosovo a financé les jurys internationaux, tandis que les salaires des juges internationaux et des procureurs ont été payés par l’ONU.
Ensuite, le gouvernement cambodgien a financé tous les coûts nationaux associés aux chambres extraordinaires excluant les coûts de personnel étranger, qui est la responsabilité de l’ONU. De plus, les chambres extraordinaires peuvent recevoir le financement supplémentaire de contributions volontaires privées, comme ce fut le cas de la contribution de Bill et Melinda Gates.
Enfin, le TSSL et le TSL sont, tous les deux, des juridictions qui ont des structures de financement basées sur le financement indépendant augmenté de contributions volontaires d’États. Dans les deux cas, un comité de gestion, compris des donateurs principaux du tribunal, contrôle le budget et fournit la direction de politique, tandis que l’ONU assume des fonctions administratives.
Or, comme le note Josha Perell, « le financement adéquat fourni pour des tribunaux hybrides est potentiellement problématique tant comme une question de ressources rares que comme une menace à l’indépendance juridique ».(3)
Les gouvernements sont normalement tenus de financer des tribunaux et de payer les juges. Si des tribunaux hybrides doivent dépendre du financement national, alors leur indépendance pourrait être compromise par l’interférence politique. Un régime gouvernemental ou un nouveau régime transitoire peut exploiter le contrôle budgétaire du tribunal hybride pour un but politique ou un objectif politique qui est complètement sans rapport avec les buts de la justice transitoire.
Suzanne Katzenstein décrit ce piège potentiel comme « les contraintes de politique intérieure ». Par exemple, dans le cas du Timor-Oriental, le nouveau régime a essayé d’utiliser le tribunal pour mettre en place le portugais comme la langue officielle du nouvel État indépendant, malgré le fait que moins de 5 % de la population parle le portugais.(4)
Dans le cas du TSSL où se trouvent uniquement des contributions volontaires internationales, M. Antonio Cassese, dans son rapport en date du 12 décembre 2006, comme expert indépendant, note que les contributions volontaires des États constituent une insécurité dans le fonctionnement de cette instance.
M. Cassese note que « (...) The Court (SCSL) was conceived as a new type of judicial body, designed to avoid the pitfalls of two ad hoc international criminal tribunals (ICTY & ICTR) and therefore to dispense justice expeditiously, in a cost-effective manner and with a direct impact on the population amongst which crimes had been perpetrated. The intent was laudable but the funding was flawed. The Court’s finances were premised on voluntary contributions that have proven to be parsimonious, uncertain, and precarious. Donor States have been late in providing monetary contributions. The Management Committee has not clarified from the outset whether the fund-raising tasks were to be discharged by the Committee or by the Court’s Registrar. This basic insecurity coupled with the declared intent to operate on a very tight budget has impeded financial planning and affected every aspect of the Special Court’s operations. »(5)
En résumé, ce qui ressort du financement des tribunaux spéciaux hybrides, qui ne jouissent pas de financement assuré d’une ou de plusieurs ressource(s) précise(s), c’est que leur situation financière est extrêmement précaire. Ceci a des retombées sur leur fonctionnement et sur le choix des accusés, de telle façon qu’ils sont appelés à juger les responsables majeurs des crimes perpétrés et de transférer le cas des autres accusés aux tribunaux nationaux.
Dans ce contexte, qu’en est-il du cas du TSL ?

(À suivre)

Pr Fady FADEL
Pr Cynthia EID

1) Extraits d’une conférence donnée au colloque sur le TSL à l’hôtel al-Bustan, sur invitation du Comité scientifique pour la diffusion de la culture juridique dans le monde arabe, le 12 novembre 2011.
2) http ://sites.google.com/site/internationalcriminallaw/Home/26-hybridity-the-best-of-both-worlds
consulté le 1-11-2011
3) Ibid.
4) Suzanne Katzenstein, « Hybrid Tribunals : Searching for Justice in East Timor » (2003) 16 Harvard Human Rights Journal, p. 252
5) « Report on the Special Court for Sierra Leone Submitted by the Independent Expert Antonio Cassese », paragraphe 293
Les financements des tribunaux internationaux ou à caractère international ont toujours fait l’objet de constats problématiques et d’insuffisance, tant de la part des États contributeurs ou de la communauté internationale que des responsables mêmes de ces instances.À la différence des tribunaux nationaux, où le ministère de la Justice se charge des affaires...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut