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Automnes

Cela faisait vraiment longtemps qu’on n’avait pas vu ça, cette foule au coude à coude, hétéroclite, polyglotte, en goguette à Beyrouth pour l’Adha. Sans illusions, mais sans bouder son plaisir, on calcule que les touristes et autres expats du Golfe, n’ayant pas d’assez longues vacances pour partir plus loin, se sont rabattus sur le dernier pays relativement fréquentable de la région. Pour le plus grand bonheur des Libanais qui renouent à l’occasion avec une fierté oubliée : malgré la grande précarité géopolitique, malgré une gouvernance bancale et souvent corrompue, malgré la lente destruction du patrimoine et de l’environnement, malgré les embouteillages épouvantables, il fait bon, oui vraiment bon, vivre au Liban. Dans le commerce on se frotte les mains. Les ventes ont rebondi et ce n’est pas encore Noël. Ça va détendre tout le monde. C’était l’info de la semaine. À côté de ça, les conséquences de la crise grecque, la retraite anticipée de Berlusconi, l’annonce par les USA qu’ils n’ont jamais communiqué avec des extraterrestres, et même les tweets trop cools de Saad Hariri... roupie de sansonnet.
Pourtant, il y a mieux à évoquer sur ce mois de novembre qui démarre en frimas légers, en flamboiements dans les platanes, en lune ronde sur le silence de la montagne. Certains sont restés là-bas, n’ayant plus rien à faire en ville. On a pris sa retraite, de l’école publique ou des postes. Les enfants ont voyagé, de temps en temps ils appellent. La pharmacie ouvre en fin de semaine. Le boucher « égorge » encore le dimanche. Il y a aussi un épicier qui n’a pas envie de plier bagages. Un docteur, pas loin. On a cueilli les noix vertes, à force d’en écaler on aura les doigts noirs jusqu’à la fin de l’hiver. On trouve déjà des marrons. On a fait le plein de charbon et de petit bois pour le poêle. Les mains s’engourdissent déjà, mais on ne porte jamais de gants, la peau est faite. On boit du thé en vrac, on laisse au fond des tasses les brins noirs ramollis entourés d’encre rousse. Tout à l’heure, on marchera jusqu’à l’église. Si le curé n’a pas pu monter, il n’y aura pas messe. On dira le chapelet dans le noir devant la statue de la Vierge, voile de plâtre ciel et couronne de loupiotes. L’électricité est déjà coupée. Les femmes portent le cardigan jeté sur l’épaule. Ça leur fait quatre bras, elles qui n’ont jamais assez de deux. Parfois elles attachent le bouton du haut, ça leur évite de rajuster. La route sent la sauge et un reste de thym. La sauge aime quand il fait humide. Les pins aussi, qui déchirent la brume à leurs aiguilles, avidement. Ça sent la terre, le soir, une odeur oubliée qui remonte quand tout est calme, ça sent un infini repos. On a déjà faim. On va rentrer. Quelqu’un viendra, un voisin résiduel, il y aura de la soupe. On parlera peu. Sur ce velours sonore, le ronronnement du chat, le crépitement des flammes, et au loin, un chien qui aboie.
Cela faisait vraiment longtemps qu’on n’avait pas vu ça, cette foule au coude à coude, hétéroclite, polyglotte, en goguette à Beyrouth pour l’Adha. Sans illusions, mais sans bouder son plaisir, on calcule que les touristes et autres expats du Golfe, n’ayant pas d’assez longues vacances pour partir plus loin, se sont rabattus sur le dernier pays relativement fréquentable de la...
commentaires (4)

Game over...c'est fini tout çà...restent les souvenirs...et la honte de ne pas avoir su préserver ce patrimoine pour nos enfants...money honey...et ce n'est pas que de la faute des autres ...la mégalomanie des libanais a largement participé à la destruction des sites libanais...toujours plus grand,toujours plus haut ,toujours plus de béton,toujours plus de silicone...tout çà va ensemble.Nous ressemblons à la grenouille,celle qui a voulu se faire aussi grosse que le boeuf!

GEDEON Christian

11 h 01, le 10 novembre 2011

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Commentaires (4)

  • Game over...c'est fini tout çà...restent les souvenirs...et la honte de ne pas avoir su préserver ce patrimoine pour nos enfants...money honey...et ce n'est pas que de la faute des autres ...la mégalomanie des libanais a largement participé à la destruction des sites libanais...toujours plus grand,toujours plus haut ,toujours plus de béton,toujours plus de silicone...tout çà va ensemble.Nous ressemblons à la grenouille,celle qui a voulu se faire aussi grosse que le boeuf!

    GEDEON Christian

    11 h 01, le 10 novembre 2011

  • Belle fresque nostalgique Fifi pour un Liban ou malheureusement tout se concentre dans la capitale et banlieues qui étouffent de pollution et d' une panoplie de sons divers ,alors que les habiants des villages jouissent toujours de ce calme et d 'une vie toujours sereine . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    05 h 16, le 10 novembre 2011

  • Superbe tableau poetique de fragments d'une vie simple et ordinaire en automne dans notre cher Liban. Il ne manque que la fameuse chanson de Feyrouz en background "rejeet el chatwiyeh" (l'hiver est de retour)...

    Michele Aoun

    02 h 50, le 10 novembre 2011

  • Madame Fifi Abou Dib je vous sacre poétesse. Quelle ingénieuse description ! quels superbes détails ! En vous lisant, je me suis senti vivre toute cette réelle beauté que vous peignez avec tant de délicatesse. Si le Liban pouvait rester pour toujours comme vous le décrivez. Qu'il y ferait bon de vivre, comme dans les pas très vieux beaux temps. Le Liban que nous connaissions si bien. Le Liban que nous avions vécu. Le Liban que nous aimons. J'en rêve encore. Hélas ! je vois des nuages zébrer le ciel, l'appréhension noircir les coeurs, le doute et la crainte se répandre dans les forêts de sapins et de pins, les nobles cèdres frémir dans la montagne, et la belle montagne triste encore. Je n'entends ni le merle chanter ni le berger jouer de sa flûte le matin. Que Dieu fasse tout revenir comme c'était avant. Le Liban. Notre Liban que nous aimons tant. Que Dieu éclaire les âmes et les esprits. Nous voulons, NOTRE LIBAN ! pas un autre Liban ! Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    02 h 00, le 10 novembre 2011

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