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Quand se promène la faouda


En dépit de l’avantage du nombre, les Arabes ont passé une bonne moitié du siècle dernier à perdre tout un chapelet de guerres face à Israël. Pour expliquer le phénomène, ont été largement invoquées la supériorité technologique et militaire de l’État hébreu et la désorganisation des pays de la Ligue, elle-même due à leurs incessantes luttes intestines.

De guerre lasse, c’est bien le cas de le dire, certains des belligérants arabes, et non de moindres, se résignaient cependant à conclure des accords de paix avec l’ennemi traditionnel. Bien plus tard, leur emboîtaient le pas des royaumes pétroliers arabes n’ayant aucun contentieux territorial avec Israël, mais apparemment prêts à s’allier même avec le diable pour conjurer le péril iranien. Le mois dernier, se concrétisait spectaculairement une aussi impensable coopération stratégique lorsqu’il s’agissait d’intercepter et de détruire les nuées de drones et de missiles lancés par l’Iran contre Israël.

Or la partie est loin d’être jouée pour autant. Car, par un juste retour de bâton (et sans évidemment que les Arabes y aient eu le moindre mérite), c’est à Tel-Aviv qu’a fini par s’installer en maître ce vieux et ravageur virus de la désorganisation, cette faouda guerrière et politique : singulier emménagement pour lequel Benjamin Netanyahu ne saurait être trop remercié. Spécialiste de la guerre éclair et des victoires non moins foudroyantes, accoutumé à expédier en un tournemain plusieurs armées régulières à la fois, Israël peine ainsi, depuis plus de sept mois, pour venir à bout du Hamas palestinien. Il s’acharne à le faire au prix d’effroyables bains de sang dans la bande de Gaza, mais c’est lui-même qu’il a fallu mettre d’urgence sous permanente perfusion américaine de munitions et de dollars. Qu’il s’agisse de l’après-Gaza, de la conduite des opérations militaires et des négociations pour la libération des otages, ou encore des responsabilités dans la confusion sécuritaire notée lors de l’opération palestinienne du 7 octobre dernier, le cabinet de guerre israélien est miné par les divisions.

Mais c’est surtout sur le front diplomatique et celui de l’image qu’Israël n’arrête pas d’essuyer revers sur revers. Il y a quelques jours seulement, trois pays européens clamaient leur reconnaissance d’un État palestinien qui n’a même pas commencé à émerger des limbes. Parallèlement, le procureur de la Cour pénale internationale se proposait de requérir des mandats d’arrêt contre Netanyahu et trois chefs du Hamas. Hier, c’est la Cour internationale de justice qui ordonnait à l’État hébreu d’autoriser l’accès humanitaire à Gaza et d’empêcher tout éventuel acte de génocide. Cette juridiction, la plus haute de l’ONU et qui tranche les conflits entre États, n’a pas été jusqu’à exiger un cessez-le-feu immédiat comme le requérait le plaignant sud-africain ; plusieurs de ses juges ont considéré en effet que dans cette affaire, le Hamas palestinien fait en quelque sorte figure de partie fantôme : d’acteur non étatique, non officiellement reconnu et même largement tenu pour terroriste. En revanche, la Cour a réclamé l’arrêt, non moins immédiat, de l’offensive israélienne à Rafah, comme de toute autre action susceptible d’infliger à la population locale des conditions de vie pouvant entraîner sa destruction, même partielle…

Comme de bien entendu, les ordonnances de la CIJ, bien que théoriquement contraignantes, ont été rejetées sur-le-champ par le principal intéressé. Sans doute verra-t-on aussi l’Amérique s’employer à épargner à son protégé les foudres d’un droit international bien décidé à reconquérir ses lettres de noblesse. Il n’en reste pas moins que le boulet Netanyahu devient chaque jour plus lourd à traîner pour un Joe Biden écartelé qu’il est entre le sacro-saint soutien à l’allié privilégié et la fronde apparue parmi les jeunes cadres de son propre parti. Avec plus de force que jamais, cette question va s’imposer comme un des thèmes majeurs de sa campagne présidentielle, face à un Donald Trump qui a fait cadeau aux Israéliens du Golan et de Jérusalem, et qui se livre maintenant à une surenchère effrénée. Ainsi faut-il interpréter l’invitation faite par les républicains à Netanyahu de s’adresser au Congrès. La dernière fois qu’un tel honneur lui était réservé, c’était en 2015, le leader du Likoud avait défié le président de l’époque Barack Obama à propos de l’accord sur le nucléaire iranien, se gagnant du coup les ovations des élus américains. C’est la même et cuisante humiliation qui guette Biden, même si nombre de représentants démocrates sont résolus à boycotter le surréel évènement.

Controversé chez lui, Bibi en vient à diviser profondément l’Amérique. Fatiguée du méchoui, à peine acclimatée au régime kosher, la faouda se met au hot dog.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

En dépit de l’avantage du nombre, les Arabes ont passé une bonne moitié du siècle dernier à perdre tout un chapelet de guerres face à Israël. Pour expliquer le phénomène, ont été largement invoquées la supériorité technologique et militaire de l’État hébreu et la désorganisation des pays de la Ligue, elle-même due à leurs incessantes luttes intestines. De guerre lasse,...