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Liban

« Comme une caméra cachée dans les coulisses de la fonction de ministre »

Joumana Debs Nahas : Le TSL est par excellence un sujet qui interpelle.

Pendant près d’un an, Joumana Debs Nahas a recueilli, à un rythme quasi hebdomadaire, le témoignage et les impressions d’Ibrahim Najjar, en sa qualité de ministre de la Justice dans le gouvernement de Saad Hariri. Pendant plusieurs mois, elle a suivi les moments forts qu’a connus Ibrahim Najjar dans sa gestion du dossier, particulièrement délicat et riche en rebondissements, du Tribunal spécial pour le Liban et des supposés faux témoins. Mais cet accompagnement lui a permis aussi de mieux connaître l’homme et de jeter un regard curieux sur les coulisses de la fonction de ministre.
Détentrice d’un DES en droit privé général, obtenu à l’USJ, préparant à l’USJ, sous la conduite du professeur Antoine Kheir, une thèse de doctorat de droit public sur le thème de la démocratie et du consensus, Joumana Debs Nahas expose dans une interview à L’Orient-Le Jour, à l’occasion de la signature de son ouvrage, mercredi prochain, dans le cadre du Salon du livre, les motivations qui l’ont poussée à écrire un livre axé sur le tribunal international , évoquant en outre ses impressions qui ont résulté de ses longs entretiens avec Ibrahim Najjar.

Question – Comment et pourquoi l’idée de cet ouvrage est-elle venue ?
Réponse : « D’abord, pour moi, l’écriture est presque une nécessité. Je la ressens à chaque fois que, dans ma vie personnelle ou suite aux événements qui nous entourent, des sujets m’interpellent. Le Tribunal spécial pour le Liban est par excellence un sujet qui interpelle, d’abord tout juriste, ensuite tout Libanais, de quelque bord qu’il se place. C’est un sujet palpitant, parce que prometteur de rebondissements croustillants, dont les Libanais raffolent.
L’idée de l’ouvrage est née, je dirais, presque naturellement, avec l’ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, que je connaissais déjà depuis longtemps. Il a été mon professeur de droit, à l’USJ.
Je lui ai proposé un sujet sur le TSL, il m’a tout de suite dit oui. J’ai ressenti chez lui le besoin de garder une empreinte, une trace, des incroyables soubresauts que sa fonction de ministre lui imposait. Cette question du Tribunal, des faux témoins, l’interpellait plus que quiconque. À la base, nous avons commencé il y a un peu plus d’un an le travail sous forme d’entretiens quasi hebdomadaires, durant lesquels il me racontait les coulisses de la vie politique qu’il expérimentait... Petit à petit, l’idée d’un livre est née. Mais pas un livre technique, juridique, dédié aux seuls connaisseurs du droit. Nous avons tout de suite songé que ce serait bien plus agréable de proposer une lecture divertissante, avec pour toile de fond le TSL et la célèbre affaire des faux témoins.
Nous avons tenu des entretiens réguliers durant une année entière, mais j’ai commencé l’écriture il y a près de 6 mois environ. »

Pourquoi avec le ministre Ibrahim Najjar ? Pourquoi avoir choisi cette figure-ci en particulier ? Est-ce le modèle de l’académique/du « serviteur de l’État » qui fait son entrée dans l’action/la fonction politique qui a attiré votre attention ?
« Le choix n’en a même pas été un, tellement c’était une évidence. Il était ministre de la Justice, au sein d’un cabinet “d’union”, avec pour lourde tâche de faire passer la Justice avant les calculs politiques et politiciens. Le tout autour d’une question aussi polémique que le Tribunal spécial pour le Liban.
Je dois dire qu’accompagner Ibrahim Najjar durant les 12 derniers mois a constitué pour moi une expérience exceptionnelle. J’ai rencontré un homme qui a su rester très simple, très droit surtout, au milieu d’une tourmente indescriptible. Les débats autour du sujet du TSL, et surtout des supposés faux témoins, qui ont finalement amené à la chute du gouvernement Hariri, ont souvent été accompagnés de moments très forts, de moments de doutes, de peurs aussi, de tension, certainement.
Il y a bien entendu chez M. Najjar un charisme et l’image d’une personnalité forte, voire intimidante de prime abord, qui attire l’attention. L’idée de l’amener à se confier, à lui soutirer ses impressions, son vécu, ses inquiétudes aussi était un défi permanent. Nos rencontres me donnaient l’impression de transporter une caméra cachée dans les coulisses de sa fonction de ministre. Il s’est prêté au jeu, alimentant ma curiosité de détails parfois pimentés du déroulement des événements loin des feux de la rampe... »

Quel sentiment gardez-vous de cette expérience ? Qu’est-ce qui ressort de cet « accompagnement » du ministre Najjar sur plusieurs années et sur une période particulièrement turbulente et complexe de l’histoire du pays ? Quel est votre constat aussi bien sur l’homme que sur le microcosme politique libanais, à la lumière de cette expérience ? Quel sentiment aussi sur l’avenir ?
« Sur le plan personnel, l’expérience m’a beaucoup mûrie. Elle m’a donné l’occasion d’écrire un premier ouvrage abouti, alors même que l’écriture a depuis toujours été une partie de moi-même.
Ces rencontres avec le ministre de la Justice, étalées sur une année, m’ont permis aussi de constater que certains acteurs politiques réussissent à se préserver dans la tourmente, à rester eux-mêmes. C’est loin d’être une tâche aisée. Il faut avoir le recul nécessaire pour se regarder faire comme si on regardait un étranger, et empêcher la fonction de devenir l’homme.
« Or, malheureusement, beaucoup d’acteurs politiques se laissent emporter par la fonction et en oublient l’essentiel : servir l’État et les citoyens.
J’ai réussi en tout cas à découvrir un visage humanisé à la vie politique libanaise, aux différents acteurs, qu’ils soient d’un camp politique comme de l’autre.
Quel sentiment pour l’avenir ? Je ne suis pas sûre que nous soyons souvent, en tant que citoyens, en “de bonnes mains”. C’est bien cela qui inquiète, il faut le reconnaître... »

Le Tribunal. Il est aussi le personnage central de votre ouvrage. La pomme de discorde... Que représente-t-il pour vous, symboliquement, politiquement ? Comment vous positionnez-vous par rapport à ce débat qui est la trame principale de votre ouvrage ? D’autant que vous veillez à maintenir une distance objective par rapport aux événements relatés ?
« Avant de commencer l’ouvrage, j’avais une idée très arrêtée sur le Tribunal spécial pour le Liban. J’avais des certitudes, une fougue et une foi inébranlable en la justice internationale.
Si j’ai essayé d’être objective et à égale distance de tous, ce n’est pas parce que je m’y suis forcée. En écoutant sereinement ce que l’autre camp a à dire, on ne peut que mettre de l’eau dans son vin. La vérité est multiple.
Le Tribunal spécial pour le Liban est fascinant en ce qu’il apporte, pour la première fois dans notre histoire, une promesse de justice. Sa création obéit à une suite logique à la révolution du Cèdre. Les attentes étaient grandes ; or je ne suis pas sûre qu’elles le soient restées. Nous avons été confrontés au fait, normal, que la justice prend son temps. Nous attendions des réponses, des noms ; nous en voulions tout de suite, emportés encore par les promesses de la plus merveilleuse des journées de printemps, celle du 14 mars 2005. Nous avons connu pas mal de désillusions depuis...
J’ai donc appris, suite à cette expérience, que les choses sont loin d’être si simples. Que la justice a un prix, qu’elle n’est pas “ou blanc ou noir”. Elle est faite de nuances, elle réclame notre patience. J’attends de voir venir. “J’en veux pour mon intelligence”, pour reprendre les termes du ministre Najjar. »

Que pouvez-vous nous dire sur le style de l’ouvrage – mélange de chroniques, de biographie, de « confession » ou de dialogue aussi, avec un style cependant palpitant, souvent proche du thriller ? Cela nous en dit-il quelque chose sur vos lectures, vos goûts, vos préférences littéraires ?
« En effet, j’aime bien les intrigues policières, mais pas uniquement. J’aime les ouvrages intrusifs, ceux qui “espionnent” l’âme, qui vont chercher la vraie personne derrière le rôle social qu’elle joue. Je suis très ancrée sur les personnes ; j’aime bien fouiner dans les personnalités, les décortiquer, les analyser. Pas dans le sens du voyeurisme, mais bien plutôt dans le sens d’une curiosité immense pour les tranches de vie. L’autre offre des possibilités infinies d’écriture.
Je pense que dans n’importe quel ouvrage, il est important d’essayer de tenir le lecteur en haleine, de titiller sa curiosité, de l’empêcher de s’ennuyer.
J’avais constamment ce souci de ne pas ennuyer le lecteur en écrivant.
Au-delà du côté chroniques et confessions, c’est surtout un travail d’écoute que j’ai effectué. J’ai voulu m’effacer pour mieux mesurer ce que mon interlocuteur avait à m’apprendre, tout en n’oubliant pas d’apporter mon grain de sel parfois...
Il ne s’agit nullement d’une biographie, mais uniquement d’un passage, de quelques mois, dans la vie d’Ibrahim Najjar, dont je n’ai couvert que l’aspect relatif au Tribunal spécial pour le Liban, dans le cadre de sa fonction de ministre. »

 

Propos recueillis par M.H.G.

Pendant près d’un an, Joumana Debs Nahas a recueilli, à un rythme quasi hebdomadaire, le témoignage et les impressions d’Ibrahim Najjar, en sa qualité de ministre de la Justice dans le gouvernement de Saad Hariri. Pendant plusieurs mois, elle a suivi les moments forts qu’a connus Ibrahim Najjar dans sa gestion du dossier, particulièrement délicat et riche en rebondissements, du...

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