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La vraie bataille

Le plus dangereux en matière d’action politique est de se tromper de bataille... De poser de faux problèmes. Ou de poser, et interpréter, les problèmes de manière biaisée. Cela s’applique au débat actuel sur le positionnement que devraient avoir les chrétiens d’Orient dans le sillage du printemps arabe. Et cela est plus particulièrement vrai si l’on se penche sur la portée véritable et la signification des vastes et violentes manifestations de protestation organisées par les coptes en plein centre de la capitale égyptienne ainsi qu’à Alexandrie.
Les tenants d’une lecture alarmiste des retombées des soulèvements populaires arabes sur la situation des chrétiens ne manqueront sans doute pas de percevoir les émeutes du Caire comme une prétendue preuve des conséquences néfastes que les révolutions en cours pourraient avoir sur les minorités religieuses. Ils mettront vraisemblablement en exergue à ce propos l’incendie d’une église dans le gouvernorat d’Assouan. Mais ce serait aller trop vite en besogne. Trop vite et de manière malhonnête. Car ce serait oublier que les agressions contre les coptes et les lieux de culte chrétiens en Égypte ne datent pas d’hier et qu’elles remontent à l’ancien régime. Et ce serait aussi feindre d’oublier que c’est sous le régime sortant qu’était en vigueur la législation interdisant la construction ou même la restauration d’églises, sans autorisation préalable.
Une telle réalité en entraîne une autre, bien plus cruciale. Ce sont en effet les fruits du printemps arabe qui ont permis aux coptes de donner à leur fronde l’ampleur qu’elle a prise ces derniers mois, de descendre de la sorte dans la rue, à plus d’une reprise depuis la révolution de janvier, brandissant de surcroît fièrement, à chaque fois, des croix et des images religieuses. Certes, au cours des dernières années, les coptes manifestaient leur colère lorsque des agressions étaient perpétrées contre des églises. Mais à chaque fois, ces mouvements de colère étaient très limités, en termes de mobilisation et d’étendue géographique, et ils n’étaient perceptibles que dans les quartiers intérieurs de la capitale égyptienne, à prédominance copte.
Force est de relever ainsi que jamais avant le soulèvement populaire qui a provoqué la chute du régime de Hosni Moubarak, les coptes n’avaient pu manifester de cette façon, aussi massivement, en toute liberté, en plein centre du Caire, organisant des sit-in prolongés devant des institutions publiques, paralysant des artères principales sur les bords du Nil. Sans compter la manifestation massive dont Alexandrie a été également le théâtre dimanche, en signe d’appui aux coptes du Caire. Jamais comme ces derniers jours, les responsables politiques et les intellectuels coptes ont pu s’exprimer aussi librement, et longuement, sur les chaînes satellitaires arabes, occupant ainsi un espace médiatique notable pour exposer leur cause.
Tel un volcan, si la colère copte prend aujourd’hui des tournures de véritables émeutes, c’est précisément parce qu’elle avait longtemps été étouffée dans l’œuf, réprimée et empêchée de sortir au grand jour, en plein cœur de la capitale et dans de grandes villes comme Alexandrie, durant plusieurs décennies par des pouvoirs autocratiques successifs qui, pendant des décennies, ont figé et plongé dans l’obscurantisme toute vie politique, empêchant le pluralisme de s’exprimer et s’épanouir loin de toute coercition. C’est dans une large mesure parce que le printemps arabe a ouvert le débat public, parce qu’il a permis de transformer, en ce qui concerne l’Égypte, la place « Tahrir » en forum ouvert à toutes les forces vives du pays que les coptes ont pu soulever sans détour la discrimination dont ils sont victimes depuis des dizaines d’années.
Mais c’est surtout parce qu’ils ont participé activement au soulèvement populaire de janvier que les coptes ont réservé leur place sur l’échiquier politique de la phase actuellement en gestation, et qui en est encore à ses débuts – l’on aurait en effet bien tort de penser que la révolution égyptienne est arrivée à son terme avec la chute de l’ancien régime ; il s’agissait là uniquement de la prise de conscience initiale, du début d’un lent processus de maturation, qui n’aboutira ultimement qu’avec l’édification de l’État civil et l’avènement de la démocratie.
La communauté copte n’aurait sans doute pas été en mesure de faire entendre sa voix dans un tel contexte évolutif, avec la même ampleur et la même liberté, si elle avait adopté une position chétive de repli sur soi, se contentant de se placer sous la protection d’un régime chancelant, sous prétexte de la hantise d’une poussée islamiste.
La poussée islamiste, ou pour être plus précis « extrémiste », est certes l’un des dangers encourus par le printemps arabe. Mais ce n’est pas en se repliant sur soi, en adoptant l’attitude de la tortue qui rentre dans sa carapace lorsqu’elle sent un péril, que l’on peut faire face à l’extrémisme. C’est au contraire en jouant un rôle actif dans la dynamique de changement que l’on s’impose, que l’on réserve sa place au soleil, et surtout qu’il devient possible de soutenir les mouvances libérales et démocratiques, d’œuvrer avec elles, et de faire en sorte que le rapport de force évolue en leur faveur. C’est précisément ce qu’ont fait les coptes d’Égypte et c’est de la sorte qu’ils augmentent leurs chances de s’imposer aujourd’hui sur la scène égyptienne.
Il est important de relever dans ce cadre que les émeutes du week-end dernier au Caire, parallèlement aux manifestations à Alexandrie, ont été accompagnées d’une marche pacifique, en plein centre du Caire, à laquelle ont participé, côte à côte, des militants coptes et musulmans afin de condamner toute poussée extrémiste et toute dérive confessionnelle.
C’est fondamentalement à ce niveau précis que se situe la véritable bataille dont le monde arabe est présentement le théâtre. Une bataille qui oppose les courants rétrogrades et obstructionnistes, d’une part, aux défenseurs du libéralisme, des pratiques démocratiques, des libertés publiques, du droit à la différence, de l’ouverture sur le monde, du modernisme bien compris et de l’esprit critique doublé de créativité, d’autre part. Et l’intérêt historique du printemps arabe est d’avoir initié et rendu possible une telle dynamique. L’une des chaînes satellitaires arabes diffusait il y a quelques jours sur ce plan un documentaire exposant à quel point le soulèvement populaire au Yémen avait permis de stimuler la créativité artistique et littéraire dans ce pays.
La dynamique enclenchée depuis le début de l’année dans plus d’un pays arabe peut déraper sur une voie obscurantiste ou, au contraire, être un tremplin pour la construction d’un avenir prospère, fondé sur les valeurs démocratiques. Il revient aux forces vives de la société de faire le bon choix. Et, surtout, de ne pas se tromper de bataille...
Le plus dangereux en matière d’action politique est de se tromper de bataille... De poser de faux problèmes. Ou de poser, et interpréter, les problèmes de manière biaisée. Cela s’applique au débat actuel sur le positionnement que devraient avoir les chrétiens d’Orient dans le sillage du printemps arabe. Et cela est plus particulièrement vrai si l’on se penche sur la portée...
commentaires (11)

"Marie Joe, un Liban Laïc devrait faire l'unanimité de tous les Libanais. Anastase Tsiris" Cher Monsieur Tsiris, A mon avis le probleme veritable n'est pas le confessionalisme, mais plutot le manque d'engagement pour le Liban. Au lieu de dire au citoyen, "oublie que tu es Sunnite (ou chiite, ou druze ou chretien) et penses que tu es Libanais", on devrait lui dire: "Reste attache a ta confession, mais tu peux faire beaucoup pour ce pays qui a besoin de toi, voici ce qu'on te demande de faire, es-tu pret a t'engager"? Le probleme c'est que nos dirigeants marginalisent le citoyen et l'ignorent, au lieu de lui faire assumer ses responsabilites. La raison en est simple. Un citoyen responsable aurait ainsi le droit de poser des questions et c'est ce que nos dirigeants redoutent le plus.

George Sabat

11 h 04, le 26 octobre 2011

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Commentaires (11)

  • "Marie Joe, un Liban Laïc devrait faire l'unanimité de tous les Libanais. Anastase Tsiris" Cher Monsieur Tsiris, A mon avis le probleme veritable n'est pas le confessionalisme, mais plutot le manque d'engagement pour le Liban. Au lieu de dire au citoyen, "oublie que tu es Sunnite (ou chiite, ou druze ou chretien) et penses que tu es Libanais", on devrait lui dire: "Reste attache a ta confession, mais tu peux faire beaucoup pour ce pays qui a besoin de toi, voici ce qu'on te demande de faire, es-tu pret a t'engager"? Le probleme c'est que nos dirigeants marginalisent le citoyen et l'ignorent, au lieu de lui faire assumer ses responsabilites. La raison en est simple. Un citoyen responsable aurait ainsi le droit de poser des questions et c'est ce que nos dirigeants redoutent le plus.

    George Sabat

    11 h 04, le 26 octobre 2011

  • Marie Joe, un Liban Laïc devrait faire l'unanimité de tous les Libanais. Les solutions et les details seraient faciles si la volonté y est. Si, vraiment, on veut sauver ce Pays multiconfessionnel, exemple qui fait s'enrager certains voisins du Sud. Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    13 h 32, le 11 octobre 2011

  • Kamel, toi et moi, tenons en main la même pièce de monnaie qui secoue tous les Etats de la région. Nous sommes d'accord que c'est cette pièce de monnaie qui en est la responsable, qu'elle soit confectionnée chez les SIO ou d'autres et propulsée dans notre région. Jusqu'ici je crois que nous sommes d'accord. Les exécuteurs sont sur la face et la pile de cette monnaie. Toi, tu accuses, continuellement, seulement la face, et rien qu'elle, d'en être la responsable. Moi, je dis les deux faces sont responsables, et la face et la pile, chacune dans des places différentes de cette région, et souvent aux mêmes places. On ne peut pas dire que les uns sont des démons et les autres des saints. Tous deux sortent de l'enfer, et sont, consciemment ou non, au service de ton bien-aimé Belzébuth (S ? O) Toi et moi n'avons pas de différends. Les pays de la region, se renvoient des coups de pieds sous la table, chacun accusant l'autre de le faire. Et voilà ! Les peuples, sont pris dans la tourmente, qui que ce soit l'exécuteur ou le vendu qui fomente les troubles, que ce soit en Egypte, au Liban ou ailleurs. La zizanie est semée et les communautés entrent dans le jeu malgré elles. La haine est bien arrosée, et tout sort hors de contrôle. Nous, nous analysons, et prenons parti souvent, suivant le déroulement des évènements. Nous ne pouvons rien y faire , mais essayer, tant que possible, de rester objectifs. Amicalement. Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    11 h 25, le 11 octobre 2011

  • Cent pour cent d'accord avec vous Kamel et Tasso , un Liban laïc sans hésitation !!!! Marie José Malha.

    Marie Jose Malha

    11 h 15, le 11 octobre 2011

  • Oui Kamel, pour l'Etat laïc au Liban. Si la décision nous appartenait à nous deux, nous l'instituerons dès demain. J'irai un peu plus loin, garanti par les Nations Unies. Cordialement Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    09 h 22, le 11 octobre 2011

  • Ta question nous renvoie a une autre, peut on encore accepter le regime confessionnel au Liban ? N'est il pas preferable d'avoir une constitution laique chez nous ? Ma reponse est absolument OUI au Liban laique. C'est la garantie constitutionnelle des minorites, comme cela se fait en Europe.

    Jaber Kamel

    09 h 05, le 11 octobre 2011

  • Marie Joe, je connais tant d'autres histoires comme la tienne. C'était du temps des grands réformateurs ( Les jeunes Turcs d'Egypte ). Lis ce que je demande mainteannt à Kamel de répondre et dis-moi : Les Coptes doivent-ils avoir confiance en des gens qui leurs dénient leurs droits de citoyens car ils sont une minorité ? Amicalement. Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    07 h 32, le 11 octobre 2011

  • Cher Tasso. Mes parents, père libanais et mère grecque, sont nés en Egypte et y vivaient en tant que résidants. En 1960, j'avais juste 4 ans et je ne l'oublierai jamais, ils ont du plier bagages et rentrer au Liban la mére patrie pour recommencer à zéro, ainsi que toute la famille qui s'est dispersée dans les 4 coins du monde au Liban, en Grece, en France,en Angleterre, au Canada et en Australie. Pourquoi? Eux, ils avaient tout compris et ils avaient vu d'avance ce que l'Égypte deviendrait en quelques années. Ce que les coptes vivent aujourd'hui ne m'étonne pas, avec une seule grande différence, celle que les coptes sont les premiers et vrais égyptiens qui combattent aujourd'hui pour survivre , pour une juste cause, pour la patrie. Marie José Malha.

    Marie Jose Malha

    04 h 43, le 11 octobre 2011

  • Monsieur Michel Touma, votre article est intéressant, Mais...je n'approuve pas votre analyse quand aux motifs. Des fanatiques brûlent des églises Coptes, maintenant comme avant. Les Coptes, profitant de l'actuelle inertie de transition dans le pays, et sachant que les extrémistes ne bougeront pas dans cette phase pour ne pas salir leur déjà très sale blason, ont voulu dire leur mot, pour être pris en compte et obtenir l'égalité des droits de culte seulement. Est-ce que cela garantira leur avenir dans une mer qui leur a été toujours et qui leur sera toujours hostile, et où on claronne tout haut que la minorité ne doit pas avoir les mêmes droits que la majorité, et où on essaie par tous les moyens d'expliquer que les agressés sont les agresseurs ? Bien sûr que NON. Les Arméniens avaient commis la faute d'avoir confiance en les Jeunes Turques. Nous savons ce qui en résulta. L'histoire se répètera. Les mentalités ne peuvent pas changer du jour au lendemain parcequ'il y a révolte et qu'on réclame la prétendue démocratie ( mot synonyme d'anarchie dans ces pays du Moyen Orient ) tout comme il en fut en Turquie. Les Coptes, et tous les Chrétiens, devraient s'en méfier. Ils devraient garantir leur AVENIR. Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    03 h 11, le 11 octobre 2011

  • Ne soyons pas trop optimistes pour le soulèvement populaire copte au Caire , dans ce Moyen Orient ou l'homme surtout chrétien est une passion inutile, il suffit d’ élire un Nasser ou Moubarak 2 pour replonger dans le pessimisme . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    01 h 54, le 11 octobre 2011

  • - - Je reprend le dernier mot de votre article , surtout ne pas se tromper de bataille !! Les frères musulmans , donc les Islamistes purs et durs , sont majoritaires dans toutes ces révolutions arabes , ils sortirons vainqueurs dans les urnes , et appliquerons la Charia partout et sans complexes . Ils deviendront alors comme ces pays arabes du Golfe qui abritent et financent ces chaînes arabes citées en exemple dans votre article , où les Chrétiens n'ont aucun droit , mais aucun !! Il faut que les Chrétiens d'Egypte puissent jouir de la même manière et des mêmes droits que leurs frères du Sud Soudan , et cela ne saura tarder avec Alexandrie comme Capitale de leur nouvel état Copte , et ça , les chînes Arabes et leurs financiers le savent , d'où l'ouverture de leurs plateaux de TV pour promouvoir et faciliter la chose (...) selon les instructions de leur allié et oncle Sam . À qui le tour après les Coptes ?

    JABBOUR André

    01 h 43, le 11 octobre 2011

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