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Couverture spéciale de la révolte en Libye - Éclairage

Transition politique en Libye : les défis de la rébellion

Sécurité, réconciliation nationale, divisions internes... le CNT doit agir rapidement et de manière efficace, estiment des experts, afin de limiter les risques de guerre civile et établir les bases institutionnelles d’un véritable État démocratique.

Un rebelle libyen gardant une route menant vers la ville de Ras Lanouf. Esam Al-Fetori/

Maintenant que le régime de Mouammar Kadhafi est pratiquement effondré et que les rebelles contrôlent une grande partie du territoire libyen, dont Tripoli, une série de défis s’imposent au Conseil national de transition (CNT), l’organe politique de la rébellion.
Contrairement à la Tunisie ou à l’Égypte, où les institutions publiques sont en place et fonctionnent depuis des décennies, en Libye, Kadhafi avait instauré un système basé sur le tribalisme et l’absence des institutions étatiques. Le système politique libyen est théoriquement basé sur le fameux Livre vert de Kadhafi, qui mélange théories socialistes et islamiques, tout en rejetant la démocratie parlementaire ainsi que le multipartisme. Les partis politiques sont interdits depuis 1977 et les syndicats sont inexistants. Comme l’a récemment rappelé le président du CNT, Moustapha Abdeljalil, « les Libyens n’ont pas voté depuis 1964. Ce qui signifie que les Libyens de moins de 60 ans n’ont jamais participé à une élection ».

La « Déclaration constitutionnelle »
Face à ce vide politico-sécuritaire qui survient avec la chute du « guide », la rébellion a établi une feuille de route censée mener à une Libye démocratique, avec nouvelle Constitution et élections générales. Baptisé Déclaration constitutionnelle, le document de 37 articles et une dizaine de pages, réaffirme les grands principes des démocraties modernes : la Libye est un « État démocratique », fondé « sur le pluralisme politique ». Si « la charia est la source principale de la loi », la Déclaration « garantit » les libertés publiques et individuelles, les droits humains fondamentaux, l’égalité des chances ou encore le respect de la vie privée des citoyens. Selon la feuille de route, le CNT s’engage à quitter le pouvoir huit mois au plus tard après la chute du « tyran », la formation d’un gouvernement intérimaire et l’élection d’une Assemblée nationale de transition, baptisée « Conférence nationale ». Cette assemblée devrait désigner un nouveau gouvernement et organiser dans les six mois des élections générales, sous la supervision de l’ONU. Elle mettra également en place un comité chargé de rédiger une nouvelle Constitution, qui sera présentée par référendum aux Libyens dans un délai de 90 jours.

Les priorités les plus pressantes
Selon des experts interviewés par L’Orient-Le Jour, le calendrier présenté par le CNT est jugé « raisonnable » dans la mesure où le CNT parvient à surmonter les nombreux défis postconflit de manière rapide et efficace. Voici un tour d’horizon des priorités les plus pressantes, selon George Joffé, chercheur au Centre d’études internationales à l’université de Cambridge, et Imad el-Anis, professeur en relations internationales à la Nottingham Trent University, en Grande-Bretagne.

Le rétablissement de la sécurité
Bien que la rébellion contrôle la majorité du territoire libyen, les combats avec les forces pro-Kadhafi se poursuivent dans certaines villes, notamment dans l’ouest du pays. « Ces combats doivent cesser le plus tôt possible, d’ici à quatre semaines au maximum, affirme M. Anis. Le CNT fera probablement face à quelques défis sécuritaires ici et là dans les prochaines semaines, surtout si certaines factions – comme les groupes proches de l’ancien régime – chercheront à dérailler le processus politique à travers des actes de violence ou de sabotage. » M. Joffé met en garde de son côté contre le risque d’une radicalisation de la jeunesse libyenne au cas où les efforts de transition et de reconstruction sont ralentis. « Les groupes islamistes radicaux ne représentent pas un danger pour la démocratie en Libye, contrairement à ce qu’affirment certains pays occidentaux. Cependant, une partie de la jeunesse frustrée et mécontente pourrait se diriger dans cette direction », dit-il. Reste le problème des armes, qui, depuis six mois, circulent librement au sein de la population libyenne. « La Libye est, après l’Irak, le pays où circule le plus grand nombre d’armes légères, indique M. Anis. Ces armes-là ne seront probablement pas retirées des mains de la population qui les considère comme étant une propriété privée. C’est malheureusement un problème très commun dans les régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Les armes lourdes, par contre, seront certainement remises aux autorités. »

Unifier les forces rebelles
L’assassinat du général Abdel Fattah Younis, commandant militaire des forces insurgées libyennes, fin juillet, a révélé des dissensions au sein de la rébellion. Certaines rumeurs affirment que les rebelles avaient eux-mêmes arrêté et tué le général, qu’ils soupçonnaient de trahison. L’existence d’une possible « cinquième colonne » derrière les lignes des rebelles a également été évoquée. « Le principal problème qu’on a pu constater chez le mouvement insurgé, depuis six mois, est le manque de coordination et de communication entre les différentes forces sur le terrain et le CNT, souligne M. Anis. L’affaire de la capture de Seif al-Islam Kadhafi, qui s’est ensuite avérée fausse, en est un exemple. » « Il est urgent donc de créer un commandement unifié chapeautant toutes les forces rebelles avant que les dissensions ne s’accentuent et que des conflits d’intérêts ne fassent surface », ajoute-t-il. Pour M. Joffé, il en va de la crédibilité du CNT. « Le Conseil doit résoudre ses problèmes internes afin qu’ils puissent s’atteler à gérer les affaires du pays de manière efficace, explique-t-il. Pour ce faire, il doit réaffirmer son contrôle sur toutes les forces insurgées, notamment celles de Jabal Nafousa, qui ont joué le plus grand rôle dans la libération de Tripoli. » Samedi, les combattants tripolitains ont annoncé leur intention d’être placés sous un commandement unifié, au sein d’une nouvelle armée nationale, au terme d’une période de transition. D’autres forces insurgées avaient déjà fait des déclarations similaires, rappelle M. Joffé. « Reste à voir si ces promesses seront appliquées en pratique, sur le terrain », dit-il.

Entamer la réconciliation nationale
« La réconciliation est essentielle et doit aller de pair avec le processus de transition politique, indique George Joffé. Sinon, les règlements de comptes sanglants risquent de se multiplier en Libye entre insurgés et pro-Kadhafi, ce qui affaiblira encore plus le CNT. Les violences risquent aussi de se dégénérer en une guerre intertribale, surtout si les forces de l’ancien régime se réfugient à Syrte, le fief de Kadhafi. » Même constat chez Imad el-Anis qui souligne la nécessité d’« impliquer tous les acteurs-clés de la société libyenne, dont d’anciens éléments du régime et des membres issus des tribus proches du guide déchu, dans le processus de transition. La marginalisation d’une partie de la société résulterait en une situation semblable à celle de l’Irak post-Saddam où des tensions et conflits entre différents groupes perdurent jusqu’à nos jours ». Toutefois, souligne l’expert, l’avantage de la Libye est qu’elle possède d’importantes ressources financières et que sa population est relativement petite (6,5 millions d’habitants). « Une fois que les avoirs libyens sont débloqués et que les exportations pétrolières reprennent, le nouveau gouvernement sera dans une position bien plus avantageuse, étant donné qu’il aura assez d’argent pour assurer des services médicaux, sociaux, administratifs, etc. Ceci les aidera à gagner la confiance du peuple », ajoute-t-il.
Maintenant que le régime de Mouammar Kadhafi est pratiquement effondré et que les rebelles contrôlent une grande partie du territoire libyen, dont Tripoli, une série de défis s’imposent au Conseil national de transition (CNT), l’organe politique de la rébellion.Contrairement à la Tunisie ou à l’Égypte, où les institutions publiques sont en place et fonctionnent depuis des...