Relever erreurs de parcours, distorsions de stratégie, pièges tendus non perçus, fausses estimations relatives à la fidélité de compagnons de route, absence de perspectives au long cours, l’objectif d’un tel bref inventaire de quelques points aveugles, est en liaison directe avec un désir sincère d’établir un bilan évaluatif de certaines performances et de faire éviter, plus tard, répétitions et rechutes.
1 – La première erreur que l’on pourrait relever est en rapport avec les alliances que les tenants de la révolution du Cèdre ont accepté de conclure avec des adversaires politiques en vue d’un meilleur score aux élections de 2005. Tout le monde sait comment ces compromissions se sont retournées contre le 14 Mars, aussitôt le scrutin clos, et comment pratiquement les résultats des élections furent gauchis, bradés et annulés.
2 – La très grosse erreur, découlant logiquement de la première, aura été la réélection de Nabih Berry, grand fossoyeur de la vie parlementaire et de la démocratie, à la présidence de l’Assemblée nationale, pour un cinquième mandat consécutif, alors que le 14 Mars était en principe majoritaire. L’argument avancé : aucun chiite n’a eu le courage de présenter sa candidature compte tenu de la pression exercée par le Hezb et Amal. Oui, mais a-t-on essayé une autre démarche ?
3 – Suit de très près l’acceptation, par nos amis, de l’hérésie constitutionnelle représentée par le concept de « consensus » qui a clairement prouvé ses effets pétrifiants sur les prestations quotidiennes de nos institutions et en particulier de l’exécutif, durant deux années consécutives.
4 – Du consensus on est passé, sans transition, à la formation d’un gouvernement d’« union nationale » – quel euphémisme ! – alors que rien, comme danger externe imminent, ne justifiait un tel recours, d’autant plus que les parties composantes ne pouvaient a priori s’entendre sur aucun sujet fondamental.
5 – Toujours en relation avec la formation du gouvernement, le reproche que nous pouvons adresser au 14 Mars, c’est d’avoir entériné la présence, au sein du pouvoir exécutif, d’un tiers de blocage, innovant ainsi en matière de science politique, puisque ce tiers de contrôle – appellation aussi hypocrite que pernicieuse – a généré une inertie absolue dans le fonctionnement de l’État durant des mois entiers.
6 – On peut en dire autant de l’exclusion des aounistes dans la formation de l’équipe gouvernementale, non par amour de ces derniers ou de leur chef, mais tout simplement soit pour les mettre à l’épreuve, soit pour s’en rapprocher et réduire ainsi la haine et la hargne, sous couvert de conscience victimaire, de l’éternel persécuté.
7 – Lors de la démission des ministres chiites et du seul ministre adoubé par le président Lahoud, nul n’a procédé au remplacement de ces derniers ou n’a osé en avoir tout simplement l’idée, nos responsables vivant toujours sous la menace implicite de l’arsenal hezbollahi et du suivisme forcé du mouvement Amal.
8 – Pour de vrais démocrates, le recul devant toutes les pressions qui ont amené le 14 Mars à retirer ses candidats à l’élection présidentielle est tout simplement honteux. Je sais que cette décision a été l’une des formes du piège du consensuel. Il aurait tellement mieux valu que les candidatures soient maintenues et que la fracture apparaisse dans toute son ampleur, situant à leur juste place chacun des deux camps.
9 – Puis vient la mascarade des accords de Doha. Comment faire confiance à ceux-là mêmes qui vous avaient déjà poignardé dans le dos, en se retirant du cabinet quand il a fallu entériner les accords sur le Tribunal spécial pour le Liban ? Comment croire à leurs engagements solennels de ne plus jamais démissionner du cabinet, une fois de plus consensuel et en principe solidaire ?
10 – Pourquoi avoir accepté d’élire le président Sleiman à une très forte majorité, sinon à l’unanimité, alors que beaucoup de députés du 14 Mars n’en étaient nullement convaincus ? Le bulletin blanc, ça existe et il exprime bien une opinion.
11 – Pourquoi n’avoir pas condamné fermement la défection d’un Walid Joumblatt et d’avoir simplement trouvé amusantes ses fluctuations et ses virevoltes méchantes et assassines ? C’était, me diriez-vous, attendre paisiblement un nouveau virage, en vue d’une nouvelle majorité « fictive ». Faut-il tout pardonner à cet homme qui, sous couvert de sauvegarde de sa communauté, cultive l’art de la glissade, comme quelqu’un qui aurait des savonnettes sous les talons ?
12 – Comment justifier aux yeux du grand public et des partisans sincères les tractations, supposées ou confirmées, à propos du TSL, de la poursuite des travaux d’enquête et de leurs conséquences ?
13 – Sous quels prétextes ou pour quelles raisons a-t-on poursuivi la mascarade du dialogue national, cette invention illégale et anticonstitutionnelle du président Berry et qui avait très vite démontré son inanité et sa totale inefficacité face aux obstructions du Hezbollah et de son allié aveuglé de suivisme, le général Michel Aoun ?
14 – Pourquoi n’avoir pas œuvré pour qu’une nouvelle loi électorale puisse donner lieu à une meilleure représentation populaire et avoir accepté la reconduction de l’ancienne loi, profondément injuste, mais qui favorise les leaderships traditionnels aux dépens des jeunes générations et des perspectives nouvelles ?
Aujourd’hui, nous retenons comme ayant été une performance de qualité le refus du 14 Mars de participer au gouvernement actuel et d’avoir posé des conditions claires en préalable à son éventuelle participation à l’exécutif. Un gouvernement monochrome – mais l’est-il vraiment !
– auquel un 14 Mars peut franchement s’opposer est une chance pour une correction de trajectoire et un retour sain à l’alternance démocratique. Certes, la critique est aisée, mais l’art est difficile et je n’ignore pas, par ailleurs, comme l’affirme C. von Clausewitz dans son livre Théorie de la grande guerre (1886) que : « Il y a des circonstances où la plus grande prudence est la plus grande hardiesse. » Mais il ajoute plus loin : « N’oublions pas d’oser. » Ne faut-il pas distinguer, en effet, entre prudence et peur, entre action raisonnée, nuancée, adaptée et totale paralysie de l’initiative et de la pensée libre ? Très souvent l’audace paie parce qu’elle motive et mobilise, surtout quand les objectifs sont transparents et que leurs tenants sont fiables. Désormais c’est ce qui est demandé : des positions claires, coordonnées, justifiées, admises par tous, selon les mêmes modalités et les mêmes contenus conceptuels. Ce n’est pas une pensée totalitaire, bétonnée ou monolithique qui est demandée ; mais une ligne de conduite cohérente et durable. Parce que la cohésion engendre l’adhésion ; et que l’hésitation et les compromissions ruinent la conviction et l’action. Très souvent, les politiques oublient que les jeunes ne s’approprient une cause que si elle leur propose un idéal. La tiédeur les fait vomir et les jongleries politiciennes sur fond de roublardise, de corruption et de solutions « à la libanaise », même si elles les fascinent parfois, ébranlent leur sens de l’engagement et leur fidélité au long cours.
Un 14 Mars plus uni, plus déterminé, plus tranchant, constamment à jour dans ses propos et qui ne se contente pas des manifestations saisonnières de fidélité et d’acclamation place de la Liberté, mettant en œuvre une action commune visible et durable, c’est ce que nous souhaitons pour que notre Liban demeure, non comme il l’a été, mais comme il devrait être désormais : une démocratie ouverte, plurale, laïque, respectant les particularités ethniques, culturelles et religieuses de chacune de ses composantes et soumise à une seule Constitution, fondamentalement inspirée de la Charte des droits de l’homme. Ayant été un des berceaux de la civilisation, nous devons être désormais, dans cette région du monde, un agent civilisateur, pacifique et universaliste. Nous avons certainement les qualifications pour le devenir.
commentaires (7)
Eh bien, il faut être extrêmement courageux pour soutenir une équipe qui fait autant d'erreurs et de c...ries! Le plus hilarant c'est que y en d'entre eux qui applaudissent et disent: ah oui...c'est absolument vrai...
Ali Farhat
15 h 48, le 06 octobre 2011