« Il n’existait pas de plate-forme au Liban pour que les jeunes illustrateurs puissent faire du dessin de presse et de la critique sociale », explique-t-elle. Tous les deux mois, une poignée de dessinateurs, différents à chaque numéro, livre son regard sur un thème imposé. Le premier numéro traitait des bourgeois bohèmes, les « bobos », le second de l’été. « Le rythme de parution nous interdit de suivre l’actualité d’aussi près que nous le voudrions, mais cela ne nous empêche pas d’aborder les grandes thématiques. » Dans un des dessins, immeubles et grues s’alignent en ombres chinoises, presque menaçants, accompagnés de ce texte en arabe : « Parce qu’ils ont décidé de voir la mer, on ne peut plus voir le ciel. »
Le ton est volontiers décalé, voire provocateur et les dessins sont parfois trash. La couverture du second numéro représente une femme nue à tête de canard. Un carré noir lui masque le sexe, tandis qu’un tampon « censored » à l’encre rouge lui barre la poitrine. Cela ressemble à s’y méprendre à une critique ouverte des censeurs de tout poil, et pourtant, Zeina Bassil reconnaît sans peine qu’elle a fait viser la couverture par la censure, pour s’assurer « qu’il n’y aurait pas de problème ». Paradoxal? Pas forcément. « L’important pour nous aujourd’hui, c’est d’exister, avoir un moyen d’expression. Les règles existent et il faut composer avec elles, les caresser pour qu’elles puissent se relâcher. Chaque société a ses limites, mais on peut toujours trouver un moyen d’aborder ces sujets. »
Aujourd’hui, la consigne est d’éviter de parler de politique ou de religion, mais Zeina Bassil ne désespère pas d’y parvenir « un jour ». « À l’heure actuelle, on traite les sujets de manière biaisée, mais nous attendons le moment de pouvoir les traiter frontalement. » En attendant, La Furie des glandeurs entend bien continuer de flirter avec les tabous, le plus loin possible, mais si possible sans tomber.