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Un tyran pour préserver les chrétiens ?

La nature a horreur du vide. La politique aussi. Ou en termes plus concrets, l’attentisme, le rôle d’acteur passif et résigné peuvent conduire lentement à l’extinction progressive de la présence politique, à la dissolution de la vitalité culturelle, pédagogique, voire économique d’une population. Mais si l’on se décide à agir, encore faut-il ne pas miser sur le mauvais cheval, ne pas s’aventurer dans la mauvaise direction, en reniant son passé et, surtout, ses valeurs.
Telle est en substance l’essence de l’important, et historique, discours prononcé samedi dernier à Jounieh par le leader des Forces libanaises, Samir Geagea. Historique, cette allocution l’a été car elle a posé publiquement avec audace, sans complaisance et sans détours, le fond du problème de la présence chrétienne et du rôle des chrétiens en Orient. Il était vital dans le contexte présent, depuis les déclarations du patriarche Béchara Raï en France, de rappeler certaines vérités, de dénoncer les idées reçues.
Dans le sillage du débat fiévreux dont le pays est actuellement le théâtre, une mise au point s’impose : contrairement à ce que colportent les défenseurs zélés des dernières positions attribuées à Mgr Raï (et avec eux les champions de la thèse de l’alliance des minorités), l’alternative qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir s’il faut ou non préserver la présence chrétienne dans la région. Et dans ce cadre, affirmer que la posture adoptée par Mgr Raï vise à sauvegarder les chrétiens revient à entretenir une équivoque. Cela revient en effet à insinuer subrepticement que ceux qui critiquent le patriarche négligent ou occultent les possibles dangers qui menaceraient la présence chrétienne. Nul ne conteste que Mgr Raï ait comme souci prioritaire de protéger les chrétiens d’Orient face aux bouleversements enclenchés par le printemps arabe. Le tout est de savoir comment et sur quelles bases le faire. Le tout est de ne pas commettre de graves erreurs de parcours qui risqueraient d’aboutir à des résultats diamétralement opposés à ceux escomptés et ouvertement affichés. C’est précisément à ce niveau que réside la portée du discours, stratégique, de Samir Geagea, et il ne serait pas superflu de revenir sur l’essence de son intervention, dans un effort de discernement face aux développements qui se précipitent.
Il serait d’abord littéralement suicidaire de lier son sort (a fortiori publiquement...) – sous prétexte d’alliance de minorités – au sort d’un régime sanguinaire qui ne peut plus survivre qu’au prix d’un bain de sang, qui n’hésite aucunement à tirer sur la foule, à torturer des dizaines d’adolescents, des dizaines d’enfants, jusqu’à la mort, à mutiler sauvagement leurs corps et à les restituer froidement, sans le moindre petit scrupule, à leurs parents, car il s’agit là à ses yeux de la meilleure façon de terroriser la population dans le but démoniaque de juguler et de mater le soulèvement populaire.
Lier son sort à un tel régime est non seulement suicidaire, mais cela est surtout foncièrement immoral. Immoral et, disons-le, antichrétien, car contraire aux valeurs chrétiennes fondées sur le respect de la personne humaine, sur la défense de la dignité de l’homme – tout homme. Et il ne s’agit pas là de paroles pieuses ou naïves, d’une réaction mue par un angélisme primaire. On ne peut pas – surtout lorsqu’on est un homme de religion – se poser en défenseur du message de la présence chrétienne en Orient tout en occultant des comportements qui ne sont rien d’autre que des crimes caractérisés contre l’humanité. Cela reviendrait à renier l’essence même du message chrétien que l’on prétend vouloir défendre.
Au plan strictement politique, lier son sort à celui d’un régime répressif et sauvage constitue purement et simplement une menace directe pour cette minorité que l’on cherche à sauvegarder. Il ne faut pas être Machiavel pour réaliser que c’est précisément en affichant sa complaisance à l’égard d’un tel régime et en proclamant que l’on se place sous sa protection que l’on s’expose à la vengeance, à toutes sortes de dangers qui ne manqueront pas de surgir lorsque ce pouvoir sera tôt ou tard – on n’arrête pas la marche de l’histoire – balayé par les vents du changement. Car comment pourra-t-on justifier alors que l’on a suivi la politique de l’autruche, que l’on a observé un mutisme complaisant, voire approbateur, lorsque les enfants étaient torturés et mutilés à la pelle, lorsque des milliers de jeunes étaient liquidés sauvagement, lorsque des dizaines de milliers de protestataires étaient jetés et malmenés en prison ?
Mais au-delà des valeurs humaines, c’est au niveau de la ligne de conduite qu’il s’agit surtout de ne pas faire fausse route, de ne pas commettre des erreurs fatales. Le printemps arabe, qu’on le veuille ou pas, est l’expression d’un ras-le-bol populaire général en réaction à un ordre arabe figé depuis près d’un demi-siècle et reposant sur des régimes autocratiques, tyranniques et mafieux qui percevaient l’État et l’économie du pays comme la chasse gardée d’un clan familial. Ayant pour leitmotiv la chute de la dictature et la conquête des libertés publiques et de la démocratie, les soulèvements enclenchés en début d’année dans plus d’un pays ont été accueillis par une impitoyable répression, quotidienne et sans merci.
Adopter une position de repli sur soi et paraître justifier une telle répression, parce que l’on « craint le changement », constitue le véritable danger qui menace réellement la présence chrétienne. Dire en effet qu’il est malgré tout préférable de maintenir le statu quo actuel en Syrie parce que l’on a « peur de l’inconnu » et que le pouvoir baassiste constitue une « garantie » pour les chrétiens, revient à naviguer à contre-courant de l’histoire. D’autant qu’en suivant la même logique, si l’on admet que le printemps syrien constitue une menace potentielle pour les chrétiens, cela signifie que le printemps de Beyrouth, qui a donné naissance à la révolution du Cèdre, était aussi un danger pour les chrétiens et qu’il fallait préserver le statu quo syrien au Liban, remis pourtant en cause par Bkerké même...
Mais trêve de balivernes... Force est de faire preuve d’honnêteté intellectuelle et d’admettre l’évidence : c’est en s’impliquant activement dans la dynamique actuelle du printemps arabe et en défendant haut et fort l’aspiration à la liberté et à la démocratie que les chrétiens pourront revendiquer demain leur rôle dans le nouvel ordre en gestation et qu’ils pourront surtout, forts de leur solidarité avec le soulèvement populaire, se poser en véritables partenaires des courants libéraux et démocratiques, de manière à renforcer ces derniers et éviter ainsi les dérapages extrémistes.
En clair, plutôt que d’adopter une attitude de repli, de peur et d’attentisme, perçue comme un alignement sur le tyran baassiste, les chrétiens devraient au contraire prendre le train en marche et s’engouffrer dans la dynamique du changement, s’ils désirent réserver leur place sur le nouvel échiquier qui se substituera inéluctablement au pouvoir en place. Telle est l’essence de l’appel lancé samedi par Samir Geagea. Et telle est aussi la signification de la position rendue publique pas plus tard qu’hier par le Quai d’Orsay qui souligne que les chrétiens d’Orient « ont un rôle essentiel à jouer dans les processus de démocratisation qui sont en cours dans la région ». Mais un tel message sera-t-il compris à bon escient ?
La nature a horreur du vide. La politique aussi. Ou en termes plus concrets, l’attentisme, le rôle d’acteur passif et résigné peuvent conduire lentement à l’extinction progressive de la présence politique, à la dissolution de la vitalité culturelle, pédagogique, voire économique d’une population. Mais si l’on se décide à agir, encore faut-il ne pas miser sur le mauvais...
commentaires (18)

Rires... J'étais à deux doigts de relever cette confusion (en un mot), mais je n'ai pas osé. Good shot Gédéon.

Robert Malek

14 h 59, le 28 septembre 2011

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Commentaires (18)

  • Rires... J'étais à deux doigts de relever cette confusion (en un mot), mais je n'ai pas osé. Good shot Gédéon.

    Robert Malek

    14 h 59, le 28 septembre 2011

  • Kamel....kéésac,avec un é long...parceque kessac,çà prête à ....confusion....lol

    GEDEON Christian

    13 h 05, le 28 septembre 2011

  • Kessac mon ami, je salive plutot sur ta poutargue, le rose bandol ca sera quand on se verra sur la cote d'Azur. Jamais pendant le service dit on dans l'administration.

    Jaber Kamel

    09 h 10, le 28 septembre 2011

  • Mais Kamel,arrête d'être aussi susceptible à propos de l'Iran....d'abord,et depuis une certaine Judith,l'Iran a toujours toujours été l'allié d'Israël,malgré les apparences.Ensuite,ce n'est parceque les Israêliens détruisent des lieux de culte que çà justifie ce qui se passe ailleurs,bien au contraire.Enfin,que veux tu,nous sommes les jouets de nos illusions...allez,à ta santé...(Excellent bandol rosé,bien frais, accompagné de petites tartines de poutargue....mmmmm,un vrai délice).je sais,il n'est que onze heures,mais il n'y a pas d'heure pour les braves...Ksara Kefraya et Liban Libre!

    GEDEON Christian

    05 h 00, le 28 septembre 2011

  • Pour moi Christian, l'indien qui croie aux arbres et aux oiseaux dans son amazonie , pratique une religion,sa religion. Le musulman ou le chretien arabe palestinien qui pratique sa religion dans sa mosquee ou son eglise a Ramallah ou a Betlehem , pratique une religion. Le juif iranien qui pratique sa religion dans une synaguogue a Teheran ( et c'est reel ) pratique sa religion. Aucun de ces etats n'a le droit d'interdire a ses citoyens le droit de pratiquer son culte. Pas plus les iraniens pour les Bahai, ni les bresiliens pour les amazones ni les israeliens pour les chretiens et les musulmans palestiniens. Tu dis , relis toi, persecution de Bahai en Iran. La destruction de lieus de culte en israel qui s'elevent a plusieurs dizaine de milliers est un acte hautement persecutoire, a moins que one more time quand il s'agit de nos voisins, on applique les lois martiennes. Fallait pas me reveiller Christian.....

    Jaber Kamel

    09 h 35, le 27 septembre 2011

  • Dis donc,kamel...t'as pas l'air de bon poil aujourd'hui....take it easy.Et bouddhiste n'est pas une religion...et quel est le rapport entre le procès des bahai en Iran et l'occupation israêlienne?Just a poke,and you'll feel better....

    GEDEON Christian

    08 h 30, le 27 septembre 2011

  • C'est de suite la réaction de celui qui SE sent morveux, alors il se mouche. Tasso, Mr Issal aussi est de l'étranger, pose lui la même question, comment peut il prétendre connaître le Liban mieux qu'un autre. Et puis Christian fais toi hindouiste si tu veux, tu connais la liste complète des persécutés de religion dans le monde, ne t'arrête pas à celle des Bahai . Tu sais le nombre de mosques et d'eglises détruites en israel ?? Non? tu veux qu'on en parle ? toc ,, toc Christian wake up.

    Jaber Kamel

    05 h 48, le 27 septembre 2011

  • Un tyran préserve juste...la tyrannie,à moins qu'on ne prenne le mot au sens grec du terme....Tiens ,et à propos de tolérance et de preservation,les Bahaï( que Dieu les garde,si je n'avais pas été irrémediablement chrétien,je les aurais rejoint) sont de nouveau victimes de pérsecutions en Iran....Kamel...toctoctoc...Kamel....fais quelquechose!

    GEDEON Christian

    05 h 24, le 27 septembre 2011

  • Kamel, ne mésestime pas les connaissances et les avis de Monsieur Saleh Issal. Tu n'es pas le seul détenteur des vérités dans ce monde. Tu oublies une chose, mon ami. Tu es né à l'étranger et tu n'as presque pas vécu au Liban. Nous avons vécu au Liban, et avons subi les conséquences désastreuses de la guerre civile et de tout ce qui se passe jusqu'aujourd'hui. Donc, un peu d'humulité, et essaie de comprendre aussi les autres et leurs appréhensions qui sont plus que basées, et n'en ris point s.t.p. Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    04 h 56, le 27 septembre 2011

  • Mr Jaber. Donc vous seul comprenez les mystères de la terre de vos ancêtres. Cela ne m'étonne pas vues les positions à l'encontre de toute logique ou de toute honnêteté intellectuelle que vous prenez en permanence. Mais pourquoi ne m'accusez vous pas cette fois d'être un agent israélien comme vos amis du hezb ont l'habitude de le faire avec tous leurs contradicteurs et comme vous l'avez déjà suggéré dans des interventions précédentes ? Peut-être que vous comprenez que ça ne passe pas tout le temps. Alors vous revenez aux origines des ancêtres. Beaucoup de bruit pour rien, Mr Jaber. Votre "pschiitt" cité dans votre réponse à l'article de Mr Touma montre en tout cas que vous avez bien compris le langage du SODA. C'est déjà pas mal. Encore un effort.

    Saleh Issal

    04 h 54, le 27 septembre 2011

  • Quand on a rien compris à ce qui s'est passé dans "la" région d'origine de ses ancêtres pendant 20 ans, comment Mr Issal peut comprendre ce qui se trame dans la région ? Des comparaisons complètements fallacieuses qui, j'espère pour lui, releveraient plus de l'ignorance du dossier moyen oriental que d'autres choses.

    Jaber Kamel

    04 h 25, le 27 septembre 2011

  • Ou et comment les chrétiens d’Orient auront un rôle essentiel à jouer dans les processus de démocratisation dans la région arabe . En Egypte ou en Irak ou bientôt en Syrie ou au lieu d’ un tyran on verra des tyrans massacrer ce qui restera des minorités diverses .Assez d’ illusions et croire toujours que les arabes vivent un printemps . Ils vivent plutôt un cauchemar . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    04 h 21, le 27 septembre 2011

  • Cet article est un sac gonflé à l'oxygéne du souffle court de son auteur et l'aiguille pour le ramener à un pschiitt est de lui rappeler que l'expérience des interventions irraisonnées en Irak, les changements en Egypte et les crises à répétition au Liban, toujours faites au non d'un unilatéralisme "démocratique" n'a abouti bizarrement qu'à l'effet contraire de ce qui en apparence avait été présenté comme une "libération des peuples". Deux dernières questions pour conclure Mr Touma, pourquoi a t il fallu patienter un demi siècle ( c'est vous qui le dites), pour comprendre que les peuples arabes avaient besoin de libertés, vis à vis des dictateurs qui n'ont servi qu'à l'occident tout ce temps.? Et pourquoi les ben saoud qui promettent la libération des femmes en... 2015 , qui soutiennent Ali Saleh et les rois de Bahrein sont exclus de votre cours magistral sur la charité chrétienne.?

    Jaber Kamel

    04 h 04, le 27 septembre 2011

  • Mr Jabbour. Vous avez peur du changement en Syrie car vous avez peur que les chrétiens ne subissent le pouvoir des "frères musulmans" si ceux-ci prenaient le pouvoir. Mais ces frères musulmans ont pris le pouvoir au Liban, Mr Jabbour, mais sous le nom de Hezbollah et de resistance islamique. Alors pourquoi les soutenez vous au Liban et les craignez vous en Syrie ? Et surtout ne me dites pas que ce n'est pas la même chose. Au Liban, c'est pire. Ils protègent même les présumés assassins des dirigeants chrétiens et ils défendent le régime de Bachar qui a assassiné d'autres dirigeants chrétiens tels que Bechir et René Mouawad.

    Saleh Issal

    04 h 01, le 27 septembre 2011

  • - - Vous n'allez quand même pas nous faire croire , que le sieur Geagea est mieux informé que le Saint Siège sur la situation des Chrétiens de ce MO en ébullition Islamique , où les pays " libérés " selon vous , par les révolutions de je ne sais quelle saison , s'apprêtent à remettre le pouvoir entre les mains des frères Musulmans Salafistes , qui ne reconnaissent que la Charia !! Pourquoi ne pas évoquer le sort des Chrétiens d'Irak dans votre article ? Non monsieur , un tel message ne sera pas compris comme vous l'espérez , mais le sera dans un autre sens , celui d'être contre l'église et ses directives , pour des intérêts électoraux et aussi , personnelles .. La situation en Syrie est sous contrôle , elle ne nous affectera en aucun cas , tant qu'elle l'est ! elle deviendra une menace pour les Chrétiens du Liban , le jour où les frères Musulmans prendrons le pouvoir , mais ça , ce n'est pas pour demain , et quand bien même , la visite historique de Sa Béatitude au Sud Liban , à sceller définitivement l'union sacrée entre ce que VOUS appelez minorités dans la région , et cette union est imbattable et le restera ainsi .

    JABBOUR André

    03 h 31, le 27 septembre 2011

  • Monsieur Michel Touma, mille fois bravo ! analyse des plus objectives. On ne trouve pas place pour rien ajouter ni commenter. Mille félicitations encore une fois ! Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    02 h 51, le 27 septembre 2011

  • Comment peut-on penser le contraire?

    Georges Daniele

    02 h 09, le 27 septembre 2011

  • rien à ajouter, tout est dit

    antaki loutfi

    01 h 03, le 27 septembre 2011

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