Le patriarche maronite a donc raison lorsqu’il souligne qu’il faut éviter d’être « superficiels » et qu’il faut envisager les choses « en profondeur » dans le jugement que nous portons sur les événements ou les propos qui sont tenus. Mais c’est justement parce qu’il ne faut pas être superficiel qu’il est inconcevable de passer sous silence des erreurs de jugement, de graves maladresses qui portent à conséquences, ou des égarements dans des prises de position contraires aux constantes de Bkerké, sous le seul prétexte qu’ « il ne faut pas critiquer » le patriarche maronite. Certes, le patriarche a droit à tout le respect et toute la déférence dus à sa fonction. Mais cela n’abolit nullement pour autant l’esprit critique – respectueux, convient-il d’insister – lorsque le cas se présente.
Or, précisément, les propos tenus par Mgr Raï ces derniers jours sont critiquables tant au niveau de la forme que du fond. Comme le soulignait le Amid du Bloc national Carlos Eddé dans ces mêmes colonnes, il est en effet édifiant qu’un homme de religion, qui, plus est, dirige les destinées d’une Église aussi importante que l’Église maronite, ait évoqué implicitement le problème de la légitimité du régime baassiste ou l’opportunité de sa pérennité sans songer à condamner, sans détour, les innombrables atteintes à la vie et la dignité humaines – qui se chiffrent par dizaines de milliers – dont est victime le peuple syrien quotidiennement et qui n’épargnent ni enfants, ni adolescents, ni jeunes, ni même les vieillards. Certes, à son retour à Beyrouth, et comme pour tenter de résorber le tollé provoqué par ses déclarations, Mgr Raï a dénoncé toute forme de violence. Mais c’était trop tard. Ce qui est incompréhensible, c’est qu’il n’ait pas eu l’élan spontané de le faire, en tant que chef spirituel, dès qu’il a évoqué la situation en Syrie, se contentant de se lancer dans des considérations de realpolitik.
Mgr Raï se plaint en outre que ses propos ont été mal interprétés et placés hors de leur contexte. La justification est classique en pareille circonstance. Mais est-il admissible qu’une personnalité de la trempe du patriarche maronite puisse tenir des propos qui portent à équivoque en abordant des dossiers aussi sensibles, aussi cruciaux que le sort des chrétiens d’Orient ou le devenir des révolutions arabes, ou aussi la nature des rapports entre les composantes sociocommunautaires de la région ? Lorsque de tels problèmes à caractère existentiel sont évoqués par un patriarche, chaque mot doit être savamment pesé, et l’ambiguïté ne saurait être tolérée.
Mais au-delà de ces questions de pure forme – qui ne sont pas sans importance –, c’est le problème de fond posé par Mgr Raï qui mérite une réflexion « profonde ». Sans offense, c’est se montrer véritablement « superficiel » que d’insinuer que le régime baassiste en place pourrait être une garantie pour les chrétiens de Syrie et du Liban, qu’une victoire de la révolution syrienne risquerait de porter préjudice à ces mêmes chrétiens, et qu’il faudrait – ou qu’il aurait fallu dans « le passé », peu importe – donner « une chance » au président Bachar el-Assad. Est-il besoin de rappeler, encore une fois, que ce même régime que l’on présente comme le « protecteur » des chrétiens du Liban et comme « garant des minorités de la région » (pour reprendre l’expression de l’ancien président Émile Lahoud) n’a épargné en trente ans d’existence absolument aucun effort, aucun moyen, aucune méthode pour briser le pouvoir chrétien au Liban et pour phagocyter le pays du Cèdre ? Demain, 14 septembre, le Liban commémore l’assassinat du président martyr Bachir Gemayel. À cette occasion, il serait bon de faire revivre dans notre mémoire la « guerre des cent jours » de 1978, lorsque les quartiers d’Achrafieh ont été bombardés sans pitié pendant près de trois mois par l’armée du régime des Assad. Il serait bon de se rappeler le siège et le bombardement de Zahlé en 1981, et le subit pilonnage aveugle des quartiers résidentiels des régions est un matin d’avril 1981 alors que la population vaquait normalement à ses occupations. Est-il besoin de rappeler cette funeste matinée d’août 2001 lorsque les militants aounistes et des Forces libanaises ont été sauvagement molestés et traînés dans la rue dans le secteur du Palais de Justice par les agents de ce même régime baassiste ? Est-il besoin de rappeler la longue série d’assassinats, d’attentats, de guerres ponctuelles et d’actes d’intimidation de toutes sortes qui, trente ans durant, ont maintenu le pays dans un état d’instabilité chronique ?
C’est en outre faire preuve de superficialité que de prétendre qu’il faudrait, ou même qu’il aurait fallu, donner « une chance » à Bachar el-Assad. Le jeune président syrien n’a-t-il pas eu sa « chance » dès son arrivée au pouvoir en 2000 ? N’a-t-il pas eu sa chance en 2005 à la faveur du congrès du Baas qui devait marquer le point de départ d’un processus de réformes ? N’a-t-il pas eu sa « chance » à la faveur de la politique de la main tendue pratiquée à son égard par le président Nicolas Sarkozy, et même par Saad Hariri ces derniers mois, sans compter le tissage de liens privilégiés initié par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar ? Mais ces différentes « chances » offertes au président Assad ont été exploitées par le régime baassiste pour uniquement gagner du temps, pour renforcer ses positions, pour mieux s’abattre sur ses adversaires, pour accroître sa politique de blocage au niveau régional, notamment au Liban. En un mot, pour tirer tout le profit possible de la politique de la main tendue sans jamais rien concéder de substantiel en contrepartie.
Et puisqu’il est question de donner une « chance », pourquoi ne songerait-on pas à l’octroyer plutôt aux factions libérales et démocratiques de la révolution syrienne – qui ne sont pas, semble-t-il, négligeables – afin de les renforcer face aux courants extrémistes, au lieu de miser sur un régime dictatorial, répressif et sanguinaire, qui appartient au passé et dont il est permis de douter de sa pérennité face à la vague du printemps arabe et à la lumière de la situation d’isolement international dans laquelle il s’est placé du fait de ses pratiques staliniennes d’une période à jamais révolue ?
N’est-ce pas faire preuve de superficialité que d’estimer que l’intérêt des chrétiens est de rester attachés à un tel régime honni par son peuple et qui ne peut plus survivre désormais que dans le sang, en pratiquant une politique aveugle et sauvage du « tout répressif » ? N’est-ce pas faire preuve de superficialité que de paraître semer le doute sur ses intentions à l’égard de la communauté sunnite, « soupçonnée » de vouloir « s’allier » aux sunnites de Syrie, au moment même (historique) où cette même communauté, dans son écrasante majorité, a rejoint les chrétiens dans l’option libaniste, sous le slogan « Liban d’abord », et en a payé le prix du sang ? S’il s’agit de percevoir les développements « en profondeur », force est alors de relever que c’est en naviguant dans le sens de l’histoire, c’est en donnant leur « chance » aux forces libérales et démocratiques du printemps arabe, en s’impliquant avec elles, et non pas en s’arrimant désespérément à des régimes mafieux et staliniens, que les chrétiens pourront garantir leur présence active et leur rôle dynamique dans cette partie du monde.
Au terme de près d’un demi-siècle de stagnation politique sur l’échiquier du Moyen-Orient, l’histoire est à nouveau en marche. Le tout est de ne pas se montrer « superficiel » en misant sur le mauvais cheval.
Pardonnez-leur Monseigneur, ils ne savent pas ce qu'ils font! Leurs intérêts sont SEULEMENT et petitement politiques. Ils sont fondés sur la PEUR ET L'ABSENCE D'AMOUR POUR LE PROCHAIN (points communs avec toutes les droites extrêmes de partout). Sachez que l'amour que vous insufflez dans le cœur de la plupart de vos ouailles directes et indirectes fera tomber les murs de la peur et de l'incompréhension et découvrira la vérité!!
03 h 56, le 16 septembre 2011