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Nos Lecteurs ont la Parole

La révolte populaire, entre impossibilité et inéluctabilité

Par Marwan HARB
Pour se maintenir au pouvoir, un dictateur doit toujours pouvoir agir de son bon gré en s’employant à le démontrer à chaque occasion. Or les relations entre dictature et soumission sont complexes et procèdent d’un équilibre qu’il est nécessaire de réajuster régulièrement. Un dictateur demeure toujours à la merci de la désobéissance du dominé. Qu’importe le prix, le peuple possède toujours la potentialité de faire cesser l’injustice.
La vraie énigme, certainement, c’est le point de révolte. Imprévisible, l’action qui semblait jusqu’alors exclue surgit de nulle part. Il est donc de la nature de l’insurrection de paraître aussi bien impossible qu’inéluctable.
Pour éclairer ce point obscur qui fait passer de la résignation à la résistance, il faudrait comprendre avec Étienne de La Boétie (1530-1563) « comment il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire, sinon tant qu’ils ont vouloir de l’endurer ».
Dans son traité Discours sur la servitude volontaire rédigé en 1549, La Boétie conclut que les peuples aiment le joug. Ils désirent un maître et préfèrent être assujettis. La première raison de la servitude étant la coutume, « l’accoutumance à bien servir prend chez l’esclave de allures de liberté ». Or, « il est vrai qu’au commencement on sert contraint et vaincu par la force, mais ceux qui viennent après, n’ayant jamais vu la liberté et ne sachant ce que c’est, servent sans regret et font volontiers ce que leurs devanciers avaient fait par contrainte. C’est pour cela que les hommes naissent sous le joug, et puis nourris et élevés dans le servage, sans regarder plus avant, se contentent de vivre, comme ils sont nés, et ne pensent point avoir d’autre droit ni autre bien que ce qu’ils ont trouvé, ils prennent pour leur nature l’état de leur naissance ».
Mais pour La Boétie, l’homme possède deux natures : l’une qui asservit et l’autre qui libère. La soumission étant volontaire, il n’y a pas lieu d’attendre du grand nombre un abandon de cette volonté. Entre le dictateur qui domine et le grand nombre dominé, s’intercale un petit nombre qui se reconnaissent et chez qui la liberté naturelle est encore en mémoire. En fait, si le peuple se maintient en servitude, c’est qu’il en est maintenu : « L’un précisément n’est jamais seul. » En fait, le dictateur dispose de moyens et de bandes pour le défendre d’après ce qui se profile sous nos yeux avec les bains de sang dans les rues du monde arabe. Mais comment les fidèles du dictateur, assujettis et esclaves eux-mêmes, tirent sur les foules et répriment à tour de bras ? Pour La Boétie, bâtir un État, c’est construire une pyramide de servitudes et de dépendances où chacun, se croyant le maître, est l’esclave de l’autre. C’est cette illusion de la maîtrise qui fait de tous et de chacun de petits chefs serviles à la dévotion du chef suprême, s’identifiant à lui, « jusqu’à devenir sous le grand tyran tyranneaux eux-mêmes ».
Comment alors un peuple peut-il rompre ce système, qui est construit pour la seule raison de se maintenir au pouvoir ? Ici, il faut faire appel à Camus : « Je me révolte, donc nous sommes. » En effet, ce qu’engendre la révolte de ceux chez qui la liberté naturelle est encore en mémoire, c’est un sujet collectif, ce n’est pas l’affaire d’un individu ni d’une collection d’individus. Ce qui donne sens à l’action, c’est d’abord une fusion des volontés. La Boétie a écrit en 1549 : « Soyez donc résolu à ne plus servir et vous serez libre. »
C’est ce qu’ont démontré les peuples tunisien, égyptien, libyen et syrien. Le désir de servitude peut avoir une limite. Le prix du sang peut encore conquérir la liberté.

Marwan HARB
Chercheur en philosophie politique
Pour se maintenir au pouvoir, un dictateur doit toujours pouvoir agir de son bon gré en s’employant à le démontrer à chaque occasion. Or les relations entre dictature et soumission sont complexes et procèdent d’un équilibre qu’il est nécessaire de réajuster régulièrement. Un dictateur demeure toujours à la merci de la désobéissance du dominé. Qu’importe le prix,...

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