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Au-delà de la façade

Comme un air de déjà-vu... Dimanche, en fin de matinée, le porte-parole du gouvernement de Mouammar Kadhafi, Moussa Ibrahim, s’adressait à la presse étrangère pour affirmer que le pouvoir – depuis, déchu – contrôlait « totalement et entièrement » la situation dans « tout Tripoli sans exception », et que seule une poignée d’éléments armés avait fait irruption dans un ou deux quartiers, mais que le problème avait été définitivement et rapidement réglé « en une demi-heure ». Presque au même moment, les insurgés prenaient pratiquement le contrôle d’une bonne partie des quartiers de Tripoli.
Ceux qui ont « assisté » (et le terme « assisté » n’est pas fortuit) à cette « scène », en tout point théâtrale, se sont sans doute souvenus d’une autre scène dont la similitude est frappante : celle de l’ex-ministre irakien de l’Information à l’époque de Saddam Hussein, Mohammad Saeed el-Sahhaf, affirmant au cours d’un point de presse informel en plein Bagdad que les informations faisant état de l’entrée de troupes américaines dans la capitale irakienne étaient totalement fausses. À un journaliste qui lui faisait remarquer que les blindés américains avaient déjà pris position à quelques dizaines de mètres de l’endroit où il se trouvait, dans la banlieue de Bagdad, le caricatural ministre irakien de l’Information persistait dans son déni en réaffirmant que cette information était sans fondement et que les développements des prochaines heures allaient le prouver. Ce fut la dernière apparition publique de M. Sahhaf...
Ces deux attitudes, à la limite de l’anecdote, peuvent paraître un tantinet risibles, mais elles sont quand même le reflet d’une certaine mentalité, d’une certaine « culture » politique (dans le sens réducteur du terme) ; elles sont, d’une manière caricaturale, représentatives d’un certain ordre politique arabe qui s’effondre progressivement depuis le début de l’année, sous l’effet d’une phénoménale onde de choc qui se propage de pays en pays. Les circonstances de l’évolution de cet ordre arabe, instauré entre la fin des années 50 et le début des années 60 du siècle dernier, ont permis aux dirigeants en place de se permettre de dire carrément n’importe quoi dans leurs interventions publiques. Comme lorsque le président Bachar el-Assad souligne, en commentant la position des Occidentaux à son égard, que de tels propos ne doivent pas être tenus à un président qui a été « choisi » par « le peuple syrien » (sic !). Ou lorsque l’ex-président Ben Ali déclarait, magnanime, avant sa chute, qu’il était contre « la présidence à vie »... Ingrat, le peuple tunisien n’a pas apprécié à sa juste valeur cette immense concession, ce geste altruiste. Et le général Michel Aoun, pour nous limiter au contexte libanais, n’a-t-il pas déclaré tout récemment que la situation est « normale » en Syrie, que ce qui s’y passe pourrait être comparé à des querelles entre des trublions dans un ou deux quartiers, et que lors de l’opération sécuritaire à Hama, l’armée ne s’est pas attaquée aux civils !?
Cette façon foncièrement tiers-mondiste de s’adresser à son opinion publique illustre en réalité, bien au-delà de la façade, certains aspects de la profonde crise structurelle qui a entaché l’ordre politique arabe au cours des dernières décennies. Dans la quasi-totalité des pays arabes – à l’exception, bien évidemment, du Liban –, les régimes en place jusque-là étaient le fruit soit de coups d’État militaires, soit le résultat d’une succession parentale. De sorte qu’au cours des cinq dernières décennies, les peuples de la région ont été soumis à des pouvoirs tyranniques et dictatoriaux pour lesquels les termes « opinion publique », « alternance du pouvoir », « reddition de compte », « libertés publiques », « pluralisme politique », « liberté d’expression », étaient totalement absents de leur lexique et de leur culture politique. Ce trait spécifique, d’une manière générale, aux régimes autocratiques s’accompagnait jusque-là dans les pays arabes d’une autre faille structurelle, non moins grave : la concentration du pouvoir aussi bien politique qu’économique, militaire ou sécuritaire entre les mains d’un clan familial, dans le sens le plus étroit du terme.
Les exemples de la Libye, de l’Égypte, du Yémen, de la Syrie et de la Tunisie sont sur ce plan particulièrement significatifs. Les principaux postes sécuritaires et militaires, ainsi que l’essentiel du pouvoir économique, y étaient, y sont toujours dans le cas de la Syrie, détenus par les fils, le frère, l’épouse, le beau-frère, le cousin... De sorte que dans ces pays, le régime, déjà au départ dictatorial, s’est rapidement transformé en clan non seulement familial, mais également, et surtout, mafieux, se laissant aller aux pratiques miliciennes les plus ignobles. Si bien que les gigantesques enjeux économiques et commerciaux forgés progressivement au fil des ans, en sus de l’avidité aveugle pour le pouvoir, ont fini par justifier les pires crimes, la barbarie la plus sanguinaire, la répression la plus sauvage, voire les massacres collectifs visant indistinctement hommes, femmes, enfants, vieillards, comme c’était le cas en Libye, comme c’est présentement le cas en Syrie.
Il est déplorable que certains leaders libanais et que les dirigeants arabes, notamment syriens, libyens et yéménites, n’aient toujours pas compris, ou s’obstinent à refuser de reconnaître que le printemps arabe, que le soulèvement populaire contre les clans familiaux et mafieux au pouvoir depuis des décennies, est un phénomène irréversible. Il est pitoyable de relever que ces leaders et dirigeants, libanais et arabes, se cantonnent toujours dans la politique de l’autruche, s’abstiennent de voir la réalité en face, et refusent d’admettre qu’en ce début de la deuxième décennie du XXIe siècle, les pratiques tyranniques, les méthodes tiers-mondistes qui étaient tolérées le siècle dernier ne peuvent plus aujourd’hui être maintenues et agréées.
Dans le cas bien particulier du Liban, il est tout aussi affligeant de relever, dans le sillage de ce printemps arabe, que certains leaders locaux – nommément ceux du 8 Mars, Hezbollah et Hassan Nasrallah en tête – se refusent toujours à saisir l’occasion réellement historique qui se présente aux Libanais d’ouvrir une nouvelle page dans les relations entre les deux peuples libanais et syrien, comme l’a si bien souligné le député Nadim Gemayel, dont l’audacieuse position à cet égard est à plus d’un titre hautement symbolique.
Mais le pouvoir peut parfois aveugler. Surtout lorsqu’il est mû par des dogmes, des pratiques et des mentalités d’un autre âge. Le soulèvement populaire qui déferle depuis le début de l’année sur le monde arabe est à cet égard profondément salutaire. Encore faut-il, pour certains, savoir prendre le train de l’histoire en marche.
Comme un air de déjà-vu... Dimanche, en fin de matinée, le porte-parole du gouvernement de Mouammar Kadhafi, Moussa Ibrahim, s’adressait à la presse étrangère pour affirmer que le pouvoir – depuis, déchu – contrôlait « totalement et entièrement » la situation dans « tout Tripoli sans exception », et que seule une poignée d’éléments armés avait fait irruption dans un...
commentaires (11)

Un obscurantiste est une personne qui prône et défend une attitude de négation du savoir (refuser de reconnaître pour vraies des choses démontrées), de restriction dans la diffusion d'une connaissance (sans nier la véracité d'une chose, considérer qu'elle ne peut être diffusée pour des raisons de toutes sortes : intérêt personnel, craintes sociales, etc.), ou de propagation de théories dont la fausseté est avérée... cette definition est on ne peut plus vraie lorsque l'on defend les frappes "humanitaires" et que l'on envahit un pays pour des armes qui ne s'y trouvent pas... lorsque l'on occulte le pouvoir militaire et que l'on refuse de voir le regain des politiques coloniales... pensez-vs sincerement que la Libye n'aura pas le sort de l'Irak? Lorsque pour des raisons obscures on cache la verite sur la situation d'un systeme militaro-financier mis en place pour piller les richesses d'autrui... l'obscurantisme comme vs dites ne c'est jamais aussi bien porte! malheureusement!

Michele Abboud

09 h 43, le 24 août 2011

Tous les commentaires

Commentaires (11)

  • Un obscurantiste est une personne qui prône et défend une attitude de négation du savoir (refuser de reconnaître pour vraies des choses démontrées), de restriction dans la diffusion d'une connaissance (sans nier la véracité d'une chose, considérer qu'elle ne peut être diffusée pour des raisons de toutes sortes : intérêt personnel, craintes sociales, etc.), ou de propagation de théories dont la fausseté est avérée... cette definition est on ne peut plus vraie lorsque l'on defend les frappes "humanitaires" et que l'on envahit un pays pour des armes qui ne s'y trouvent pas... lorsque l'on occulte le pouvoir militaire et que l'on refuse de voir le regain des politiques coloniales... pensez-vs sincerement que la Libye n'aura pas le sort de l'Irak? Lorsque pour des raisons obscures on cache la verite sur la situation d'un systeme militaro-financier mis en place pour piller les richesses d'autrui... l'obscurantisme comme vs dites ne c'est jamais aussi bien porte! malheureusement!

    Michele Abboud

    09 h 43, le 24 août 2011

  • Merci monsieur Touma pour cette vue d'ensemble absolument pertinente. Merci de dire les choses clairement et simplement. Le printemps arabe n'est que le début d'une nouvelle ère qui entraînera une part de difficultés mais qui aura l'immense qualité d'alléger un peu le poids de l'obscurantisme...

    rosa Zacharie

    16 h 10, le 23 août 2011

  • - - Cher monsieur Ali Badreddine , Merci pour votre gentil mot et encouragements . Mais sachez que nous ne sommes pas seuls ICI , heureusement d'ailleurs , sinon la situation serait vraiment grave et inquiétante . Il y a les deux excellents cousins Kamel et Selim qui nous manquent et dont les reactions tres enrichissantes manquent cruellement a ce forum , qui doivent se dorer la pilule au soleil en Turquie comme ils l'avaient annoncés , tout comme nous d'ailleurs , mais nous trois cités par vous , sommes connectés si j'ose dire et les deux cousins doivent être déconnectés ..Turquie oblige si vous voyez ce que je veux dire ..et bien d'autres qui me pardonneront si j'oublie de les mentionner .

    JABBOUR André

    13 h 46, le 23 août 2011

  • Michèle Abboud,Roy Allam,André Jabbour .. Bravo pour vos commentaires ,continuez ,dites ce que les autres essaient de cacher et stigmatisez leurs erreurs et de jugements et de visions que les autres lecteurs en prennent de la graine ! peut etre finiront ils par voir la vérité ..quoi que j'en doute fort Ali Badredinne

    badredinne ali

    11 h 10, le 23 août 2011

  • En bref M Petrossou, les gentils sont de vote côté et les méchants de l'autre. La fameuse summa divisio des US, le camp du bien et celui du mal, Jésus et Satan. Une aveuglante bichromie. Roy ALLAM

    roy ALLAM

    10 h 47, le 23 août 2011

  • l est dommage très cher M. Touma que certains commentent juste pour le faire sans vraiment comprendre le coeur du sujet. Merci pour cette très bonne analyse, bien a sa place, qui démontre par A + B comment et pourquoi les peuples de la région n'ont pu se développer mais sont restés prisonniers de leurs mentalités rigides et tribales. Non pas parce que cela leur plait mais parce qu'il le leur a été imposé par la force. Le plus tristes c'est qu'un pays comme le Liban qui a vu naître en son sein des êtres exceptionnels tel que les Émirs Fakhreddine et Bachir, des Khalil Gebran, des Charles Malek, des Boustany, des Rahbani, etc... a aussi du voir des Antoun Saadé, des Karamé, Aoun, Nasrallah et autres... Que Dieu nous en préserve!

    Petrossou

    08 h 11, le 23 août 2011

  • C’est la Crise Finale, suite à la "fin prochaine" du Régime Syrien ; et donc une Dangereuse et Totale Impasse pour ces "gens-là" ! Crise qui atteint de plein fouet et en premier la classe moyenne libanaise et syrienne tant musulmane que chrétienne ; c'est-à-dire la majorité du peuple libanais et syrien ! C’est cette classe moyenne tant citadine que campagnarde qui paye les frais de la débâcle du système Syro-libanais qui organisa "le Vol" systématique de l’Etat Libanais durant la période de l’occupation Syrienne ! C’est chez elle que la contre-révolution du Cèdre puisa son principal contingent de même pour la contre-révolution Syrienne actuelle ! L'enrichissement est une question de "Vie ou de Mort" pour le Libanais et le Syrien "moyen". Il en fit une question de vie ou de mort pour la Révolution du Cèdre ! Et il en fait de même pour celle actuellement en Syrie. La Révolution du Cèdre pour ce "Moyen-Malsain" ne fut désormais que le "liquidateur" de son bien être récemment acquis grâce au "Vol Organisé" établi par "ce Régime Siamois" syro-libanais ; et dans le Mouvement du 14 Mars comme dans celui actuel en Syrie, il ne voit que "le dissipateur" qui prend du "bon temps à ses frais" ! A ce "petit moyen et malsain-là". Ainsi, au lieu de continuer à compter leurs nouvelles fortunes, ils devront et feraient mieux de commencer à présent par compter les années qui leur restent à "tirer" avant leur Banqueroute Totale, Fatale et Inévitable toute prochaine ces "petits malsains-là" !

    KARAMAOUN Antoine-Serge

    06 h 12, le 23 août 2011

  • Bravo a Roy ALLAM... ce qui est d'autant plus cocasse c'est que l'actualite double l'article avant meme sa parution par un Sayf Al Islam defiant... remplacant l’information par un desir plus fort de propagande, les medias en deviennent Orwelliens, de Libye a la Syrie en passant par l'Iran, l'Irak, la Yougoslavie et meme les etats dit d'occident ou on a cache aux citoyens la verite sur le role des banques et la crise en gestation depuis des annees... Ns entrons ds une nouvelle periode neocoloniale ou les "puissants" pour sauver leur systeme defaillant croulant sous les dettes veulent voler les richesses des autres et cela par tous les moyens... ou le militaire vient secourir la finance. Une propagande pour pousser ses citoyens a plus de mobilisation est digne, que ce soit celle de Sahhaf ou celle des Syriens (plus de 500K manifestants a Hama!!)… l’OTAN et ses allies Libyens (puisque c’est bien d’une guerre de l’OTAN dont il s’agit) font tres fort… les enfants de Kadhafi y ont gagne plusieurs vies… mais bcp d’autres les ont perdues sous les bombes uraniumisees de l’OTAN et ca continuera pendant des annees!… Sahhaf c’est comptes des Mille et une nuits avec mensonges et tapis volants pour mobiliser son peuple, l’USNATO c’est tapis de Bombes et vols des richesses et vies des peuples devenus les esclaves du nouvel Empire… cela ne fait pas rire, effectivement !!

    Michele Abboud

    04 h 46, le 23 août 2011

  • - - Je ne vois pas du tout ce que vient faire le Liban et la majorité dans toute cette turbulence Arabo-Islamique citée par vous monsieur Touma , et surtout , cette association du nom et du soi disant rôle de GMA avec ceux de Moussa Ibrahim , Mohamad Saeed el Sahhaf ou bien Ben Ali , qui eux défendait leur régime , contrairement a Michel Aoun qui donnait son point de vue et opinion sur des événements extérieurs ,, qui jusqu'à aujourd'hui s'avère juste et non contradictoire ..! Vouloir coute que coute inclure le Liban dans ce chaos qui n'est pas le nôtre , ne réussira pas ni de près , ni de loin ,, le Libanais est désormais occupé , très occupé par le reconstruction de son pays , dans le vrai et bon sens du terme , et aussi et surtout , dans le reconstruction de la mentalité de son peuple qui a pris un coup en arrière durant ces 20 dernières années .

    JABBOUR André

    02 h 54, le 23 août 2011

  • La guerre de l'info, un vaste domaine dans lequel M Goebbels a excellé et fait des émules en particulier chez ses ennemis. En Irak vous nous parlez de ce pauvre M Sahhaf qui avec les moyens de bord tentait de tenir encore contre les hordes barbares (je pèse mes mots) qui détruisaient tout sur leur passage eux même galvaniser par les discours de leurs maîtres sur la présence d'armes de destructions massives en Irak. Vous en souvenez vous? On se moque du discours de M Sahhaf mais a t on pensé aussi à son courage et sa détermination dans une situation condamné dès le départ? M Sahhaf mentait mal. Les US ont menti "bien". M Sahhaf défendait sa patrie. Les US l'agressait. Et quel est le châtiment de ce crime odieux? M Blair n'a pas été invité au mariage royal. Il en frémit encore... Les cadavres en Irak ne se retournent pas dans leur tombe, il n'en ont même pas. Roy ALLAM

    roy ALLAM

    02 h 20, le 23 août 2011

  • Les leaders arabes n'ont que la façade.L'entrée sent le palais, et le logement la cabane. Ils finissent ainsi tous assassinés ou exilés , et avec touts ces soulèvements populaires qui déferlent actuellement ,Iben Khaldoune le grand sociologue disait , les arabes ne changeront pas en raison de leur nature sauvage, ils sont des pillards et des destructeurs. Ils pillent tout ce qu'ils trouvent sans combattre ou sans s'exposer. Ainsi dans touts ces pays que vous avez cité aucun nouveau gouverneur a été élu pour prendre le train de l’histoire en marche. Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    01 h 03, le 23 août 2011

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