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Culture - Festival de Beiteddine

Farida, le maqam irakien et la tradition de Bagdad

C’est un public de vrais amateurs qui est venu applaudir, jeudi dernier dans la cour intérieure du palais des émirs, Farida Mohammed Ali et l’Iraqi Maqam Ensemble. La chanteuse et ses dix musiciens ont emporté leur audience pour un long voyage dans la tradition de Bagdad.

Farida a associé l’Irak et le Liban dans chacune de ses improvisations chantées. (Photo Farès Chibabi)

Bagdad, l’une des villes du monde génératrices de rêve... Mésopotamienne, avidement désirée, conquise puis reprise par l’Occident avant de devenir la perle du califat abbasside et d’entrer triomphalement dans l’Empire ottoman. Même entrée dans le XXe siècle et fracassée contre les volontés implacables des dictatures, Bagdad reste un très beau nom et les artistes de la soirée de clôture du Festival de Beiteddine l’ont chantée et honorée deux heures durant, avec une émotion d’autant plus grande qu’ils sont tous installés en Hollande, leur pays d’accueil depuis 1997, et qu’ils ne cesseront de remercier aux moments des applaudissements.
Outre Farida, un autre grand artiste était sur scène: Omar Munir Bashir, qui a montré que l’on pouvait porter le nom de son illustre père – grand rassembleur et continuateur de la tradition musicale irakienne dont se revendique l’Iraqi Maqam Ensemble – et lui rendre hommage par la qualité de son jeu et sa curiosité hors frontières. Sa proposition de flamenco au oud, accompagné d’une guitare acoustique et de percussions, était convaincante.
Une demi-heure plus tard, l’ensemble irakien fait son entrée : quatre percussions, deux violons, une joza, un nay, un oud, un qanun, jusqu’à ce que Mohammad Hussein Gomar, fondateur et époux de Farida Mohammed Ali, annonce son arrivée sur scène. Le tahrir, ou longue introduction instrumentale, place d’emblée la barre haut: les musiciens sont excellents, rodés, plus que concentrés parce que le maqam irakien est connecté au spirituel. D’ailleurs, Farida est loin d’être une chanteuse, dans cette tradition le plus souvent exclusivement masculine: elle est récitante, qaria’, mot employé pour designer celui qui lit le Coran. De son beau regard brillant et rieur, elle regarde le public, attendant son tour. Et le voyage commence dès la première note, faisant l’effet de l’Orient-Express donnant son coup de sifflet strident juste avant de s’ébranler lentement vers des destinations merveilleuses: quelle voix ! Son pouvoir évocatoire, vibrant sur un mode vieux d’au moins cinq siècles – d’aucuns placent la naissance du maqam irakien aux sources de Sumer et de Babylone –, la place immédiatement dans une lignée très respectable de chanteurs orientaux. Sauf que ces gutturales infiniment travaillées sont à elles seules un somptueux caravansérail d’influences bédouines, kurdes, turkmènes, perses et turques.

Essence spirituelle
Il fallait au moins l’air chaud du désert dans la voix de Farida pour contrecarrer les torrents de brume qui se sont engouffrés dans la petite cour ou bruisse la fontaine... Et ce fut chose faite, assurément, d’autant que, comme l’ont prouvé les nombreuses réactions des auditeurs, Bagdad est encore et toujours cette ville qui fait vibrer les cœurs, par ce qu’elle endure encore aujourd’hui et par les beautés qu’elle continue d’offrir. Le couple d’artistes a manifesté avec beaucoup de candeur et d’humilité sa joie de participer au Festival de Beiteddine, dont leur avait parlé, il y a vingt ans de cela, un certain Munir Bashir, et Farida a longuement associé l’Irak et le Liban dans chacune de ses improvisations chantées.
Bien sûr, le programme est taillé sur mesure pour un public moyen-oriental qui, peu à peu, se déconnecte, du moins dans certaines sphères, de sa mémoire et de sa tradition, et ce même sans l’aide mortifère des dictateurs qui sont à présent en train de tomber. Mais Farida chante avec la ruhiya (l’essence spirituelle), cela va sans dire et c’est l’exigence première de tout maqam irakien, dont les récitants hors pairs au XXe siècle étaient applaudis à tout rompre dans les cafés de Bagdad lors de performances vocales allant parfois jusqu’à durer neuf heures d’affilée!
Des concerts comme ceux-ci, par les temps agités, indignés pour reprendre un mot à la mode, que sont en train de vivre de nombreuses populations arabes, rappellent que la mémoire n’est jamais aussi bien réactivée que par les arts. Ces arts qui, loin de tout délire de conquête et de sang versé au nom du pouvoir, sont encore et toujours un rempart contre la barbarie. Jusqu’à quand?
Bagdad, l’une des villes du monde génératrices de rêve... Mésopotamienne, avidement désirée, conquise puis reprise par l’Occident avant de devenir la perle du califat abbasside et d’entrer triomphalement dans l’Empire ottoman. Même entrée dans le XXe siècle et fracassée contre les volontés implacables des dictatures, Bagdad reste un très beau nom et les artistes de la soirée...

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