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Place des Amours mortes

N'importe quel habitant de Beyrouth pourra vous dire le temps qu'il faisait ce 14 février d'il y a quatre ans. Pour ma part, je peux affirmer qu'au moment où les portes ont bougé et que les vitres sont parties en éclats, vers 12h50, le ciel était bleu, juste parsemé de quelques nuages blancs que pourchassait un vent froid. La grisaille saisonnière n'est tombée que plus tard, quand tout a été accompli.
Nous sommes tous des émus du 14 février. Des émus de la place des Martyrs maintes fois rebaptisée et qui nous draine encore vers elle, vain pèlerinage du souvenir. Des émus de cette émotion fédératrice que provoquent en disparaissant certaines figures, adulées ou contestées, qu'importe.
Pour certains, Hariri est allé trop vite en besogne, à vouloir à tout prix effacer ce paysage de ruines devenu familier, où les milices résiduelles avaient leurs quartiers, et où s'étaient installés en foultitude des garagistes de fortune qui vous réparaient au pied levé pneus et « échiquements » (sic), et pratiquaient d'autres commerces encore. Sortir cette ville des décombres, c'était s'attaquer à une jungle où des hordes armées ont longtemps fait leur loi, assurant des squats à certains, monnayant leur protection à d'autres, partageant avec les chiens errants et les chats échaudés des ruelles fantomatiques mangées de végétation opportuniste. Pour ceux-là que narguait le ballet incessant des grues, il y avait, dans cette reconstruction menée tambour battant, comme un outrage à la civilisation de guerre, un mépris des prérogatives et des acquis des katiouchas et des kalachnikovs. Comme une décision unilatérale d'imposer la paix, qui était en soi une déclaration d'hostilité.
Pour les autres, ces calfeutrés dans leurs livres, ces réfugiés du satellite et des ondes, ces accrochés au téléphone, dernier lien de leurs familles disloquées, ces habitants d'un microcosme étroit qui survivent à la violence extérieure en cultivant un humanisme à l'état de bonzaï ; pour ceux-là, voir Beyrouth émerger des décombres avait quelque chose d'un mirage. Non pas qu'ils refusaient d'y croire. Depuis le temps qu'ils voyaient, d'un œil désabusé, d'autres capitales partir de rien pour remplacer l'antique nôtre, ce n'était pas mauvaise volonté de leur part, mais la chose était invraisemblable.
Voilà quatre ans que nous sommes à nouveau dos à dos, les payeurs d'impôts pour financer un miracle, et les raquetteurs nostalgiques des slogans creux, des ruelles obscures et des enseignes borgnes. Les uns ont perdu l'espoir déjà bien mince de retrouver un pays pacifié et viable. Les autres sont orphelins d'un ennemi à la mesure de leur haine. Double chagrin d'amour ■
N'importe quel habitant de Beyrouth pourra vous dire le temps qu'il faisait ce 14 février d'il y a quatre ans. Pour ma part, je peux affirmer qu'au moment où les portes ont bougé et que les vitres sont parties en éclats, vers 12h50, le ciel était bleu, juste parsemé de quelques nuages blancs que pourchassait un vent froid. La grisaille saisonnière...
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