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Aux portes

Je croyais qu'on ne s'entendait pas, et je découvre qu'on s'écoute. Et je trouve que, d'un certain point de vue, c'est plutôt une bonne nouvelle. Comme une preuve rassurante que l'indifférence, signe ultime de l'usure du couple, n'a pas encore fait ses ravages.
Car toute surveillance téléphonique qui n'est pas directement liée à la lutte contre le terrorisme ne peut être qualifiée que de passionnelle. Passionnelle l'écoute des caciques entre eux, passionnel le traçage des moindres mouvements du parti adverse, passionnée l'oreille tendue aux inflexions d'une voix qui ne dit plus que ce qu'elle souhaite faire entendre. L'amour, la haine, la curiosité, la jalousie, la luxure, la colère, l'orgueil... Ne manquent que l'avarice, car cela coûte cher, et la paresse, car il y faut de l'énergie, à ce véritable concentré de pathos et de pêchés capitaux qui se niche dans une table d'écoute.
En Occident, une discrétion de bon aloi a succédé aux délations de la Seconde Guerre. Depuis plus de 60 ans, les conversations évitent de s'appesantir sur les questions d'ordre privé. La Méditerranée, elle, ne dément pas sa réputation de bavarde, et l'Orient est perçu comme hautement éruptif. Nous sommes en Méditerranée orientale.
Ici, on est chatouilleux de l'amour-propre, ce qui incite à la méfiance. Une longue tradition tribale a ancré en nous un intérêt quasi pervers pour les oignons des autres. Dès lors, toute information est pour son détenteur un véritable trésor. Que dire lorsqu'elle est puisée à l'oreillette même de l'informateur qui l'a arrachée au plus secret des cordes vocales de son client ?
Un trésor, soit, mais à l'arrivée, pour quel usage ? Depuis la série d'attentats qui a endeuillé le Liban, il ne se trouve plus un seul député, ministre ou haut fonctionnaire, pour échanger au téléphone ou par courrier électronique autre chose que des banalités. Gageons que toutes les écoutes enregistrées depuis lors ne contiennent que des informations volontairement trompeuses, éventuellement des recettes de cuisine. J'en connais qui sont revenus à la bonne vieille lettre manuscrite ornée de pleins et de déliés, en-tête côté face, soigneusement pliée en accordéon, glissée, à 2 cm du haut pour éviter le coupe-papier, dans une enveloppe anonyme scellée à la cire et portant « PP » ou « EV ». Plus frustes ou plus malins, d'autres apprivoisent des pigeons voyageurs.
Gageons donc que les écoutes d'ordre privé, depuis belle lurette, ne servent plus à grand-chose. Si l'on nous assure qu'elles se poursuivent malgré tout, c'est qu'il y a assurément entre nos chefs une histoire d'amour ou de haine - ce qui parfois revient au même -, une sorte de dépendance affective dont les prochaines élections nous révéleront peut-être les arcanes ■
Je croyais qu'on ne s'entendait pas, et je découvre qu'on s'écoute. Et je trouve que, d'un certain point de vue, c'est plutôt une bonne nouvelle. Comme une preuve rassurante que l'indifférence, signe ultime de l'usure du couple, n'a pas encore fait ses ravages.Car toute surveillance téléphonique qui n'est pas directement liée à la lutte...
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