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L’année du keffieh

Par Fifi Abou Dib

Tout à coup le paysage a été envahi de keffiehs. On en a vu partout, dans toutes les capitales, en boîte, dans les centres commerciaux, au cinéma, des jaunes, des roses, des bleus, des rouges, des pailletés, des brodés de fleurs. Dans le domaine de la mode, « tendance » est toujours synonyme de nausée.
Longtemps le keffieh fut le signe de ralliement du « mounadel », version obsolète du « jihadi », et avatar arabe de la guérilla internationale. Dans les années 70 qui ont vu les Palestiniens, dopés par les accords du Caire, faire à Beyrouth une entrée triomphale par anticipation, le keffieh, à ne pas confondre avec un vulgaire « chèche », avait déjà du tempérament. Et déjà il y avait quelque chose d'hérétique à s'entourer le cou de cette toile blanche et noire où le tissage, à mi-chemin entre pied-de-coq et svastika, évoque des barbelés. Car le keffieh se porte couvrant. Il doit faire office de masque. Il garantit l'anonymat du combattant, la fusion de son individualité dans la masse de ses frères d'armes. À l'origine, le Palestinien ne se montrait en keffieh que lors d'une opération armée. Le seul Palestinien que l'on pouvait voir en keffieh, avant que Yasser Arafat ne se taille dans ce foulard une couronne, était un Palestinien mort. Voilà pourquoi des voix puristes se sont élevées pour dénoncer le déversement chinois de keffiehs multicolores aux rayons fanfreluches des boutiques pour minettes. On a vu dans le galvaudage outrancier de ce symbole viril et douloureux, dans le détournement de cet insigne guerrier en dress-code juvénile, la mort littérale de la cause palestinienne. Dépouillé à ce point de sa signification initiale, le keffieh ne peut plus se porter au combat sans un certain ridicule, même avec les deux doigts en « V », symbole churchillien d'une victoire éternellement conjuguée au futur.
Depuis le dernier massacre interpalestinien, le keffieh « ne le fait plus ». Tout se passe comme si cet accessoire fédérateur n'ayant plus cours, les fripiers ont décidé d'en écouler les surplus en le livrant à la « tendance ». Fin d'un mythe ?
Mais un mythe chasse l'autre, et voici que nos frères palestiniens, n'ayant plus de cause que leur désespoir et la déshumanisation systématique de leur peuple par l'État hébreu, voici donc qu'ils érigent en emblème la poupée sanguinolente. Plus une manifestation antisioniste qui ne voit son cortège de baigneurs, emmaillotés de draps blancs tachés de mercurochrome. Le député Ali Ammar lui-même est venu avec sa poupée au Parlement. Dénoncer le massacre des innocents est évidemment bien plus que légitime. Le transformer en mascarade est d'un goût douteux. Il est des jouets à ne pas mettre entre les mains des adultes. Pour sauver ce qui peut l'être encore de ces enfances hypothéquées au nom du martyre et des intérêts des nations ¦
Par Fifi Abou DibTout à coup le paysage a été envahi de keffiehs. On en a vu partout, dans toutes les capitales, en boîte, dans les centres commerciaux, au cinéma, des jaunes, des roses, des bleus, des rouges, des pailletés, des brodés de fleurs. Dans le domaine de la mode, « tendance » est toujours synonyme de nausée....
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