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Liban - En dents de scie

L’amour à trois

Vingt-quatrième semaine de 2011.
Rentré dans son fief pour un week-end de fiestas où il aurait célébré en grande pompe sa seconde fusion avec ce Sérail qui lui manquait à en crever, Nagib Mikati a reçu de ses Tripolitains de bien singuliers baklavas. Six morts, au moins, bilan du nouveau rodéo, réellement macabre cette fois, entre sunnites de Bab el-Tebbané et alaouites de Jabal Mohsen, entre Libanais pro et antisyriens. Imperturbable et oscarisable à souhait, le Premier ministre confesse alors tout haut au cours d’une conférence de presse impromptue ne pas savoir qui a envoyé ce message, ne pas savoir quel en est le but... On en aurait ri : pendant que le peuple syrien continue d’asséner de magistrales leçons aux Arabes (et aux Russes et aux Chinois...) et au monde, et à l’heure où le gang de Damas semble avoir décidé qu’il était temps que les projecteurs se braquent ailleurs, temps, donc, de commencer à rallumer des feux (trop) mal éteints au Liban, ce sont sûrement les Hollandais et les Estoniens qui ont enflammé la mèche tripolitaine. À moins que ce ne soient les Japonais... Ou le courant du Futur qui bovaryse. Peut-être les Vénézuéliens...
Sacré Mikati, tout de même.
Il se serait sûrement passé de ce baptême de sang, le successeur d’un Saad Hariri tragiquement aux abonnés absents/abois. Déjà que tout a mal commencé. Nagib Mikati, de son propre aveu, barbotait comme un poisson dans l’eau dans ce vide positif qui lui convenait finalement si bien. Jusqu’à ce que Bachar el-Assad exprime un simple souhait  : à en croire les milieux du 8 Mars et les sources proches de Baabda, c’est très courtoisement et très humblement, presque en s’excusant, que ce grand humaniste de président syrien a exprimé son désir, délivré son conseil d’ami, ou de grand frère, c’est pareil.
Alors, tout s’est emballé à un rythme fou. Un pur James Bond politique. Hassan Nasrallah a promis à Nagib Mikati de réduire au silence les exigences de Michel Aoun, ce qui a été promptement mené, proposant même, si cela pouvait aider, de sacrifier ses deux ministres hezbollahis, ce qui a provoqué l’entrée en scène immédiate et tonitruante du philanthrope absolu, Nabih Berry, qui a renoncé à son troisième ministre chiite pour que l’Oxfordien Fayçal Karamé, renié soit dit en passant par son propre oncle, puisse siéger au gouvernement, ce qui a permis à Michel Sleiman de signer un décret qu’il n’aurait jamais accepté de parapher quelques heures plus tôt, s’autorisant au passage un excès de zèle d’une maladresse inouïe : assurer à qui voulait bien l’entendre (mais qui ? ...) que ce gouvernement a été accouché sans la moindre ingérence extérieure – sans doute évoquait-il lui aussi, c’est dans l’air du temps, les Hollandais et les Estoniens.
Personne n’écrasera la moindre larme : Nagib Mikati a tout fait pour en arriver là. Malin comme il l’est, il a commencé par mettre tout son poids sur l’urgence socio-économique, sur la priorité à donner au quotidien des Libanais, au développement. À la bonne heure ! Ces Libanais seraient ravis si leur pouvoir d’achat augmentait, si l’électricité et l’eau revenaient, si l’essence et le pain et la téléphonie mobile et les loyers et la vodka polonaise et les doughnuts du Kansas devenaient moins chers. Les Libanais adoreront, mais les Libanais, malgré les efforts conjugués du neuf-dixième de la classe politique qui les gouverne, réussissent encore à ne pas confondre vessies et lanternes. Ils savent, ces Libanais, qu’on ne commence pas à construire un château par le toit. Ils savent, aussi abyssales que soient leurs doléances, qu’il y a plus urgent encore que les promesses poujadistes de leur nouveau gouvernement.
Parce que à quoi tout cela servirait si le Liban chutait dans cette interminable nuit que s’échinent à fabriquer depuis quelques années les tee-shirts noirs du Hezb et les cravates orange du CPL ? À quoi tout cela servirait si la résolution 1701 n’était pas appliquée à la lettre ? Si le Tribunal spécial pour le Liban n’allait pas jusqu’au bout ? Si l’État ne ressuscitait pas grâce au désarmement de la milice hezbollahie et des groupuscules palestiniens, à une véritable stratégie de défense, au respect radical de l’institution, avant que cela ne se fasse par les grâces de ces (certes) indispensables changement et réforme ânonnés chaque jour de Rabieh ? Si la démocratie, les libertés, la souveraineté, l’indépendance, le droit et, surtout, la loi, la même loi pour tous, n’étaient pas sanctuarisés ? Si, enfin, surtout, la Syrie devait être (légalement) autorisée, aidée, encouragée par des Libanais criminels et suicidaires à exporter ses problèmes au Liban ?
À rien.
Nagib Mikati, Michel Sleiman et Walid Joumblatt le savent mieux que les autres. Ils savent que c’est de leur intransigeance, de leur absolue et incontournable solidarité, de leur audace et de leur courage, de leur intelligence et de leur bon sens, si tant est qu’il leur en reste ou qu’ils veuillent bien s’en souvenir et les imposer, que tout dépend. Ce sont eux, et avec eux leurs 11 ministres, et seulement eux qui pourront faire en sorte que ce gouvernement ne devienne pas un énième, mais cette fois ultime, fossoyeur du Liban. À eux trois, et inconditionnellement à trois, d’imposer des votes en Conseil des ministres à chaque fois qu’il le faut ; à eux trois de ne pas céder aux menaces d’autres 7 Mai ; à eux trois de fixer et de respecter une échelle de priorités, de valeurs et de risques à prendre, indispensable pour la survie d’un Liban tel que l’exige la majorité des Libanais ; à eux trois d’expliquer à l’autre camp que tout le monde se noiera en même temps au cas où... ; à eux trois de sauver ce qui peut encore l’être.
Ils ont cent jours pour montrer la voie. Le feraient-ils qu’ils magnifieraient immédiatement l’esprit et la lettre de la révolution du Cèdre ; qu’ils incarneraient furieusement un salutaire 14 Mars bis.
Il y a juste un léger handicap de départ : plus que de l’utopie, ce scénario reste de la science-fiction. Pure.
Vingt-quatrième semaine de 2011.Rentré dans son fief pour un week-end de fiestas où il aurait célébré en grande pompe sa seconde fusion avec ce Sérail qui lui manquait à en crever, Nagib Mikati a reçu de ses Tripolitains de bien singuliers baklavas. Six morts, au moins, bilan du nouveau rodéo, réellement macabre cette fois, entre sunnites de Bab el-Tebbané et alaouites de Jabal...
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