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Liban

Des cl(o)aques...

Bien sûr, l’alternance a du bon, du très bon, du très sain, du très nécessaire. Bien sûr, le tout noir/tout blanc n’existe pas et rien n’est plus désolant qu’un manichéisme de supermarché : aucun collectif au monde n’échoue sur toute la ligne ; il y a toujours une ou deux réussites. Bien sûr, cette équipe aurait pu être pire – mille fois pire. Bien sûr, rien n’est plus insipide et délétère qu’un procès d’intentions, même lorsque toutes les présomptions à charge sont là, tangibles et solides. Bien sûr, il vaut mieux, tellement mieux, se dire que dans le pays de tous les (im)possibles, un miracle n’est jamais bien loin, et/ou attendre que ces (presque) 30 ploucs/pleutres trébuchent lamentablement en entraînant le pays avec eux avant que de les noyer de critiques. Bien sûr.
Mais dieu(x) que les senteurs de ce second gouvernement Mikati sont putrides, vichyssoises, miteuses. À peine formé, pas encore au travail, ce cabinet pue. Il pue la régression : combien de fois les investisseurs étrangers, publics et privés, mais aussi arabes et plus particulièrement ceux du Golfe, vont-ils tourner leur langue dans leur bouche avant que d’avancer le moindre dollar ? Il pue le négationnisme : l’Italien Cassese à la présidence du TSL et l’Espagnol Asarta à la tête de la Finul ont de grosses chances de finir au chômage. Il pue la vassalité, le gouvernement Mikati, cette dhimmitude que la dynastie Assad a vendue comme un sérum de vie à la moitié des hommes politiques libanais : le cabinet Mikati est la roue de secours d’une dictature syrienne un peu plus défoncée chaque jour. Il pue la revanche : rien n’est plus important pour le 8 Mars que de (se) prouver, cela est normal et légitime, sauf que ces prosyriens et ces pro-iraniens sont convaincus que la seule façon de faire est de dynamiter tout, absolument tout ce que leur prédécesseurs ont fait, avec une affolante bêtise, une affolante ignorance de la continuité, de cette fluidité indispensable au maintien d’une République – d’autant plus urgente que le Liban est en pleine dégénérescence.
Le casting, où pullulent les candidats malheureux aux législatives 2009 et duquel sont honteusement et stupidement absentes les femmes, est à la hauteur de ce scénario : sinistre. Ali Hassan Khalil, Fayez Ghosn, Nazem el-Khoury et le cousin par alliance de Michel Aoun, Gaby Layoun, sont autant faits pour être ministres de la Santé (aussi peu minutieux qu’il ait pu l’être, Mohammad Khalifé restait bien plus qualifié que le coursier ultrazélé aux innombrables allers-retours entre Verdun et Rabieh...), de la Défense, de l’Environnement et de la Culture que Brad Pitt pour remplacer Dominique Strauss-Kahn au FMI. Et Mohammad Safadi, qui voit enfin un demi-rêve se réaliser – c’était le Sérail qu’il voulait ? Pensera-t-il au Trésor avant ses ambitions politiques ? Autre problème, et de taille : combien de temps faudra-t-il à Charbel Nahas pour déconstruire, comme il l’a fait aux Télécommunications, le ministère du Travail ? Il n’empêche : avec un successeur comme Nicolas Sehnaoui, il risque d’être fortement regretté, à moins que le toujours nécessaire Maurice Sehnaoui ne dirige, des coulisses, ce navire night que sont les Télécoms. Et Marwan Charbel à l’Intérieur ? Rien n’est moins rassurant pour les libertés publiques qu’un ancien gradé, noyé entre deux allégeances qui plus est... Restent les trois pompons : Nicolas Fattouche, à qui le Liban doit la moitié de son déboisement, Gebran Bassil, toujours à l’Énergie et aux Ressources hydrauliques, et Adnane Mansour aux Affaires étrangères, où il représentera sans aucun doute autant Beyrouth que Damas et Téhéran.
Il y a pourtant, dans tout ce noir, deux bonnes nouvelles : Hussein Hajj Hassan reste à l’Agriculture, et aussi dédié soit-il au wilayet el-faqih, son bilan reste excellent, et Waël Bou Faour, qui pourrait faire de grandes choses aux Affaires sociales, surtout s’il marche dans les pas de son prédécesseur, Sélim Sayegh. Deux bonnes nouvelles et deux gros points d’interrogation : Samir Mokbel à la vice-présidence du Conseil, qui n’a plus rien à prouver/gagner et, surtout, Chakib Cortbawi à la Justice, dont le cursus dans le monde judiciaire reste impressionnant, sauront-ils rester fidèles au Liban qu’ils ont toujours défendu, un Liban souverain, démocratique, ouvert à tous les mondes, en parfaite harmonie avec la légalité internationale, un Liban où l’État (de droit) prime sur toutes les milices, un Liban, s’il fallait choisir, plus Hong Kong que Hanoi, plus Ibiza que Gaza ?
Une question qui va comme un gant à celui qui va très probablement vivre mille enfers dans les mois à venir, un homme dont le masochisme semble être au moins égal à sa mégalomanie, ce milliardaire dont le seul fantasme est de devenir le nouveau Zorro sunnite, le nouveau sauveur, le nouveau Rafic Hariri : Nagib Mikati, qui assurait il y a quelques jours, avant le mot d’ordre syrien, que ce vide positif le satisfaisait pleinement. Nagib Mikati qui se retrouve, absolument otage, à la tête d’un gouvernement presque atrocement identique à ceux que présidait l’ancien PM assassiné tout au long des années 90 : un gouvernement de tutelle, qui ne rendait de comptes qu’à Damas.
L’un venait du Sud, l’autre débarque du Nord, mais les similitudes entre les deux hommes sont inouïes. Rafic Hariri a choisi de ne pas se transformer en Omar Karamé ou en Abdel-Rahim Mrad : il a dit non aux Syriens. Nagib Mikati aura-t-il le même courage, la même audace, la même force ? Si oui, les Libanais lui souhaitent une tout autre fin.
P.-S. : tout le monde ou presque veut faire passer Nabih Berry pour une Iphigénie sacrificielle, un grand seigneur de la déconfessionnalisation politique tout empreint d’abnégation et qui s’est amputé d’une part de baklava pour que ressuscite enfin une République. Il n’en est rien. Nabih Berry a d’une part obéi aux objurgations syriennes et, de l’autre, parce qu’il est brillant, a compris qu’en rompant les us et coutumes, en cédant un portefeuille, c’est un cabinet presque dans sa totalité soumis à leurs desiderata que ses alliés et lui obtiennent.
Bien sûr, l’alternance a du bon, du très bon, du très sain, du très nécessaire. Bien sûr, le tout noir/tout blanc n’existe pas et rien n’est plus désolant qu’un manichéisme de supermarché : aucun collectif au monde n’échoue sur toute la ligne ; il y a toujours une ou deux réussites. Bien sûr, cette équipe aurait pu être pire – mille fois pire. Bien sûr, rien n’est...
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