Quel batracien !

« Une grenouille vit un bœuf qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf. Envieuse, s'étend, et s'enfle et se travaille pour égaler l'animal en grosseur (...) La chétive pécore s'enfla si bien qu'elle creva. »
Dommage pour cette chère petite grenouille. Elle aurait patienté quelques siècles encore et elle serait devenue une star. Oui, si le batracien vert de M. Jean de la Fontaine n'avait pas eu des rêves bovins, il serait devenu une vedette. Il aurait eu une chaire d'académicien et surtout de longévité... chez ce bon M. Walt Disney.
Confidente des princesses dans les contes de fées, la grenouille se transforme en prince charmant à l'occasion. Elle sait ainsi se faufiler partout, et ces jolies jouvencelles couronnées n'ont jamais pris de bœuf pour ami. C'est elle qui a une place de choix au palais. Et cela, notre poète classique ne l'avait pas prévu.
Ainsi, nul besoin de régime hypercalorique pour égaler ce bovidé qui finit ses jours à l'abattoir. La grenouille, au moins, personne n'a envie de sa chair verte et molle. Elle, au moins, n'est pas pendue sur le croc d'un boucher. Tout ce qu'elle risque, si elle se fait attraper, c'est de se faire sonder au microscope au labo et mourir en héros, au nom de l'humanité.
Enfin, on ne risquerait jamais de voir dans un film une pluie torrentielle de bœufs comme celle qu'on a vu dans Magnolia, la magnifique œuvre du cinéaste Paul Thomas Anderson. Reprenant les légendes et mythes de l'histoire, le metteur en scène fait pleuvoir à l'écran une averse de grenouilles. Une scène qui achève en apothéose ce long-métrage qui évoque les hasards et coïncidences de la vie.
Voilà Mlle la grenouille ce que vous avez raté si vous n'aviez pas été prise d'une envie folle d'imiter ce bœuf beuglant. Vous auriez fini vos jours en éclaboussant la terre comme ces gouttes de pluie revigorantes. Sur le bûcher de l'immortalité.