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Culture - Cinéma

« La nuit du verre d’eau » de Carlos Chahine, un verre bien rempli

Dans « Mother Valley » en anglais et « Ard el-Wahem » en arabe, son premier long-métrage, le réalisateur libanais dissèque le pays des années 1950 et son côté patriarcal et féodal.

« La nuit du verre d’eau » de Carlos Chahine, un verre bien rempli

Une scène du film « La nuit du verre d’eau » de Carlos Chahine. Photo Sarmad Louis

La nuit du verre d’eau est le premier long-métrage de Carlos Chahine, rompu jusque-là à l’exercice du court-métrage.

Ce verre d’eau, c’est ce souvenir d’enfance intime qu’il ne livre pas totalement, qui lui est très cher et constitue le point de départ de ce film dont le titre varie en fonction des langues ; en anglais, ce sera Mother Valley, en arabe Ard el-Wahem, distribution oblige.

Ce film très généreux en plans cinématographiques, d’une beauté à couper le souffle, sur la vallée sainte de la Qadicha, nous rappelle à juste titre combien ce pays est beau. C’est d’ailleurs le parti pris du réalisateur, qui n’a toujours pas résolu ce dilemme qui secoue de nombreux Libanais piégés entre leurs racines et l’exil. Le Liban de sa montagne, il le trouve tellement beau, Carlos Chahine, qu’il le fait dire à Nathalie Baye, dont il confie qu’elle a généreusement accepté un second rôle. Second rôle, certes, mais catalyseur dans le film dont la dynamique s’articule autour de l’arrivée de ces deux touristes français, mère et fils (Nathalie Baye et Pierre Rochefort), dans cette superbe montagne libanaise.

Nous sommes en 1958, le Liban va connaître (pour changer) des événements tumultueux. Sorte d’écho lointain qui résonne encore aujourd’hui ? Carlos Chahine le qualifie de « répétition générale au grand spectacle qui commence en 1975 ». « 1958, pour moi, c’est le premier effondrement, et peu de gens savent que le premier débarquement américain au Proche-Orient était sur les plages de Beyrouth », précise le réalisateur. « Après cette période, ce fut l’âge d’or du Liban tel que mes parents et grands-parents l’ont connu, et je trouve terrible cette espèce d’illusion d’un pays qui n’est pas celui que nous connaissons aujourd’hui, avec sa complexité. J’avais envie que ces temps constituent le cadre du film », poursuit-il. Et c’est sur fond de révolution et de conflits sectaires que Carlos Chahine va prendre son scalpel et disséquer les fondements d’une société féodale et patriarcale, ainsi que son aristocratie.

Nathalie Baye et Maryline Naaman dans le film de Carlos Chahine. Photo 13 Productions

Dans cette société, les traditions pèsent de tout leur poids, brident la liberté des femmes qui trouveront quand même une brèche à exploiter. Et comme souvent, c’est à travers l’étranger que l’équation va se refondre. L’étranger qui ouvre insidieusement des portes fermées à double tour, sans même le vouloir, mais qui va permettre aux femmes du film de s’émanciper.

Le film de Carlos Chahine raconte l’histoire d’une famille qui gravite autour de la figure paternelle : le cheikh. « Comme mon grand-père », affirme celui qui a observé les valeurs et constaté les relations très étranges qu’il entretenait avec les paysans. « C’est un monde que j’avais du mal à appréhender », indique -t-il.

Le film se penche aussi sur la construction de cette cellule familiale, ses ramifications, ses tensions, le rôle des uns et des autres au sein de cette entité. Mais c’est aussi un film résolument féministe, centré sur les femmes, leur place au cœur de la société de l’époque, leurs sentiments en clair-obscur et leur sexualité. D’ailleurs, le film livre une scène de sexe des plus sensuelles et plus pudiques du cinéma libanais, jouée par l’héroïne du film Layla (Maryline Naaman) et servie par son acolyte au faciès buriné Talal Jurdi. Un segment qui, pour le réalisateur, tient lieu de pierre angulaire du film, car il narre le destin de cette femme.  Selon Chahine, c’est l’actrice Maryline Naaman qui a choisi de totalement s’abandonner et révéler toute sa féminité sans qu’il n’ait à le lui demander. L’artiste dit accompagner l’état d’âme de son héroïne Layla au moment où elle ouvre les yeux sur sa condition de femme, sur le désir, et qu’aucun retour en arrière n’est possible.

Antoine Merheb Harb, qui campe le rôle du fils très attaché à sa maman dans « La nuit du verre d’eau ». Photo 13 Productions

Autre pôle central du film, la présence du petit Antoine Merheb Harb, qui campe le rôle du fils très attaché à sa maman qu’il voit s’éloigner et pour qui ce verre d’eau, qu’il réclame, est un appel au secours. C’est aussi le reflet d’une enfance qui oscille entre l’angoisse et l’incompréhension vis-à-vis de ce monde d’adultes qui l’invite prématurément.

Carlos Chahine décortique par ailleurs le concept du couple au sein de la société libanaise, l’institution incontournable du mariage et l’influence parentale afin de le concrétiser. Le malaise que tant de conformité à tous les niveaux engendre et la violence qu’elle peut générer, sans oublier l’importance de la religion, prégnante tout au long du film. Le film est soutenu par une bande originale signée Antonin Tardy, jeune compositeur talentueux à qui Carlos Chahine a demandé de « penser une musique qui rajoute une couche, qui ne soit pas dite à l’image mais qui soit la musique de Layla et permette d’entrer dans l’âme de l’héroïne ».

« Les gens que j’aime sont beaucoup les exclus, peut-être à cause de la singularité du métier que j’exerce, les cinéastes sont des exilés, des solitaires, et ce sont eux qui me touchent », souligne le réalisateur. Dans le film et sur toile de fond de l’époque, le cinéaste fait le pari audacieux d’aborder le thème de l’homosexualité, de la différence. « J’avais envie que Layla ait un allié, et surtout de montrer que nul n’est ce qu’il a l’air d’être. »


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Un air d’authenticité flotte de bout en bout dans ce film à l’esthétique soignée qui devrait ravir le public libanais, comme d’autres d’ailleurs. Il est auréolé de plusieurs prix dont, entre autres, le prix du public à Cinemed Montpellier, le⁠ prix du meilleur film arabe au Festival du Caire, le grand prix Hassan II au Festival international de cinéma d’auteur à Rabat et le prix de la meilleure actrice pour Marilyne Naaman au Festival international du film de Amman.

Dans les salles libanaises depuis jeudi 15 février.


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