La voix, ce mystère

Avoir voix au chapitre, rester sans voix, donner sa voix, déplacer des voix, élever la voix, placer sa voix, prêter sa voix, avoir les larmes dans la voix...
La voix est un mystère. Intrigante depuis la nuit des temps, elle est de l'ordre du divin. Selon certaines mythologies, l'expiration d'un son est à l' origine du monde. Platon y voit le reflet de l'âme. Orphée, grâce à son chant, parvint à faire fléchir Hadès, le dieu des enfers. Les hommes chantent pour communiquer avec leurs dieux, écoutent la voix du Seigneur. Au commencement était la Parole... portée par la voix.
Au-delà de sa dimension mystique, la voix est la carte d'identité de l'homme, de sa personne dont l'origine en latin « personare », ou sonner à travers, évoque la résonance du corps dans son environnement. Tous les paramètres de la voix : le timbre, la hauteur, l'intensité, l'intonation, se conjuguent en une harmonie instinctive pour refléter le rapport psychologique de l'homme à son monde externe. La peur, la colère, l'angoisse, la joie... toutes les émotions transparaissent. Vivante est l'image d'une mère implorant son fils éloigné : « Fais-moi entendre ta voix... »
La voix est ainsi le véhicule des paroles et des émotions. Elle est émise pour être entendue et pour que l'autre réagisse. La voix est cependant insaisissable et abstraite : comment est-elle produite, où prend-elle naissance, comment est-elle acheminée dans le corps pour ne plus nous appartenir du moment où elle franchit notre bouche ?
La voix n'a pas d'organe en particulier, elle est le résultat de la synchronisation du souffle, de la vibration des cordes vocales et de la résonance dans la cavité pharyngo-buccale. L'appareil vocal ressemble ainsi à celui d'un instrument à vent constitué d'une soufflerie, d'un vibrateur et d'une caisse de résonance.
Le souffle correspond au geste respiratoire. Une respiration haute, courte, haletante, à l'opposé d'une basse, ample et souple, ne permettra pas une voix modulée, résonnante et puissante.
Les cordes vocales, au nombre de deux, à l'intérieur d'un cartilage plus proéminent chez l'homme que chez la femme et qui est la pomme d'Adam, se mettent en vibration sous l'effet du souffle sortant.
La vibration est acheminée alors vers le pharynx, la bouche et les fosses nasales pour résonner, s'enrichir et s'articuler, devenant ainsi un outil formidable de communication. Cette dernière se définit comme un processus d'échange entre émetteurs et récepteurs. Ainsi, la voix, qui est le véhicule du message émis, trouve son existence dans l'oreille du récepteur. Il est ainsi fondamental et crucial de considérer la voix comme indissociable de son impression acoustique. Ce rapport peut être illustré par l'autoaffection de la voix : c'est le fait de s'entendre parler qui régule la voix. Une personne malentendante, par exemple, parlera trop ou pas assez fort car elle ne peut pas s'entendre pour ajuster le « volume » de sa voix.
La voix d'un individu est ainsi soumise à sa propre oreille et à celle de son auditeur. Le Huche, phoniatre français, quand on lui demandait « Où doit-on placer la voix ? », répondait : « Dans l'oreille de celui qui doit la recevoir. »
L'effet de la voix sur celui qui l'écoute est ainsi une évidence. Qui n'a pas été transporté un jour par la magnificence d'un chœur, tombé sous le charme d'un soliste ou fasciné par la puissance charismatique du discours d'un politicien ? La voix se manifeste dans le chant, dans la parole conversationnelle, mais aussi dans la rhétorique ou l' « art oratoire ». Aristote y avait déjà défini les conditions d'un langage relevé d'assaisonnements, soit l'utilisation du rythme et de la mélodie selon les sentiments exprimés. Cicéron attribuait même à la mise en voix et en gestes une supériorité par rapport aux paroles : souvent des pensées fines passent par-dessus la tête de personnes qui manquent de finesse alors que l'action et la voix émeuvent tous les hommes, ils les reconnaissent car elles sont communes à tout le monde. Des voix cassantes, hostiles et méprisantes rebutent. Des voix enjouées, expressives et puissantes captivent. Des voix plates, monotones et ternes ennuient...
Force est de constater que la voix est un instrument précieux pour l'être humain. Même si elle est primordiale pour certains professionnels comme les enseignants, les chanteurs, les politiciens... rares sont ceux qui s'en servent de manière consciente et efficace, et souvent, malheureusement, elle ne se rappelle à nous que lorsqu'on la perd...
Par bonheur, « si l'homme est ingrat, l'humanité est reconnaissante ». À la voix est consacrée une journée mondiale. Le 16 avril, professionnels de la voix, médecins ORL, phoniatres et orthophonistes ont uni leurs efforts pour redonner une voix à celle qui, depuis notre premier cri jusqu'à notre dernier souffle, nous accompagne, nous charme et nous transporte.

José SACRE
Orthophoniste