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Culture - Salon du livre de Paris

I- Les écrivains du Nord : explorations des secrets de famille

À cette édition 2011, ils sont 40 écrivains invités d'honneur venus du froid pour témoigner de la vitalité de la littérature nordique, porteurs d'un imaginaire foisonnant et d'une grande tradition narrative, dans un bruissement de forêts et le clair-obscur des paysages intérieurs et extérieurs.

La romancière islandaise Audur Ava Olafsdottir, avec sa traductrice, et l’animateur Frédéric Ferney.

Pendant quatre jours, du 18 au 21 mars, le Salon du livre de la Porte de Versailles a vibré aux accents des lettres scandinaves, islandaises, danoises et même samies (de la Laponie), chargées des récits des conteurs, anciens et modernes. Les héritiers d'Ibsen, d'Andersen, de Karen Blixen, de Selma Lagerlöf et Sigrid Undset (prix Nobel de littérature, 1928) s'appellent Per Olov Enquist, Stieg Larsson, Camilla Läckberg, Henning Mankell (pour la Suède), Kari Hotakainen, Arto Paasilinna, Sofi Oksanen (pour la Finlande), Steinunn Sigurdardottir (Islande), Trude Marstein, Per Petterson, Herbjorg Wassmo (Norvège), Jens Christian Grondahl, Jorn Riel et Peter Hoeg (Danemark).
Cette littérature nordique a commencé à se faire connaître dans les années 90 et 2000 grâce à un véritable engagement des États suédois, norvégien, danois, finlandais, qui se sont mobilisés pour créer des organismes chargés de promouvoir leur littérature à l'étranger, par le biais d'un travail d'information et d'aides à la traduction. Parallèlement, en France, des éditions comme Actes Sud, Gaïa et aujourd'hui Stock s'ouvrent à cette littérature septentrionale et à sa diversité, sa mélancolie et son humour particulier.
Au cœur de cette vitalité littéraire, la part belle revient aux femmes, qui dépeignent leur société avec une lucidité confinant à l'introspection. Même dans les récits des auteurs masculins, les femmes sont omniprésentes, au travers de la famille, sujet prépondérant dans les œuvres des écrivains invités au Salon.
C'est d'ailleurs autour de ce thème de la famille que démarre la première rencontre du Salon avec les auteurs nordiques Kari Hotakainen (La Part de l'homme, J.C. Lattès), Audur Ava Olafsdottir (Rosa Candida, éd. Zulma) et Herbjorg Wassmo (Cent ans, éd. Gaïa), animée par Frédéric Ferney, journaliste au Point et à France Culture.

Le poids des questions familiales
La famille est le lieu des non-dits, des secrets enfouis, des histoires cachées que les femmes portent en elles sur des générations, jusqu'à ce que l'une d'elles, écrivaine, l'accouche sur le papier avec peine, au bout d'un long travail de catharsis. Tel est le cas de Herbjorg Wassmo, qui raconte l'histoire d'une lignée de femmes dans le cadre rude du Nordland, à l'extrême nord de la Norvège. « La famille est la première violence que va subir l'individu, dit-elle, et si elle est nécessaire, il est aussi important que l'individu en sorte. » La rencontre avec le public au Salon se double de confidences : Herbjorg avoue avoir eu une enfance marquée par la souffrance, celle générée par la violence et les abus du père, qui « est mort trop tard », et celle que les paroles font naître, entre mère et fille. C'est ainsi, écrit-elle, que « l'histoire de la mère fait obstacle, avec tout ce qu'elle comporte », elle peut être fardeau. Les études au frais de l'État, la contraception, l'écriture ont permis à Wassmo de gagner son indépendance. Grandit-on toujours par ruptures ? Avec sa famille, son cadre d'origine, son identité ? En faisant d'autres choix que la naissance n'a pas permis ?
« J'ai écrit mon roman, Cent ans, pour rendre hommage à ma mère, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère, précise la romancière norvégienne. Quant au Nordland, je l'ai en moi. Les gens sont forgés par la nature ; je porte en moi la mer et la montagne, cadre de liberté ou prison ? Peu importe, je l'ai en moi. J'en raconte les richesses naturelles et la générosité des gens, la pêche au hareng, la récolte abondante de pommes de terre, les veillées de lecture. »

En Islande, la littérature puise aux sources d'une langue qui se rapproche de ce qui fut l'idiome commun des pays scandinaves. Une solide tradition de conteurs plonge ses racines dans la nuit des temps, depuis que les Vikings amenèrent des esclaves d'Irlande et, avec eux, un patrimoine celtique fait de sagas et de poésie. Cette fibre poétique se retrouve sous la plume d'Audur Ava Olafsdottir, qui met en scène un antihéros viking, lequel, comme l'explique la romancière dont le livre a marqué la rentrée islandaise, « ne va pas à l'étranger pour piller, mais pour porter des fleurs », dans une histoire chargée de symboles. L'écrivaine s'est glissée dans la peau de son héros masculin pour savoir avec lui « comment devenir un homme, un amant, un père, un fils ? En effet, pour un jeune homme, la paternité peut être abstraite au début, ce qui est le cas de mon héros au début du roman, puisqu'il a un fils et qu'il quitte sa famille pour exaucer les dernières volontés de sa mère en emportant ses boutures d'une rose rare qu'elle a cultivée.» «C'est un roman d'apprentissage, ou de désapprentissage», précise l'auteur de Rosa Candida. « La rose est le symbole de ce que l'homme et la femme ont en commun, de la part féminine de l'homme, une masculinité apaisée, sensible. Rosa candida est aussi le nom que l'on donne à la Vierge Marie. »
On le voit donc, une écriture tout en finesse, où « l'optimisme islandais, la naïveté et la volonté de faire mieux » sont présents.

Pour Kari Hotakainen, «La part de l'homme» est celle de l'exploration (tragique) des vérités d'une famille, des mots qui les disent ou les taisent. Dans cette histoire d'une vieille mercière, Salme, qui décide de «vendre sa vie » à un écrivain en mal d'inspiration pour 7000 euros, il y a aussi la peinture d'une société finlandaise en proie aux changements advenus depuis quarante ans. « Le personnage de Salme est inspiré à 60 % de ma mère, 20 % de ma sœur, 20 % de moi-même et 10 % de mon imagination», souligne l'auteur, qui distille avec sérieux son humour à froid.
«Jusqu'à l'âge de 35 ans, l'homme est immortel ; après, il se rend compte qu'il va mourir, et moi je sais, poursuit-elle. Salme voit déjà la fin de sa vie, c'est pourquoi elle parle franchement, sans aucun langage politiquement correct. Mais au fond d'elle-même, elle est heureuse. Dans mon roman, les personnes âgées donnent une certaine profondeur au monde moderne. Le roman est, à mes yeux, la façon la plus libre de s'exprimer en art. »

Trois auteurs, trois écritures. Dans quelle mesure se sentent-ils appartenir à une entité commune ? Y a-t-il une identité nordique ?
Avec son humour décalé, Hotakainen relève que les écrivains nordiques ont en commun «un hiver de sept mois avec moins 30 degrés ». Et il ajoute : «C'est pourquoi j'attends un grand roman de printemps nordique. »
Le dernier mot revient à Wassmo : «Nous avons quand même une histoire commune, des forêts énormes, la mer qui nous entoure. Cela veut dire qu'il faut parcourir des distances énormes pour aller ailleurs, trouver à manger, chercher la connaissance et aussi la foi. Nous avons également la connaissance et aussi la foi. Nous avons aussi la notion de la solitude, qui est tragi-comique chez nous, ainsi que le sens de la solidarité, puisque nous sommes une communauté assez petite à l'échelle mondiale.»
Pendant quatre jours, du 18 au 21 mars, le Salon du livre de la Porte de Versailles a vibré aux accents des lettres scandinaves, islandaises, danoises et même samies (de la Laponie), chargées des récits des conteurs, anciens et modernes. Les héritiers d'Ibsen, d'Andersen, de Karen Blixen, de Selma Lagerlöf et Sigrid Undset (prix Nobel de littérature, 1928) s'appellent Per Olov Enquist,...

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