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Dossiers Liban - Débat

II – Les solutions proposées au problème des minorités : les chrétiens du Moyen-Orient comme modèle

Dans le cadre du synode épiscopal sur les églises du Moyen-Orient qui s'est tenu au Vatican du 10 au 24 octobre dernier à l'initiative du pape Benoît XVI, et qui avait pour thème « L'église catholique au Moyen-Orient : partenariat et témoignage », le professeur Nabil Khalifé, expert en affaires géopolitiques, a élaboré une étude géopolitique sur la situation des chrétiens d'Orient, offrant ainsi une approche complémentaire à celle du document final du synode (voir « L'Orient-Le Jour » du 11 janvier). Dans cette deuxième partie de l'étude, l'universitaire aborde le problème des minorités dans la région en considérant le cas des chrétiens d'Orient comme modèle.

Les parents des victimes de l’attentat dans la capitale irakienne.

Est-il possible d'envisager des solutions au problème des minorités qui a été qualifié par une étude comme « la mère des problèmes dans la région depuis 2 000 ans, et jusqu'à nos jours » ?
1 - Il est important de relever, d'entrée de jeu, les principaux obstacles qui entravent de telles solutions :
a - Israël, en sa qualité de leader de la pensée minoritaire et de la présence minoritaire dans la région. Sa stratégie consiste à stimuler et soutenir les orientations minoritaires face à la majorité arabe sunnite de manière à parvenir à la pureté juive de l'État d'Israël. Un tel objectif est devenu sa condition fondamentale pour la paix. Israël considère que « le Moyen-Orient est formé de collectivités religieuses, confessionnelles, ethniques et linguistiques qui ne sont liées par aucun lien national ou patriotique, et par conséquent, chaque collectivité dans la région devrait avoir son État et sa patrie » (Saadeddine Ibrahim). L'objectif d'Israël à cet égard est de s'octroyer une légitimité - étant un État minoritaire isolé - et d'imposer son hégémonie à ces mini-États, en conflit entre eux, qui l'entourent.
b - Les fondamentalismes religieux juif et chrétien, et particulièrement musulman, à l'ombre de l'effondrement des idéologies, de l'extension du facteur religieux, de l'accroissement du taux démographique, et de la lutte contre l'Occident, suppôt d'Israël, en vue de préserver l'identité musulmane.
c - La discorde entre sunnites et chiites, les chrétiens devant œuvrer à l'empêcher et à éviter d'en être les victimes s'ils ne font pas preuve de vision correcte et d'éveil et s'ils n'agissent pas de manière adéquate. J'avais mis en garde contre une telle discorde devant l'assemblée des patriarches catholiques d'Orient (la 4e conférence, Raboué, septembre 1994) dans une conférence ayant pour thème « Une lecture actuelle de la situation des chrétiens d'Orient ». Cette discorde est devenue aujourd'hui une éventualité qui saute aux yeux et un cauchemar que vit la région du Golfe à la Méditerranée.
d - Les intérêts des nations qui cherchent à maintenir le Moyen-Orient dans une situation de faiblesse sous le poids de ses dissensions et de ses problèmes internes et externes afin de pouvoir plus facilement réaliser leurs intérêts stratégiques.
e - La mondialisation qui représente aux yeux du monde musulman « une invasion qu'il est nécessaire de combattre en tant que projet hégémonique qui se manifeste par le biais de la culture, de l'économie et des valeurs, un projet qui concentre la force aux mains d'une seule partie afin d'effriter la collectivité pour mieux la contrôler ». Cela est suffisant pour stimuler les fondamentalismes comme contre-réaction, occultant ce que la mondialisation peut apporter à l'homme comme possibilités de contrôle sur l'univers, et mettant plutôt l'accent sur la menace qu'elle fait planer sur les cultures et les identités. D'une manière générale, les chrétiens sont classifiés dans la catégorie de ces forces hégémoniques occidentales (les forces de la mondialisation) ; ils sont perçus sous cet angle et sont parfois traités en conséquence...
2 - Si la géopolitique signifie « l'analyse des concurrences entre des forces sociales ou étatiques qui cherchent à imposer leur contrôle sur un espace géographique déterminé et sur ses habitants dans le cadre d'un équilibre de forces donné », il serait alors important de revenir aux paramètres géopolitiques des minorités chrétiennes afin de comprendre leurs préoccupations et par suite leurs aspirations à la lumière de la géopolitique des religions basée sur « des conflits à caractère régional entre des collectivités politiques ayant des labels religieux, chacune d'elles légitimant ses positions, ses revendications à caractère régional, ses appréhensions et ses ambitions démographiques à partir de l'idée selon laquelle elle est la seule religion juste et la religion la plus crédible entre les civilisations, et qu'elle craint les fanatiques de la religion concurrente » (Yves Lacoste : Religions et géopolitiques, Hérodote, no. 106, 2002, p.3).
a - Les motivations qui sont la source de la dynamique minoritaire chrétienne car elles sont issues de l'essence de ce qu'endurent ces minorités - la marginalisation, l'injustice, et l'oppression -, ce qui les pousse à élaborer leur idéologie et à œuvrer par la suite à dépasser leur réalité soit par l'exode et la diaspora, soit par la confrontation...
Pour faire preuve de rigueur scientifique historique, force est de relever que les premières épreuves endurées par les chrétiens sont le fait d'autres chrétiens, en raison de divergences d'ordre idéologique et théologique (la nature du Christ et Sa volonté), et elles ont été ensuite le fait des autorités byzantines qui voulaient imposer leur vision chrétienne à tous les chrétiens de l'empire. Après la conquête islamique, les épreuves endurées ont été le fruit des autorités au pouvoir : de l'époque de l'État des Omeyyades à l'ère de l'Empire ottoman, jusqu'aux pays arabes et aux deux États turc et iranien après la Première Guerre mondiale. Les épreuves endurées variaient cependant d'un État à l'autre et d'un régime à l'autre en fonction de la nature du régime et de la situation des chrétiens au sein de chaque État...
b - Les intentions, résumant les aspirations et les espoirs des minorités, lesquelles assurent alors leur liberté, leur sécurité, leur mode de vie et leur identité dans un cadre étatique et social qui leur soit adéquat et qui leur assure un minimum de droits civils, c'est-à-dire un minimum de droits de l'homme.
c - Les objectifs. Chercher à aboutir à une entité politique et géographique déterminée, indépendante ou quasi indépendante, qui permettrait à la minorité chrétienne d'affirmer son existence, son rôle, sa présence et sa liberté (le Liban des maronites, la Cilicie arménienne, Hakari entre les deux fleuves pour les Assyriens...), la « géographie des montagnes refuges » se transformant de lieu d'asile en bastion et puis en patrie...
À chaque fois que les minorités chrétiennes misaient sur les grandes puissances (la Russie, la Grande-Bretagne, la France), après la Première Guerre mondiale, pour les aider à réaliser leur rêve en une patrie indépendante ou quasi indépendante, elles faisaient face, avec surprise, à la traîtrise des grandes puissances, et elles étaient soumises de ce fait à des massacres. Seule exception : le cas libanais qui a pris forme par la proclamation du Grand Liban grâce à une initiative maronite et libanaise, avec l'assentiment de la France. Le Liban est ainsi devenu, et il est toujours, le joyau des chrétiens d'Orient.
À ces trois paramètres théoriques correspondent trois paramètres pratiques :
(i)    Le contrôle, chaque collectivité politico-religieuse cherchant à contrôler un espace géographique déterminé à la lumière d'un équilibre de forces, se basant pour ce faire sur des prétextes religieux, historiques et géographiques.
(ii)    L'espace. Ce dernier est l'étendue géographique (la terre, ou la zone) qui est au centre d'un conflit et d'une lutte, en vue de son contrôle, entre les groupes socioreligieux, dans le sillage de représentations se rapportant à des considérations religieuses et idéologiques, surtout si l'espace devient le symbole de la collectivité (le Liban par rapport aux maronites).
(iii)     Le pouvoir, lequel est l'instrument qui réalise et confirme le contrôle de l'espace. D'où la tentative de chaque collectivité politico-religieuse d'instaurer un pouvoir qui relèverait d'elle ou qui lui serait loyale ou qui constituerait pour elle un soutien, en fonction de l'équilibre de forces.
Dans la géopolitique des religions, chaque religion s'emploie à mettre en place un pouvoir qui croit, totalement ou partiellement, en sa doctrine religieuse, ce qui implique :
+ l'organisation de la société en fonction de son livre saint pour ce qui a trait à son mode de vie spirituelle, morale, politique, civile et sociale.
+ un lien entre la légitimité de cette religion et un système spirituel et divin qui passe outre à la volonté de « l'autre » et des gens, de manière à ce que la source de la légitimité soit la tradition religieuse (donc la religion) et non pas la volonté du peuple (donc la démocratie), ainsi que la dissociation entre les lois révélées et le droit positif.
+ une compétition en vue du contrôle du même espace géographique, symbole religieux pour plus d'une religion (Jérusalem, à titre d'exemple), ce qui aboutit nécessairement à un conflit entre les religions concernées. Cela rend alors la solution plus difficile, voire impossible, car il est difficile de diviser ce qui est sacré ; et se départir de ce lieu sacré, ou d'une partie de ce dernier, reviendrait dans l'esprit de la collectivité à se départir de ce qui est sacré dans la foi, la religion et la doctrine.
3 - Traiter la question des minorités
Le traitement « sérieux » de la question des minorités, notamment des minorités chrétiennes, repose sur trois principes qu'il est nécessaire d'adopter et de s'y conformer. Ces principes sont, selon le penseur égyptien Saadeddine Ibrahim :
a - Le fédéralisme, qui reconnaît le pluralisme au sein de l'État arabe et en tire profit, et qui réconforte les minorités chrétiennes fixées dans une région géographique déterminée. Ce système permet aux fils de cette région de s'autogouverner et, partant, de préserver leur culture locale sans subir un effacement de la part de la majorité, lequel mènerait, avec le temps, au conformisme et à l'uniformisation. Il s'agit d'une reconnaissance rationnelle du pluralisme et un dépassement du jacobinisme dans sa perspective idéologique.
b - La démocratie : il s'agit du meilleur moyen qui permet à tous les fils de la société et de l'État de participer à l'administration de leur société sur un même pied, ce que souhaitent et veulent les minorités, parce que cela leur donne la capacité politique de participer, d'exprimer leur opinion, de pouvoir exercer leur droit à l'autodétermination, de planifier leur avenir et de protéger leurs intérêts. Ainsi, les minorités sentent-elles qu'elles font naturellement partie du tissu social de l'État, et qu'elles ne sont pas rejetées et marginalisées. Le fait pour les minorités de profiter des pratiques démocratiques est cependant lié avant toute chose au degré de conscience de la minorité et à son développement socioculturel. Et, plus important encore, à sa conscience des limites qu'elle doit respecter dans l'exercice de son droit, sans aller trop loin en aspirant à une séparation entre son identité communautaire et son identité nationale. L'appartenance ethnique/communautaire doit rester au service de l'appartenance nationale générale... sans qu'il n'y ait une inversion à ce niveau.
En contrepartie, la majorité est appelée à son tour à ne pas imposer une seule culture à une société culturellement pluraliste, ni un pouvoir politique représentant une seule partie de la société seulement, fut-elle majoritaire. À cet égard, le titre du célèbre ouvrage d'Alain Touraine est particulièrement expressif : Qu'est-ce que la démocratie ? Pouvoir de la majorité ou bien garanties de la minorité ? (Fayard, Paris, 1994). Aussi, selon Touraine, « avant que le but de la démocratie ne soit de fonder une société politique juste ou d'éliminer tous les genres de domination et de manipulation, son objectif principal doit être de permettre aux individus et aux sociétés de devenir des entités libres, qui façonnent elles-mêmes leur histoire et soient capables d'opérer une synthèse dans leur action entre la systématisation de la raison et la particularité de l'identité personnelle et sociétale. C'est pourquoi il faut donner la priorité au droit de chaque être humain de confirmer sa liberté à travers son expérience personnelle (et minoritaire) et contre les relations de domination de parties déterminées (majoritaires) ».
c - La société civile : elle est le corollaire du fédéralisme et de la démocratie, dans la mesure où elle repose sur l'action d'ONG et inclut d'habitude des syndicats, des partis, des clubs et des associations... Le plus important est qu'elle est formée de plusieurs groupes (minoritaires et majoritaires), ce qui affaiblit le côté sectaire du conflit au sein de la société. Ces formations civiles œuvrent généralement au service d'objectifs d'ordre général, non sectaires, et les syndicats et partis se retrouvent dans ce cadre, au niveau de la pensée, dans leur aspiration à servir les intérêts généraux des citoyens. Cette démarche contribue à offrir à la minorité l'opportunité d'être plus encline à s'intégrer dans la vie de la société, ce qui permet de transformer la confrontation entre les minorités et la majorité d'une confrontation fiévreuse en une confrontation pacifique.
d - L'État-Nation : d'aucuns ajoutent à ces « remèdes » un quatrième remède, l'État-Nation, qui est une doctrine claire et cohérente, généralement à caractère scientifique et laïc, qui repose sur la foi en une réalité sociale fondamentale dont les éléments sont : une nation déterminée dans une patrie déterminée, avec un nationalisme déterminé, des principes précis revêtant un caractère global, percevant la société comme une société unie et faisant preuve de cohésion (d'après la vision doctrinaire) ou en voie de l'être. Dans un tel cas de figure, les clivages confessionnels et raciaux sont surmontés et le problème des minorités s'estompe (théoriquement).
Cette thèse théoriquement cohérente a fait face à deux obstacles essentiels :
(i)    Les théories philosophiques idéologiques exhaustives (le nationalisme et le gauchisme) qui ont été axées sur la théorie et ont négligé la réalité, bien que la réalité soit antérieure à la théorie, et la philosophie est le fruit de la vie et non le contraire (Mgr Georges Khoder, an-Nahar, le 19 /9 / 1989). Preuve en est que les conflits d'ordre minoritaire se sont poursuivis, voire ont augmenté, dans les États qui ont adopté ces idéologies.
(ii)    La croyance selon laquelle ces idéologies ont abouti à une société non confessionnelle et sans problème de minorités alors que dans leur doctrine, elles ont aboli l'idée de Dieu (la religion). En éliminant la base, il est naturel qu'il n'y ait plus (théoriquement) de sous-divisions. Ces idéologies n'ont pas aboli le confessionnalisme, elles ont aboli la religion et par conséquent les communautés !

 

Prochain article :
L’expérience libanaise et le projet avant-gardiste des chrétiens : de Michel Chiha à Rafic Hariri

Est-il possible d'envisager des solutions au problème des minorités qui a été qualifié par une étude comme « la mère des problèmes dans la région depuis 2 000 ans, et jusqu'à nos jours » ? 1 - Il est important de relever, d'entrée de jeu, les principaux obstacles qui entravent de telles solutions : a - Israël, en sa qualité de leader de la pensée minoritaire et de la présence...

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