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Culture - Exposition

Le XXXe Salon d’automne, tonique et varié

Sur un espace blanc de 1 200 mètres carrés, flambant neuf, le Beirut Exhibition Center au BIEL offre ses cimaises pour le trentième Salon d'automne. Tonique, varié, dynamique et moderne Salon d'automne où les arts plastiques libanais ont des miroitements insoupçonnés, des expressions esthétiques originales, des témoignages parfois percutants. Et quelques voix discordantes ou déjà largement entendues.

Une vue de l’exposition.(Michel Sayegh)

Par-delà l'esplanade faisant front aux grands monolithes respirant le vent du large de la capitale et sous un soleil de plomb en ce début de décembre, les grandes baies vitrées du Beirut Exhibition Center donnent une vue plongeante sur le «poster» de la façade illuminée du musée Sursock accroché à l'entrée. Rappel d'un musée qui a toujours servi d'écrin princier pour une manifestation culturelle marquante, mais aujourd'hui fermé au public pour cause de restauration.
Après quatre tournées de sélection sur 392 œuvres de 194 artistes, 118 œuvres de 98 artistes ont été retenues.
Vaste panorama bigarré où peinture, sculpture, art de la céramique, de la gravure, de la photographie, des techniques mixtes et des installations de tous crins sont sous les feux des spots. Pour une manifestation de haute tenue qui draine chaque année un public dense. Un public qui inclut aussi bien des curieux de tous bords, des amateurs avisés, ainsi que des files d'écoliers et d'étudiants en quête de connaissance et de savoir.
Longue promenade colorée, diversifiée, tonique, vitaminée, mêlant humour et gravité, lyrisme et poésie, digression et précision, ironie et tendresse, d'un panachage parfois surprenant, à travers ces cent dix-huit œuvres aux lignes imprévisibles, aux tonalités sourdes ou douces, fluides ou rêches, de tous horizons confondus, mais au dénominateur commun, celui du ciel du pays du Cèdre.
Foisonnant lot de créations qui approchent, en différentes humeurs, en différents formats, en différentes combinaisons de matériaux, en différentes expressions, la sensualité, la technologie, l'artisanat, la vie nocturne, les déboires politiques, la religion, la danse, la famille, les écarts du sexe, la nature, l'abstraction, le surréalisme, l'hyperréalisme, le symbolisme, les mythes revisités...

Un événement baromètre
Exploration en mosaïque, sans contraintes ni barrières, pour un univers qui se veut le baromètre de ce qui se passe dans les arts plastiques au
Liban.
Trente années, c'est déjà plus d'un quart de siècle de présence active. Sans vieillir, tout en prenant de l'âge, le Salon d'automne, toujours énergique et plein de vitalité, s'est bonifié. Mission accomplie pour un événement devenu, au fil des ans, référentiel et incontournable. Variété et tendances pour un espace muséal qui a toujours révélé, confirmé et encouragé l'art de s'exprimer en toute liberté.
Si ce Salon d'automne révèle des talents nouveaux et prometteurs, parfois malgré l'âge respectable des candidats en lice ou leur relative jeunesse (Gérard Avédissian, Charles el-Dib, Karim Joreige, Annie Kurkdjian, Mario Saba, Gregory Buchakjian, May C. Abboud, Abdul Rahman Katanani), il n'en présente pas moins aussi quelques artistes restés dans le ronron de leur inspiration première et cadenassés dans leur style (Jean-Marc Nahas, Missak Terzian, Houry Chekerdjian, Charles Khoury, Youssef Aoun, Rima Amyuni).
Par contre, il y a aussi des artistes qui, dans un audacieux revirement de séduction, savent se renouveler, inventer, étonner et surprendre. Tels Rached Bohsali, qui abandonne la transparence de ses aquarelles pour un ton plus corsé, le gothique en fine dentelle des cathédrales englouties de Charles Andraos, le pinceau ravageur de vigueur d'Oussama Baalbaki, les cageots en plastique astucieusement agencés pour un vibrant chant de la liberté de Mouna Bassili Sehnaoui, les carrés massifs en fausse pierraille de Tanbak, les gadgets ultrasophistiqués de Mohammad el-Rawas au dessin et collages si minutieux, les installations murales, comme des camées aux motifs vaguement décoratifs, enserrés dans du cuivre, pour un infini au bleu cobalt de Ghassan Zard Abou Jaoudé, la toile forte comme un coup de poing de Flavia Codsi et son jeune personnage, borgne et estropié sur sa chaise roulante, avec le sac de sérum piqué au bras, mais arborant fièrement son tee-shirt « I love Lebanon »...
Tout aussi saisissante, mais dans un registre moins ironique, lugubre, cynique et cruel, est l'œuvre empreinte de coquine polissonnerie, mais tout en sous-entendus, de Fulvio Codsi avec sa belle et le
crapaud.

La politique écornée
Pour en revenir à l'accueil d'un espace voué à la liberté du chevalet, de la palette, de l'argile, du burin et de l'œil de la caméra, accueil de poids avec l'impressionnant taureau noir et l'aérien alezan blanc de Théo Mansour, baignés par la lumière du jour, dès l'entrée. Pour se marier avec ce monde animalier édénique, la mer et son roulis, mythiques et familières rives beyrouthines, à travers une sculpture avant-gardiste de Ziad Tarabah, faite de bois, de tissus et de fer. Tournez la manivelle et tout crisse... Comme si la fraîcheur des vagues vous ouvre les bras et les portes.
Ce trentième Salon d'automne est la preuve éclatante que dans un Liban rongé par la cacophonie et la décadence politique et sociale, nombreux sont ceux qui, dans un fougueux credo, s'investissent encore et sans compter dans l'art.
La politique est certes écornée au passage (Fayçal Sultan le claironne ouvertement avec un brin de narcissisme, Raouf Rifaï dénonce impitoyablement les trafiquants du paradis - terrifiante image que cette tête tranchée gisant au sol -, Mohammad Saad s'amuse des politiciens batifolant dans une piscine. Quel spectacle que de les voir dans leur triste nudité de baigneurs comme si leur gabegie ne nous suffisait pas!), mais reste une contestation dont la préoccupation est reléguée au second plan.
La priorité est au rêve, à l'évasion, au frisson esthétique, aux modes de langages combinés et mixtes, à l'emploi des matériaux les plus inattendus, aux raffinements les plus insolites, aux courants inédits, aux idées nouvelles abordant, en toute inventivité, assurance, mais aussi quelque fébrilité, la vie, ses émerveillements, ses débrouilles, ses angoisses et ses aléas.
Au milieu de ce brouhaha de la vie, un hommage « in mémoriam » pour quatre peintres récemment disparus : Élie Kanaan, Helen Khal, Gisèle Rohayem et Gebran Tarazi. Leurs toiles, éloquentes narrations picturales d'un temps encore pas si lointain, sont présentes comme une voix qui ne s'est pas éteinte.
Une longue promenade aux sentiers fleurant surtout la nouveauté dans ce dernier Salon d'automne, car un vent de décapante jeunesse (surtout d'esprit créatif) plane sur cet espace qui n'a jamais eu le souci de plaire ou de composer avec les diktats du marché. Qu'on s'en irrite, qu'on s'en indigne ou qu'on s'en amuse, voilà un vigoureux pied de nez pour un pays pourtant farouchement réputé pour le négoce.
Par-delà l'esplanade faisant front aux grands monolithes respirant le vent du large de la capitale et sous un soleil de plomb en ce début de décembre, les grandes baies vitrées du Beirut Exhibition Center donnent une vue plongeante sur le «poster» de la façade illuminée du musée Sursock accroché à l'entrée. Rappel...

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