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Nos Lecteurs ont la Parole

Une démocratie violée, une république bafouée et un peuple trompé

Par Salim F. DAHDAH
Devant l'énormité de ce qui se passe sur la scène politique libanaise ces dernières semaines, tout le monde retient son souffle et va jusqu'à se demander s'il ne préfère pas une franche empoignade à une bataille médiatique larvée et pernicieuse, autrement plus destructrice et dévastatrice qu'une guerre traditionnelle.
Quel triste panorama que celui qui se déroule au vu et au su de tous les citoyens et à quelque obédience qu'ils appartiennent. Tel un film de cinéma, où le « pitch » de présentation raconte, au travers de bribes de la vie quotidienne libanaise, l'histoire d'un parti politique (à l'identité nationale mitigée) représentant une frange de la population qui cherche à marquer, coûte que coûte, l'histoire de la nation de son empreinte. Grâce à sa démographie galopante, l'injection en provenance de l'étranger dans ses caisses de sommes d'argent importantes versées de façon régulière et constante, ainsi que la livraison de grandes quantités d'armes sophistiquées, la signature d'accords stratégiques de sécurité avec des États de la région et, sous prétexte de défendre la cause sacro-sainte de la Résistance islamique (adjectif occulté ou maintenu selon les circonstances), ce parti commence par s'ériger en « garant d'une nouvelle conscience nationale », pour s'arroger en cours de chemin le droit exclusif de reconstruire un État à son image, allant jusqu'à vouloir le substituer sournoisement au Liban de 1943 et à l'imposer par tous moyens à tous les autres partenaires nationaux qui n'auront que le droit d'accepter ou de se démettre, démocratie oblige.
Nous ne chercherons pas à entrer dans les méandres de l'itinéraire tortueux et douteux emprunté par ce parti jusqu'à sa constitution en 1982, où les embûches et les mines à retardement, les faux semblants et les rappels pesants et démagogiques de ses objectifs ont pavé le terrain de ce qui devait devenir le soubassement de sa stratégie d'infiltration au niveau national. Pour ce faire, il a choisi des thèmes attractifs et porteurs à cette époque, dont : la guerre contre l'ennemi de la nation, Israël, la résistance et la constitution d'une force paramilitaire importante pour défendre la frontière du Liban-Sud et ses habitants dans les villages riverains, l'assistance matérielle et logistique dans les domaines de l'éducation, de la santé et de l'aide aux agriculteurs ainsi que le pourvoi d'emplois à tous les chômeurs, la demande de rééquilibrage des droits de la communauté chiite dans le secteur public, la prise de décision au niveau national de la guerre et de la paix, l'organisation et la gestion de la sécurité civile et des renseignements, enfin le statut de facteur incontournable de blocage des institutions de l'État. Pour réussir sa mission, il a balancé sans vergogne entre un statut légalitaire et un statut de hors-la-loi , et encouragé ses militants à en faire de même, allant jusqu'à prôner la désobéissance civile et l'ignorance de certains accords internationaux entérinés par l'État unanimement et officiellement. Il a même banalisé, justifié et approuvé inconditionnellement, au nom de sa « raison d'État », des actions qui ont mis en danger l'ordre public et la paix civile parce qu'accomplies sous la menace des armes et par des viols répétés des institutions de l'État.
Face à ce désordre politique sur la scène nationale et à ce brouhaha médiatique assourdissant, les questions pleuvent, telles par exemple : De quelles missions le parti de Dieu a-t-il été chargé lors de sa formation ? Qui sont ses véritables « commanditaires » ? Jusqu'où est-il impliqué dans l'exécution d'une feuille de route dont les objectifs ne sont pas toujours en adéquation avec la philosophie de 1943 et les décisions de Taëf ? À quelles fins modèle-t-il unilatéralement le tracé intérieur de nouvelles « frontières » géographiques, administratives, politiques et économiques, transformant subrepticement l'équation de la formule constitutionnelle politique libanaise ? Quels sont les rôles qui lui sont impartis sur les scènes nationale et régionale durant le conflit israélo-arabe et après son règlement ? Jusqu'où et à quel prix la Syrie continuera-t-elle à le soutenir ? N'y a-t-il pas un seuil d'action qu'Israël continuera à tolérer sans réagir effectivement, tant que la stratégie actuelle du parti de Dieu maintient le statu quo à sa frontière nord et continue à entretenir une déstabilisation permanente sur le front politique interne ? Et de façon plus ponctuelle, que recherche le parti de Dieu pour endiguer les retombées du TSL, surtout après les dernières déclarations de Hassan Nasrallah ? Qu'attend-il de la part des autres Libanais, dont certains ont été touchés dans leurs corps et qui cherchent des explications à leurs inquiétudes ? A-t-il les moyens d'imposer tout seul sa politique où compte-t-il sur des garanties extérieures pour franchir le Rubicon ? Enfin comment va-t-il répondre aux attentes d'un peuple libanais, héritier d'une grande tradition de tolérance et de cohabitation intercommunautaire, quand, de son fait, la démocratie ne cesse d'être violée, la République bafouée et eux tous sont trompés ?
Est-ce que la peur et l'absence de moyens réels pour régler la situation générale du pays doivent dans ces circonstances être un facteur d'immobilisme ? Certainement pas, car se taire et ne pas agir, c'est mourir un peu. C'est pourquoi l'État devrait envisager, juste après l'annonce de l'acte d'accusation, la mise en place d'une stratégie d'encadrement pour pallier aux conséquences qui suivront cet événement, en réactivant par exemple dans des délais imminents la reprise des réunions de la table de dialogue national, en élargissant les sujets à débattre, en fixant une procédure stricte pour la gestion de son contenu et de son déroulement, en adoptant un agenda précis pour finaliser les travaux de ces réunions et en proposant, pour mettre un terme aux trente-cinq années d'instabilité, des amendements constitutionnels permettant un rééquilibrage des droits et des devoirs de tous les partenaires sociaux et politiques, sans craindre de lancer un débat franc et direct pour le vote d'une loi instaurant la régionalisation. Il ne s'agira pas là d'une révolution blanche ou de partition, mais bien plutôt d'une réaction saine et sensée pour éviter à l'avenir de continuer à subir tous les blocages du passé. C'est en effet un « acte d'assistance à personne en danger » administré à la majorité des citoyens libanais et aux institutions de l'État, qui n'ont cessé d'être pris en otages, paralysés et neutralisés souvent sous la menace des armes, par une minorité, importante certes, mais dont les objectifs politiques n'étaient plus compatibles avec les constantes nationales fondamentales des autres partenaires politiques nationaux. Au-delà des disputes de principe que la régionalisation pourrait occasionner entre les différentes parties, il faudrait comprendre que cette idée est tout à fait objective et qu'elle est loin d'être saugrenue, car elle pourrait rejoindre une des options possibles du parti de Dieu qui, faute de ne pouvoir imposer la constitution de la République islamique chiite de la wilayet el-faqih sur tout le territoire libanais, pourrait souhaiter la régionalisation du Liban pour maintenir tous ses acquis politiques. Rejetée par conviction après la fin de la guerre de 1975 par les chrétiens, les sunnites et les druzes, la régionalisation interne pourrait être donc devenue un objectif stratégique du parti de Dieu et se fondre plus tard dans une régionalisation moyen-orientale souhaitée par Israël et ses alliés américains, qui ont déjà commencé à l'appliquer en découpant, au lendemain de l'invasion américaine, l'Irak, première étape d'un vaste démantèlement général du M-O, dans le but de sécuriser, au moment du règlement définitif du conflit israélo-arabe, l'implantation géopolitique future d'Israël.
En conclusion de cette brève analyse de la situation qui prévaut actuellement sur la scène politique interne et malgré tous les scénari catastrophes rapportés par la presse à l'occasion de la publication prochaine de l'acte d'accusation et les remous certains qu'il provoquera, deux objectifs pourraient alors être atteints à la suite de cet événement important de l'histoire de ce pays, surtout si la stratégie ci-haut préconisée était bien menée, à savoir le retour du parti de Dieu et de ses armes sous la houlette de l'État (qui reste malgré tout sa seule bouée de sauvetage) et concomitamment l'adoption d'un système de « régionalisation » au niveau national, unique garant dans l'état actuel des choses d'une gestion plus saine et plus équilibrée des affaires publiques et véritable facteur de confort et sécurisation pour toutes les parties libanaises en attendant l'avènement de la IIIe République.
Devant l'énormité de ce qui se passe sur la scène politique libanaise ces dernières semaines, tout le monde retient son souffle et va jusqu'à se demander s'il ne préfère pas une franche empoignade à une bataille médiatique larvée et pernicieuse, autrement plus destructrice et dévastatrice qu'une guerre...

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