Les artistes, ces renifleurs de l'air du temps, n'allaient pas laisser passer une tel phénomène de société sans s'en inspirer. Le caricaturer. L'exploiter. L'ironiser.
L'espace Kettaneh Kunigk accueille ainsi 14 œuvres à faire flamber toutes les étiquettes. Et pour cause: certaines sont signées par des artistes de renommée internationale: Jeff Koons, Niki de Saint Phalle, Takashi Murakami, Sol Le Witt...
Établissant un lien entre la société, la mode et ses mécanismes, ces artistes détournent à merveille les objets de la vie quotidienne avec beaucoup d'humour et un sens du détail. Ils assument les paradoxes avec une insolente assurance esthétique. D'une œuvre à l'autre, se profile une lecture à but social.
Sylvie Fleury, par exemple. L'artiste genevoise élève au range d'art les shopping bags siglés. Stilettos YSL, produits cosmétiques Chanel, chapeau Éclaireur, Gucci, Lanvin, Hermès, Prada... Les sacs aux signatures prestigieuses sont placés dans une vitrine en verre, comme on exhiberait la couronne de la reine d'Angleterre. Une traversée du désir et des dérives consuméristes.
Urs Luthi présente des slogans tirés de publicités, sortes de pensées ready-made, plaquées sur des frisbees
multicolores.
L'artiste iranienne Shiva Ahmadi donne à voir un baril de pétrole décoré de strass et de paillettes.
La fameuse «Nana» de Niki de Saint Phalle, rondouillette, multicolore et hyperféminine.
«Shattered Dreams» de l'artiste sud-africaine Frances Goodman, un coussin en velours noir parsemé de cristaux Swarovsky, questionne de manière elliptique la femme et ses attentes déçues, ses rêves brisés.
L'exposition présente aussi et surtout des œuvres de la série «Luxury and degradation» de Jeff Koons. Une miniature de son «Puppy» de 12 m qui se trouve à l'entrée du Guggenheim de Bilbao. Un set de cristal de Baccarat. «Jim Bean JB the train engine» ou encore «Fisherman Golfer». Avec ces objets de la vie quotidienne, l'artiste tente de «comprendre pourquoi et comment des produits de consommation peuvent êtres glorifiés».
Une photographie de Marilyn Minter capture en gros plan une aisselle en sueur où pointent quelques poils noirs disgracieux. La flèche serait dirigée ici vers la société qui impose les diktats impitoyables d'une beauté lisse et nette.
Les fleurs affichent un sourire sardonique sur la balle de foot, très manga style, dessinée par Takashi Murakami, l'Andy Warhol japonais.
Des tubes de rouge à lèvres géants, rouges et luisants par Vincent Olinet ont été inspirés par «des icônes de la mode, par l'idée de séduction et de glamour», dixit l'artiste. «Mais en tant qu'artiste, je les vois également comme des totems, des emblèmes de désirs féminins et masculins.»
Sarah CharlesWorth immortalise sur papier colorié, dans sa série «Neverland», des objets hautement abstraits et symboliques. L'artiste libano-brésilienne Lamia Maria Abillama expose une série de photographies de «Ladies», posant dans leurs intérieurs aux décors fastueux.
On le sait, le silence est d'or. La carpe de François Xavier Lalanne l'est aussi. Une des pièces zoomorphes du monde merveilleux des Lalanne. Une œuvre phare qui a battu les records lors de la vente Saint-Laurent Berger et qui, par son matériau et son historique, trouve sa place au sein de cette exposition.
Last but not least, une toile sans titre de Nabil Nahas «établit un équilibre délicat entre l'opulence byzantine et les graffitis» du Street Art, donnant au tout une connotation ironique salvatrice.
Au-delà des «statements» des artistes, cette exposition nous porte également à nous interroger sur les relations entre luxe et art. Ce dernier serait-il devenu un accessoire de luxe? «C'est un luxe.» Cette expression désigne ce qui est superflu et même souvent inutile. En tout cas, l'objet de luxe est celui qui n'est pas à la portée de tous. D'un pur point de vue marchand, l'œuvre d'art semble alors être un objet de luxe puisque tout le monde ne peut pas s'offrir une toile à 5000 dollars. Qui dit plus?
* Jusqu'au 30 octobre de 13h00 à 19h00.
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