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Nos Lecteurs ont la Parole

III- Les nouveaux penseurs de l’islam

Par Sami Antoine KHALIFÉ
Observant le monde musulman actuel, A. Charfi repère quatre attitudes différentes : le maintien des conceptions et régulations héritées de la tradition ; l'évolution des dispositions traditionnelles dans la suite d'Afghani et Abdo ; la mise au pas du monde réel, comme le veulent les intégristes contemporains, pour que ce réel soit en conformité avec le texte ou, enfin, la tentation de retenir une partie du texte et d'en abandonner d'autres, ce que fit notamment le théoricien soudanais Mohammad Taha avant d'être exécuté comme apostat à l'époque du général Numeiry (voir L'Orient-Le Jour des vendredi 22 et mardi 27 juillet 2010).
Bien entendu, la démarche proposée par Charfi est nouvelle. Pour lui, il est impératif de moderniser notre conscience. Ce qui passe par deux exigences : d'une part, bien comprendre et finaliser le message mohammadien ; d'autre part, se libérer de l'institution religieuse dans tous ses aspects. La tâche du réformateur consiste, selon lui, à affranchir le texte de l'emprise des juristes et de tous les anciens.
« Parmi les valeurs portées par la modernité et aussi par le message mohammadien par excellence, il y a le fait de considérer l'homme comme un individu libre et responsable, et non comme simple membre d'un groupe », conclut A. Charfi dans son livre L'islam entre le message et l'histoire. Et de poursuivre : « Il ne s'agit pas de porter un jugement en faveur ou à l'encontre des interprétations des anciens, de leurs choix et de leurs solutions ; il s'agit de répondre aux exigences de la conscience moderne sans s'écarter de la réalité historique à chacune des étapes...Sur ce plan, l'histoire récente des autres religions monothéistes nous est utile pour examiner la condition réelle de l'islam et envisager son avenir.
« Face à cette intrusion de la pensée moderne(...) les musulmans ne différaient guère des chrétiens traditionnels(...) . Les uns et les autres étaient tentés de rechercher les fils du complot que les ennemis tramaient dans l'ombre. Toutefois, si le complot était imaginaire, le danger était bien réel et le demeure(...).
« Il est nécessaire de prendre pleinement conscience de cette vision de l'homme et instaurer pour cela une éducation nouvelle qui rompe avec les idées reçues, qui abandonne sans aucune réserve les positions obsolètes, qui mise sur l'avenir et sur les aspirations légitimes à plus de liberté, de justice, d'égalité entre l'homme et la femme, et de dignité humaine. »
Conclusion
On constate que depuis deux siècles, la pensée musulmane vit un bouillonnement intellectuel qui rappelle celui des premiers siècles de l'islam. C'était, alors, les conflits entre défenseurs et détracteurs de la pensée grecque. Ces derniers siècles, ce sont les conflits avec la modernité, avec en toile de fond les ravages du colonialisme, de l'impérialisme, culminant de nos jours par une mondialisation galopante, ou plutôt une « américanisation » équivalente à une hégémonie militaire, politique, économique et culturelle des États-Unis, qui menace les fondements de la civilisation musulmane - pas seulement cette dernière, à mon humble avis, mais bien d'autres aussi !
Nous avons vu que face au premier courant « libéral » d'Afghani, Abdo et d'autres, il y eut une réaction violente d'une autre élite intellectuelle, celle des Frères musulmans. H. al-Banna, leur fondateur en 1927, pense que l'islam est à la fois une religion et une idéologie qui régule toutes les sphères de l'existence musulmane. Cette attitude reste difficile à comprendre si elle n'est pas située dans son contexte historique, qui a été caractérisé par la lutte nationale pour l'indépendance de l'Égypte. Ensuite vint le mouvement théologique de S. Qotb qui allait durcir le discours de son prédécesseur à l'encontre de la modernité occidentale. C'était il y a un peu plus de cinquante ans, dans un contexte historique qui a vu beaucoup de désillusions. Il est intéressant de signaler ici que ces deux dernières décennies, une nouvelle tendance s'est constituée dans et face au courant fondamentaliste. Ainsi Hassan Turabi et Mohammad al-Ghazali, tous deux anciens Frères musulmans, sont parvenus au constat selon lequel il est possible de prendre le volet scientifique de la modernité sans le volet philosophique qui le sous-tend.
Durant ces dernières trois décennies vont apparaître trois fois plus de penseurs et d'intellectuels qui se réclament de la mouvance réformatrice moderne « les nouveaux penseurs de l'islam », que durant la période de cent quatre-vingts ans qui ont débuté au XIXe siècle. Ils ont une production très importante, encore peu connue, mais qui donne quand même un bon panorama de la pensée islamique contemporaine.
Malheureusement, aux yeux du grand public arabo-musulman, ils ne font pas encore le poids face aux rouleaux compresseurs des « médias satellitaires arabes comme la chaîne égyptienne Dream, spécialisée pourtant dans les chansons et les divertissements, qui diffuse elle aussi, à l'instar de la chaîne Iqra' détenue par les capitaux saoudiens, les prêches des imams (tels que Amr Khaled), enjoignant aux jeunes de porter le » hijab « dit » charaïque « , comme le font du reste la chaîne qatarie al-Jazira, (réf. la démission récente de cinq présentatrices vedettes de cette chaîne pour, entre autres, raison de code vestimentaire - note du signataire), et tant d'autres chaînes détenues par les capitaux pétroliers de la péninsule Arabique dans leur programme religieux » (A.C.).
D'autre part, les médias occidentaux, pourtant prolixes sur les questions touchant l'islam, ne portent leur attention que sur les courants les plus radicaux, question de mettre toujours en avant une image archaïque et rétrograde de l'islam. Il ne faut pas chercher trop loin pour savoir à qui profite cet état des choses.
Malgré leur diversité et leur isolement relatif par rapport au grand public, et même s'ils ne constituent pas encore un courant philosophique majeur, ces intellectuels n'en posent pas moins les fondements d'un islam d'avenir.
Ce qui est intéressant à signaler, et ce sans aucun jugement par rapport aux autres penseurs, c'est que dans leur diversité, les « nouveaux penseurs de l'islam » partagent tous quasi unanimement deux convictions : le respect de l'autre, quelle que soit sa croyance, et le dialogue fructueux entre les religions. Ils méritent attention et respect.
L'islam a ses Pascal et ses Voltaire, a-t-il son Luther ?

Sami Antoine KHALIFÉ
Ing. physique
Observant le monde musulman actuel, A. Charfi repère quatre attitudes différentes : le maintien des conceptions et régulations héritées de la tradition ; l'évolution des dispositions traditionnelles dans la suite d'Afghani et Abdo ; la mise au pas du monde réel, comme le veulent les intégristes contemporains, pour que ce...

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