Rencontre au BIEL avec «une femme poète qui peint» (telle est la définition de son propre parcours) où entre brouhaha des installations et chaos des déplacements des œuvres d'art, parler de création et d'inspiration est une abstraction en soi.
«Oui, c'est mon premier voyage au Liban, déclare Shan Sa, et je regarde le pays du Cèdre avec beaucoup de poésie. Née à Pékin et partie en France après les événements de Tiananmen en 1989, cela me rappelle mon pays. Deux pays détruits par la guerre. Mais ici, c'est plus festif, plus moderne. J'ai commencé à écrire très tôt. Mes parents sont professeurs d'université et, dans une Chine très pauvre, l'enfant que j'étais avait le choix entre les livres et la nature. J'ai aimé les deux ! À dix ans, je signais mon premier recueil de poésie en langue chinoise. Très vite, trois autres livres ont suivi. Arrivée en France pour des études de philosophie et d'histoire de l'art, je me suis appliquée à écrire en français. De cette passion pour la langue française et de la littérature en général, sept romans sont également nés (des livres qui ont été primés, notamment le prix Cazes, le Goncourt des lycéens et le prix des lecteurs du livre de poche, et que ne dira pas Shan Sa mais qu'on retrouve dans sa biographie sur Wikipédia). Mes livres, c'est un long roman épique. Pour moi, écrire, c'est vivre dans la glace. Écrire, c'est cérébral, c'est de la chirurgie de l'âme, c'est rester dans l'ombre, c'est aller vers l'essence des choses, c'est avoir une vie de sacrifice et d'ascèse. Tandis que peindre, c'est tout le contraire, c'est la passion, c'est faire des choses avec ses mains, c'est sensuel, c'est la fête... Je peins un langage que j'entends. Pour peindre, je fais le vide, je ne pense à plus rien. Alors j'ai l'impression qu'un fleuve coule en moi... Je peins l'immensité, la verticalité, l'ascension. Je peins la beauté des saisons. C'est comme pour la poésie : ce n'est pas la photo de la vie, mais la lumière de la vie. Je peins aussi des animaux mythiques : dragons, sphinx, singes... Ma peinture vient aussi de mes lectures d'Homère, Ovide, Tolstoï, Omar Khayam, Ibn el-Roumi, Farideddine Attar (La conférence des oiseaux), Cao Xueqin (Le rêve du pavillon rouge)... J'aime peindre par ailleurs l'énergie des lieux. Dans mon lyrisme pictural, entre traits à la chinoise et abstractions occidentales, je peins le monde où j'aurais aimé vivre. C'est en quelque sorte ma vie idéale... Je suis quelqu'un de simple et de littéraire. Ma première exposition en solo remonte à Paris en 2001, au lendemain de l'effondrement des tours de New York, le 11 septembre. Et aujourd'hui, certains comparent mes créations picturales à celles de Zao-Wuki. »
Assise droite et lovée sur elle-même dans le canapé, Shan Sa fait un charmant geste de coquetterie en relevant ses longs cheveux couleur d'ébène qui balayent l'ourlet de sa robe. Petit sourire et regard rieur pour un moment de détente. Le temps de conclure sur ses impressions beyrouthines où le soleil est de plomb dehors: «Un pays, ce sont d'abord ses habitants et j'aime les Libanais, car c'est un peu comme les animaux mythiques: ce sont des gens travailleurs, complexes, rusés. Ce sont-là les caractéristiques d'un peuple ancien. C'est un peuple qui aime voyager, qui n'a pas peur de la destruction ou d'un constant changement... Qu'est-ce que j'attends de mon passage et séjour à Beyrouth? J'attends la surprise et j'attends qu'on m'y réinvite...»
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