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Diaspora

Un enfant de la diaspora

Beyrouth, fin août. Les rues, les restaurants se vident. Tout le monde est parti. Et ceux qui restent se préparent, déjà, pour l'automne et ses pluies.
Cela fait vingt ans - les deux tiers, ou presque, de ma vie - que je n'ai pas connu le Liban à l'automne. L'été, bien sûr, je ne le connais que trop bien, l'été avec ses longues nuits.
Comme tant d'autres, je descends - comme on dit - au pays pour ces quelques semaines de juillet et d'août, ces précieuses semaines sybaritiques arrachées au monde du travail, à l'Europe, à l'Amérique ou au Golfe. Le Liban semble pendant ces quelques jours un pays de maints plaisirs, un éphémère contraste aux exigences de ces contrées d'élection. Tout juste un pays de plaisir. Un pays que l'on critique tout autant - plus, peut-être - qu'on ne l'aime.
Je suis un enfant de la diaspora, un enfant qui a porté avec lui, tout au long de ses pérégrinations, les souvenirs d'une guerre qu'il n'arrivait pas à comprendre - qu'il ne comprend, d'ailleurs, toujours pas -, ces quelques clichés instantanés d'une violence qui perdure dans le silence et les murmures - dans l'absence que l'on ressent en parcourant les pages de ces manuels scolaires si insuffisants, dans la haine des propos chuchotés, de ces mots que l'on n'ose prononcer qu'à moitié. Une histoire faite tout entière de chuchotements et de rumeurs, de silence et d'oubli. C'est tout ce que nous avons.
Je suis un enfant de la diaspora. Un enfant qui a grandi parmi d'autres qui, comme lui, n'ont connu les villages de la montagne et les plages de Beyrouth que sous le soleil d'été. Un enfant pour qui Kano et Los Angeles, Montréal et Paris étaient bien plus que des points sur la carte, des mots aussi abstraits les uns que les autres, des repères familiers, des bornes qui longeaient les histoires d'amis et de cousins.
Je suis un enfant de la diaspora : un homme dont la vie n'a été qu'un long voyage, une série de déplacements.
Mon histoire est celle du Liban. Et elle est celle des Libanais.

Histoire
Nous devons prendre conscience de notre histoire. Nous devons la prendre en main.
Il n'est pas juste question de panser les douloureuses blessures de l'oubli et de la rancune, ou de rouvrir d'anciennes plaies si mal cicatrisées.
Il s'agit de dépasser la guerre, de jeter un regard en arrière, bien au-delà d'avril 1975. Nous devons tous - chercheurs et étudiants, journalistes et hauts fonctionnaires, dignitaires de nos diverses communautés religieuses et hommes politiques de toutes factions - produire un immense effort collectif. Il demeure possible - il doit demeurer possible, en dépit de tout ce qui nous sépare - de produire cet effort, un effort de préservation et de restauration des documents - écrits, bâtis, chantés, racontés - où se retrouve l'histoire entremêlée, enchevêtrée des communautés et des régions, l'histoire - enfin - d'une nation qui demeure en devenir.
Nous ne pouvons plus délaisser les archives de Bkerké et de Sour, de Baakline et de Tarik Jdidé. Nous devons prêter assistance à ceux qui travaillent à garder intactes et ouvertes ces portes sur la mémoire collective - notre mémoire - avec tant d'amour et de patience. Cela est de nos devoirs les plus essentiels : de préserver cette histoire partagée, contestée, pleine de malentendus, certes, mais aussi de liens et de points en commun. Sans ce passé, nous n'avons aucun avenir.

Andrew Arsan
(Princeton)
Beyrouth, fin août. Les rues, les restaurants se vident. Tout le monde est parti. Et ceux qui restent se préparent, déjà, pour l'automne et ses pluies.Cela fait vingt ans - les deux tiers, ou presque, de ma vie - que je n'ai pas connu le Liban à l'automne. L'été, bien sûr, je ne le connais que trop bien, l'été avec ses...