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Économie - Liban - Interview

Vers une dynamisation de la commission parlementaire des Finances et du Budget ?

Le député Ibrahim Kanaan a présenté à « L'Orient-Le Jour » les grandes lignes de son plan visant à renforcer le pouvoir de contrôle de la commission parlementaire des Finances et du Budget. Il s'est en outre dit opposé à une éventuelle hausse de la TVA, mettant en garde contre les tentatives de marchandage en dehors des institutions.

Face aux lacunes des précédents budgets, « il est impossible de quantifier avec exactitude les montants du déficit public et de la dette de l’État », a expliqué le président de la commission parlementaire des Finances.

La commission parlementaire des Finances et du Budget est sans le moindre doute la pierre angulaire de l'action parlementaire, un bastion du contre-pouvoir législatif censé contrebalancer les prérogatives discrétionnaires du gouvernement. Elle occupe ainsi une place centrale dans l'accomplissement de la mission qui devrait être celle du Parlement, à savoir la législation mais aussi la surveillance de l'action gouvernementale.
Il appartient en effet à cette commission de contrôler - a priori - toute décision de l'Exécutif, entraînant une dépense des deniers publics, afin de garantir que l'argent du contribuable soit utilisé d'une manière efficace, à bon escient, dans le respect de la loi et à l'abri du clientélisme et de toutes sortes de pratiques frauduleuses. Cette mission étant cruciale pour le bon fonctionnement des institutions, le président français Nicolas Sarkozy a instauré une nouvelle coutume consistant à confier la présidence de la commission des Finances du palais Bourbon à un élu de l'opposition, un député du Parti socialiste en l'occurrence, afin de renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement.
Cependant, au Liban, tout comme l'ensemble du Parlement, la commission des Finances s'est pendant longtemps contentée d'entériner les décisions marchandées en coulisses par les chefs des différents clans confessionnels. Depuis des années, son efficacité a même été proche du néant vu qu'il existe actuellement dans ses tiroirs pas moins de 111 propositions et projets de loi, dont certains remontent à 2002 et qui attendent d'être examinés avant d'être votés par le Parlement réuni en assemblée plénière.
Face à ce délabrement, le député Ibrahim Kanaan (CPL) a élaboré une méthodologie visant à dynamiser la commission des Finances et du Budget qu'il préside, et à renforcer l'efficacité de son pouvoir de contrôle. Son plan a également pour objectif de mettre un terme aux violations de la loi qui, selon lui, sont systématiquement commises par les différents gouvernements dans l'élaboration du budget.
Cette méthodologie s'articule donc autour de deux axes principaux : la lutte contre les « cavaliers budgétaires » et la stipulation dans le projet de budget de l'intégralité des postes de dépenses et de recettes de l'État, sans exception aucune.

Des budgets incomplets
Dans un entretien avec L'Orient-Le Jour, Ibrahim Kanaan a expliqué que depuis la fin de la guerre civile, les gouvernements successifs, de tout bord politique, ont pris la mauvaise habitude de ne pas lister tous les revenus et les dépenses de l'État de l'année dans leurs projets de budgets correspondants, contrairement aux dispositions de la Constitution et de la loi sur la comptabilité nationale.
Ainsi, selon le député, « une très grande partie » des dons étrangers et des sommes empruntées grâce à des émissions de titres souverains menées par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) ont été déposés sur des comptes ouverts auprès de la Banque du Liban (BDL) au nom d'institutions étatiques, sans être inscrits dans les projets de budget des dernières années. Il en est de même de fonds bloqués et non utilisés au cours de précédents exercices, a-t-il ajouté.
De plus, a déploré Ibrahim Kanaan, les projets de budget ignorent régulièrement « les dépenses contingentes » de l'État, tels que les arriérés de paiement dus à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), aux hôpitaux privés, aux entrepreneurs des travaux publics, aux fonctionnaires (versement d'effets rétroactifs de l'échelle des salaires) et à toute personne privée ou publique (dommages et intérêts, etc.). Les dépenses effectuées ou les recettes engrangées par des organismes publics en lieu et place de l'État ainsi que les déboursements à effectuer au titre d'engagements pris au cours de précédents exercices sont également régulièrement absents des budgets gouvernementaux, a expliqué le député.
En conséquence, la méthodologie d'Ibrahim Kanaan vise à remédier à ces failles car, « en l'absence de ces postes, tout projet de budget demeure incomplet et il est impossible de quantifier avec exactitude les montants du déficit public et de la dette de l'État ».

Un budget fourre-tout ?
Par ailleurs, les gouvernements inscrivent régulièrement dans les budgets transmis au Parlement des projets d'amendement de textes législatifs préexistants ou des projets de loi portant création de nouveaux impôts, d'exemptions fiscales, etc. Le projet de budget 2009 a ainsi comporté 98 mesures de ce type.
Or ce genre de pratiques, désignées par l'expression pittoresque de « cavaliers budgétaires », constituent une violation directe des lois sur la comptabilité nationale et sur le budget du gouvernement ainsi que du décret-loi numéro « 55 » datant de 1953 et des articles 81 et 82 de la Constitution. En effet, en vertu de ces textes, le budget doit exclusivement stipuler l'intégralité des recettes et des dépenses relatives à une seule année. Toute création ou hausse d'impôt, toute exemption fiscale et toute mesure entraînant des dépenses ou générant des recettes sur plus d'un an doivent faire l'objet de projets de loi séparés, conformément aux règles législatives en vigueur. « Ces mesures ne peuvent en aucun cas être stipulées dans le projet de budget qui n'est pas une loi-programme, a expliqué à cet égard le président de la commission des Finances. Cette procédure vise à garantir la cohérence de la politique fiscale de l'État et à protéger les contribuables. Mais en recourant aux cavaliers budgétaires, le gouvernement tente d'imposer des mesures sans discussions profondes et de court-circuiter le Parlement. »
Afin d'« ouvrir la voie aux réformes », la méthodologie d'Ibrahim Kanaan met donc l'accent sur la nécessité d'en finir avec ces encombrants et non moins illégaux cavaliers budgétaires. Elle propose également de comparer systématiquement le préambule du budget avec la déclaration ministérielle « afin de vérifier si le gouvernement tient les engagements qui lui ont valu la confiance du Parlement ».
Le document appelle en outre à intensifier la cadence des réunions de la commission des Finances et à respecter les délais d'examen des projets et propositions de loi qui lui sont soumis. Il avance une « solution de compromis » pour les projets de budget des années 2006 à 2009, élaborés par le gouvernement Siniora et contestés par l'ancienne opposition. Cette solution consiste pour le gouvernement à présenter au Parlement un bilan des dépenses effectuées au cours de ces années afin que les députés puissent l'autoriser a posteriori à entreprendre ces déboursements « pour normaliser la situation ».

Le risque de marchandage
Cette méthodologie a suscité un « débat houleux » au sein de la commission des Finances, selon Ibrahim Kanaan. « On a fini par adopter une version abrégée qui met l'accent sur quatre points, à savoir : l'inscription dans le budget de l'intégralité des dépenses et des recettes de l'État, la nécessité de comparer la déclaration ministérielle et le préambule du budget, le refus des cavaliers budgétaires, et l'obligation pour le gouvernement de présenter des projets de loi distincts du budget en ce qui concerne toute modification de la fiscalité », a indiqué le député.
« Nous avons ainsi créé une nouvelle dynamique non pas pour juger le passé, mais pour ouvrir la voie au progrès, s'est-il également félicité. Désormais, le gouvernement doit prendre en compte le rôle de la commission des Finances. »
Ibrahim Kanaan reconnaît toutefois que le renforcement du rôle de la commission « risque de renforcer les marchandages en coulisses ». « J'ai entendu un confrère dire que le projet de budget ne sera présenté qu'en cas d'entente unanime préalable entre toutes les parties, a-t-il déploré. Comment promettre le passage vers l'État tout en dynamitant les institutions ? Les nominations (de magistrats) et le projet de loi sur les élections municipales ont été marchandés en dehors des institutions. Je crains que tel ne soit le cas du projet de budget. »
Et Ibrahim Kanaan d'exprimer enfin l'opposition du Bloc du changement et de la réforme à toute éventuelle hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) « qui ne distingue pas entre riches et démunis ».
La commission parlementaire des Finances et du Budget est sans le moindre doute la pierre angulaire de l'action parlementaire, un bastion du contre-pouvoir législatif censé contrebalancer les prérogatives discrétionnaires du gouvernement. Elle occupe ainsi une place centrale dans l'accomplissement de la mission qui devrait être celle du Parlement, à savoir...
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