Rechercher
Rechercher

Liban - Hors piste

Convocation sans conviction

Cinq ans après l'assassinat de Rafic Hariri, la majorité parlementaire, ou ce qui en reste, ne peut plus se contenter d'égrener les événements glorieux du passé proche, pour galvaniser les foules et les mobiliser massivement place des Martyrs.
Il ne suffit plus de rappeler l'époque si riche en espoirs de l'opposition plurielle, de la lutte contre le système sécuritaire syro-libanais, de l'ivresse des manifestations, des sit-in, des rassemblements dans un centre-ville enfin utile et ressuscité.
Il ne suffit plus de citer ce communiqué de rêve lu par Samir Frangié, le vendredi 18 février 2005, pour annoncer le début de l'« intifada de l'Indépendance », cette expression si significative, si profonde, si judicieuse, forgée grâce aux propositions d'un leader de feue la Gauche démocratique.
Il ne suffit plus d'invoquer la magie inattendue du 14 mars 2005, cette magie sans cesse renouvelée chaque 14 février pendant quatre ans, malgré les menaces, les attentats, les bombes, les assassinats, les combats de rues.
Il ne suffit plus d'énumérer les martyrs connus ou anonymes, les affres de quatre ans de blocages et de chantages, les blessures de cette guerre d'usure livrée contre le Liban, son État, son avenir depuis l'attentat manqué contre Marwan Hamadé et jusqu'à la signature de la capitulation de Doha en 2008.
Il ne suffit plus de réunir deux douzaines de leaders, de les prendre en photo et de publier un communiqué enchaînant des banalités, des lapalissades sur l'État, la coexistence, l'union nationale, le Tribunal international et la Constitution.
La majorité doit comprendre que le public du 14 Mars est formé de citoyens qui ont manifesté pour revendiquer leurs droits, pour réclamer la liberté, la souveraineté, l'indépendance, la justice et l'édification de l'État, pour améliorer leur quotidien et leur avenir et non pas pour la soutenir inconditionnellement et lui renouveler annuellement un blanc-seing sans limites. Que ce public ne la soutient que tant qu'elle défendra ses droits citoyens ; que le mandat qu'il lui a attribué est révocable à tout moment ; qu'il ne manifestera pas sur simple convocation, qu'il n'ira pas place des Martyrs sans être convaincu, sans être confiant qu'il retrouvera là-bas sa cité, qu'il écoutera des discours qui refléteront ses aspirations ; qu'elle ne peut pas agir en son nom que tant qu'elle lui rendra des comptes.
Le public du 14 Mars est assez pragmatique pour comprendre que les résultats de la razzia du 7 Mai et de la défaite militaire de la majorité parlementaire ont des conséquences politiques irréfragables et incontournables. Il n'en reste pas moins qu'il a le droit de savoir pourquoi des éléments armés affiliés à certaines parties - autres que le Hezbollah et ses alliés - ont été déployés dans Beyrouth, permettant par là au parti de Dieu d'avoir un adversaire, faible de surcroît, et de remporter une victoire.
Le public du 14 Mars est suffisamment avisé pour réaliser que la donne régionale et internationale a changé et que ceci a eu des retombées profondes sur la scène locale. Cependant, il a le droit de demander à quel point la majorité parlementaire est sensible aux « conseils » de ses alliés étrangers, et jusqu'à quand ces derniers continueraient-ils à imposer des modes de contacts et de coopération avec la Syrie qui dérogent à tous les principes de l'intifada de l'Indépendance.
Le public du 14 Mars ne manque pas de réalisme pour ne pas comprendre que dans le contexte actuel, Saad Hariri, en tant que Premier ministre, ne pouvait que se rendre en Syrie. Néanmoins, il mérite qu'on lui explique pourquoi Saad Hariri a insisté pour être nommé président du Conseil, tout en étant conscient que dans ce cas, il ne pouvait que visiter Damas ; et pourquoi Saad Hariri s'est rendu en Syrie, seul, en « invité personnel » de Bachar el-Assad, et non en Premier ministre accompagné d'une délégation officielle et des membres du gouvernement.
Le public du 14 Mars n'est pas dupe pour ne pas se rendre à l'évidence et accepter la formation d'un gouvernement d'« union nationale » au nom de la préservation de la paix civile. Il n'empêche que la majorité doit répondre devant lui de sa décision de prendre part à un tel gouvernement alors qu'elle avait promis tout le contraire avant les élections ; de la polémique qu'elle a suscitée autour des revendications gouvernementales de Michel Aoun avant de donner entière satisfaction au chef du CPL ; du blocage gouvernemental qui a duré tout un été du fait de cette polémique, laissant le pays sans cabinet pendant plusieurs mois.
Le public du 14 Mars n'est pas étranger à la réalité libanaise et sait que certaines considérations confessionnelles et communautaires sont parfois inéluctables au Liban, que certaines tactiques politiciennes sont inévitables. Mais il a le droit de sanctionner la majorité parlementaire pour son attitude ultraréactionnaire consistant à vouloir empêcher tout débat sur la déconfessionnalisation ; à vouloir interdire, coûte que coûte, aux jeunes de moins de 21 ans, dont beaucoup ont probablement manifesté un 14 février ou un 14 mars, de voter ; à vouloir entraver la réforme de la loi sur les élections municipales et même la tenue de ce scrutin, tout en promettant de l'organiser dans les délais.
Le public du 14 Mars est compréhensif au point d'accepter que le communiqué publié à l'issue de la dernière réunion des pôles de la majorité au Bristol soit quelque peu vague et consensuel, pour ne pas entraver la mission de Saad Hariri qui, en tant que Premier ministre, doit jouer un rôle fédérateur au maximum. Nonobstant ce fait, il se trouverait dans son droit s'il s'indignait de l'absence dans ce texte de toute référence explicite au tracé des frontières syro-libanaises, au dossier des détenus et disparus libanais dans les geôles syriennes, à l'abrogation du Haut-Conseil syro-libanais, au monopole de l'État sur les armes et la violence. Car sans ces quatre revendications présentées sans ambages dans le communiqué d'invitation, aucun rassemblement de 14 février n'aura de sens et ne méritera qu'on lui sacrifie la matinée d'un dimanche.
Cinq ans après l'assassinat de Rafic Hariri, la majorité parlementaire, ou ce qui en reste, ne peut plus se contenter d'égrener les événements glorieux du passé proche, pour galvaniser les foules et les mobiliser massivement place des Martyrs.Il ne suffit plus de rappeler l'époque si riche en espoirs de l'opposition plurielle, de la lutte contre le...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut