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Économie - Liban - Interview

Laurent : Les dirigeants libanais doivent apprendre à prévoir à moyen terme

Le chef de la Délégation de l'UE a déploré, dans un entretien avec « L'Orient-Le Jour », le fait que « de nombreux projets de loi approuvés par le Conseil des ministres s'entassent au Parlement sans être étudiés ».

« Il faudrait transformer la stabilité sécuritaire actuelle en élément de construction d’un État libanais plus fort », a estimé Patrick Laurent.

Dans un entretien exclusif avec L'Orient-Le Jour, le chef de la Délégation de l'Union européenne (UE) au Liban, l'ambassadeur Patrick Laurent, a exhorté le gouvernement à profiter de la stabilité politique et de la prospérité économique actuelles pour lancer le train des réformes, déplorant le fait que de nombreux projets de loi essentiels demeurent bloqués au Parlement. Il a également mis l'accent sur la nécessité pour l'État d'investir dans son infrastructure en matière d'énergie, de transports, d'eau et de télécoms, de résorber sa dette et d'œuvrer pour le développement équitable pour toutes les régions du pays, en apprenant à travailler d'une manière plus politique, c'est-à-dire en prévoyant à moyen terme.
L'ambassadeur a en outre affirmé que les donateurs européens feront preuve de patience avec le Liban tant que leurs partenaires locaux feront preuve de sérieux, avertissant toutefois que « certains fonds dont le déboursement est prévu dans un délai de temps donné pourraient être perdus » pour le Liban.
L'Orient-Le Jour : Que pense l'Union européenne des retards de l'application du programme de réformes présenté par le gouvernement libanais lors de la conférence de Paris III ?
Patrick Laurent : Le Liban a connu un contexte politique difficile depuis 2007. Ce contexte explique en partie les retards pris dans l'application du programme de réformes de Paris III et l'UE en est consciente.
Le gouvernement précédent a réussi à mettre en place l'infrastructure nécessaire à l'application des réformes dans le domaine économique et commercial. Il faut maintenant ajouter de la substance à cette ossature. Force est de constater qu'un ensemble de législations restent bloquées au Parlement (OMC, eau, énergie, télécoms, etc.). Des efforts sont à déployer pour que le gouvernement d'union nationale profite de la fenêtre d'opportunité qui résulte de l'apaisement que connaît la classe politique.
Les pays donateurs européens sont-ils susceptibles d'accepter une éventuelle demande libanaise d'établir un nouveau calendrier pour les réformes ?
En ce qui concerne l'UE, un éventuel nouveau calendrier pour les réformes n'est pas totalement exclu. Nous serons réalistes quant à la capacité du gouvernement à délivrer certaines réformes dans les délais. Nous resterons toutefois exigeants. Nous serons prêts à être flexibles en ce qui concerne les réformes des télécoms, de l'énergie et de l'eau. Mais nous devrons avoir le sentiment que notre partenaire est sérieux.
Cependant, le Liban doit être conscient du fait que certains fonds dont le déboursement est prévu dans un délai de temps donné pourraient être perdus.
Il reste que le Liban se trouve dans une situation exceptionnelle due à sa réponse contracyclique à la crise mondiale. Au moment où les flux financiers plongeaient dans le monde entier, le Liban a engrangé des rentrées exceptionnelles de capitaux et de fonds qui doivent être utilisés à leur juste valeur. Il est très important que le Liban puisse développer des mécanismes pour utiliser ces rentrées selon deux axes. Il s'agit en premier lieu d'investir dans l'infrastructure et notamment au niveau de l'énergie, de l'eau, des télécoms et des transports dont le développement permettra de créer des emplois, et donc aux petites et moyennes entreprises (PME) de s'installer dans les différentes régions du pays. Il s'agit également de tenter de résorber l'endettement considérable du pays. Pour ce faire, il faudrait rassurer les détenteurs de capitaux à court terme tout en les orientant vers l'économie réelle afin de résorber la dette à moyen terme.
Il ne faut surtout pas rater l'opportunité rare qui se présente au Liban actuellement, et je crois savoir que M. le gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé et Mme la ministre des Finances Raya el-Hassan y travaillent. Nous sommes dans une période intéressante de redémarrage du Liban avec des indicateurs économiques très positifs qui dissimulent toutefois de grandes lacunes en matière d'infrastructure et de réformes.
À votre avis, le gouvernement actuel sera-t-il en mesure de mener les réformes escomptées ?
L'avantage d'un gouvernement d'union nationale est qu'une fois les décisions prises, leur mise en œuvre est facilitée par le fait qu'elles jouissent d'un large consensus.
Toutes les parties libanaises représentées au gouvernement sont conscientes que le pays a besoin de réformes majeures s'il veut se développer dans ce contexte de concurrence internationale et offrir des opportunités d'emploi aux jeunes de toutes ses régions. Nous avons donc l'espoir que la volonté partagée de réformer les institutions et les politiques économiques du pays amènera ses dirigeants à aborder progressivement l'ensemble des réformes nécessaires et que cette volonté sera suffisamment forte pour aboutir à une vision d'avenir et à des plans d'action sectoriels concrets.
D'ailleurs, les dirigeants de ce pays n'ont pas des visions antagonistes en matière économique. Bien plus, les forums interlibanais organisés par l'UE ont montré que ces dirigeants partagent une même vision. La déclaration ministérielle du gouvernement actuel qui s'est inspiré des conclusions de ces forums est très bien rédigée, ambitieuse, et constitue une bonne feuille de route pour les réformes.
Le problème est que les partis politiques libanais ont tendance à travailler à court terme. Le Liban doit apprendre à fonctionner d'une manière plus politique, c'est-à-dire en prévoyant à moyen terme. Gouverner, c'est prévoir. Au sein du gouvernement actuel, on ressent un certain progrès à ce niveau, du moins au niveau de l'acceptation du concept de politiques sectorielles.
Le Fonds monétaire international a récemment épinglé les autorités libanaises pour avoir émis des certificats de dépôt fortement rémunérés pour éponger les liquidités et soutenir la rentabilité des banques. Que pense l'UE de ce type de stratégies ?
Les relations entre les banques libanaises et l'État sont la résultante d'une histoire de dépendance mutuelle. La réalité est que le total des actifs des banques libanaises est égal à plusieurs fois le PIB libanais. Les banques ont donc objectivement un intérêt limité à contribuer au développement de l'économie locale. Cependant, en tant qu'entreprises libanaises, elles doivent réaliser l'intérêt de développer l'économie réelle, productrice, et d'avoir une vision à long terme. Sans affaiblir le secteur financier, il faudrait œuvrer pour le développement de l'économie réelle, plus génératrice d'emplois pour les Libanais.
Comment évaluez-vous la coopération économique actuelle entre l'UE et le Liban et comment peut-on la développer ?
L'UE est depuis longtemps le principal partenaire du Liban dans le domaine commercial, comme elle l'est d'ailleurs sur le plan de l'assistance technique et financière.
Les échanges commerciaux entre le Liban et l'UE sont bien établis et en plein essor. En effet, depuis la signature de l'accord d'association intérimaire en 2003, la valeur des exportations libanaises a destination de l'EU a triplé, passant de 176 à 508 millions d'euros par an. Plus de 37 % des importations du Liban proviennent de l'UE, qui reçoit 17 % des exportations libanaises.
Le Liban reste un importateur de biens transformés et un exportateur de services et non pas un transformateur de biens. Les jeunes Libanais vivent une situation particulière puisque l'économie locale ne crée pas d'emplois. Il faudrait permettre à l'appareil productif de se développer, non pas dans tous les secteurs, mais dans certains secteurs (non polluants) qui permettent de trouver des niches à l'exportation et de vendre à l'étranger des biens à forte valeur ajoutée. Cela concerne par exemple l'industrie pharmaceutique ou certains segments du secteur agroalimentaire (plantes aromatiques, etc.).
Globalement, l'UE est active dans pratiquement tous les secteurs de l'économie et prévoit un plan indicatif national pour la période 2011-2013 avec une enveloppe de l'ordre de 50 millions d'euros par an. Mais pour mieux tirer profit de cette assistance, le Liban doit élaborer dans les domaines qu'il estime prioritaires des stratégies sectorielles basées sur un consensus politique aussi large que possible.
De plus, afin que le Liban puisse jouir pleinement des avantages de l'accord d'association avec l'UE, bon nombre de réformes en matière de standardisation, de normes sanitaires et de règles d'origine sont à mettre en œuvre. Le pays devra s'assurer que les nombreux projets de loi approuvés par le Conseil des ministres et qui s'entassent au Parlement sans être étudiés soient adoptés et mis en œuvre. L'UE encourage le gouvernement à mettre en œuvre cette partie de la déclaration ministérielle sans délai.
Comment dynamiser les investissements européens privés au Liban ? Des investisseurs européens seraient-ils intéressés par une éventuelle vente d'actifs publics libanais ?
Tout investisseur cherche toujours à avoir une rentabilité raisonnable mais aussi une confiance dans l'avenir. Les Libanais travaillent généralement à court terme alors que les Européens privilégient le long terme et sont exigeants en matière de stabilité politique. Il faudrait transformer la stabilité sécuritaire actuelle en élément de construction d'un État libanais plus fort, doté d'un appareil législatif et judiciaire sur lequel l'investisseur puisse compter, de moyens fiables de règlement des litiges et d'une vision claire pour l'avenir. Cela attirera les investisseurs européens qui chercheront à profiter, non seulement du marché local qui demeure restreint, mais surtout des perspectives régionales. L'opacité des décisions, l'incertitude et les interférences politiques dans la vie économique ont tendance à décourager l'investissement.

Comment encourager davantage de touristes européens à visiter le Liban ?
Le Liban est un pays magnifique par sa diversité et dont le potentiel touristique est élevé. Force est cependant de constater que beaucoup d'Européens se retiennent de le visiter parce que son image est celle d'un pays instable.
De plus, l'infrastructure touristique est très inégale, ce qui ne convient guère aux touristes de pays industrialisés. Mais certains touristes européens ont des moyens financiers limités et aimeraient pouvoir loger dans de simples auberges à prix modérés.
Il faudrait donc penser davantage au développement régional, d'autant que l'arrière-pays du Liban est très attirant pour les touristes. Le Liban gagnerait également beaucoup en attractivité s'il exploitait davantage les possibilités de l'écotourisme, qui intéresse particulièrement les touristes européens.
Dans un entretien exclusif avec L'Orient-Le Jour, le chef de la Délégation de l'Union européenne (UE) au Liban, l'ambassadeur Patrick Laurent, a exhorté le gouvernement à profiter de la stabilité politique et de la prospérité économique actuelles pour lancer le train des réformes, déplorant le fait que de nombreux...
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