Être patriote

Que c'est bon d'être patriote ! De nos jours, le patriotisme est un luxe que tout le monde ne peut pas s'octroyer. Je rencontre de plus en plus de personnes qui ne jurent que par le Liban, que par leurs terres, que par leur village... Bien plus que du patriotisme, c'est un vrai retour aux valeurs ancestrales. Il est regrettable de constater que le patriotisme se perd entre une jeunesse en proie à l'éternel dilemme cornélien : partir ou rester ? et une autre qui ne jure que par le Liban éternel sans lequel et hors duquel elle ne peut vivre. C'est tout dire.
D'autres s'estiment patriotes à l'excès tout en se trouvant hors du Liban, et d'autres encore car ils doivent être là. Car de nos jours, c'est un devoir d'être patriote. Le concept est nouveau. On ne l'est plus naturellement, mais parce qu'il y a un retour vers les origines. Les jeunes renouent avec leurs terres, et ils prennent un réel plaisir à retrouver les leurs dans les villages les plus reculés. Et puis il y a les autres qui veulent rester au Liban pas spécialement pour leur patriotisme (quasi inexistant, mais il ne faut pas le leur dire), mais pour son art de vivre et la façon bon enfant qu'on a de survivre à travers les soirées mémorables et ces quartiers d'éternelles beuveries nocturnes.
Étrangement pourtant, ce sont ces mêmes patriotes, de tous bords et de tous horizons, qui me conseillent de quitter le Liban et de voguer vers d'autres rives. Pourquoi ne le feraient-ils pas, eux ? Bref, encore des bonnes âmes qui conseillent sans savoir elles-mêmes comment agir.
En effet, même le plus pur des patriotes éprouve cette envie, qu'il n'ose s'avouer, d'aller voir ailleurs comment ça se passe. De deux choses l'une : ou bien il n'aime pas et il revient, ou bien il ne revient pas sans pour autant être convaincu que c'est mieux. Voir ailleurs implique beaucoup de sacrifices et de concessions, et c'est souvent ce qui fait peur aux jeunes, qui préfèrent revenir ou rester au Liban, même si les opportunités d'aller de l'avant leur paraissent bouchées. Mais ils sont comme ça car pour eux, le Liban c'est leur Liban avant tout, la famille, les amis, les sorties, le confort moral, la vie sociale, etc.
Que faire ? Eux-mêmes ne le savent pas vraiment, bien qu'ils prétendent le contraire. Nous sommes face à une jeunesse perdue qui continue à vouer un culte inconsidéré à ses racines, mais pour des causes radicalement différentes suivant les individus.
Et puis il y a ceux qui ont décidé librement de quitter car ailleurs, si ce n'est pas mieux, ça ne peut pas être pire. Au moins ailleurs, leurs diplômes seront reconnus à leur juste valeur.
Récemment, un professeur d'université a posé la question à ses étudiants : « Pourquoi préparez-vous ce diplôme ? » La réponse est venue spontanément d'une étudiante plutôt lucide et visiblement loin d'être hypocrite en proclamant bien haut ses principes : « Pour 100 000 LL en plus » (la scolarité de la spécialisation s'élève à 12 000 dollars).
C'est un peu pour cela que les jeunes, quelque patriotes qu'ils puissent paraître, s'expatrient, parfois avec un déchirement au cœur. Au moins ailleurs, nous sommes payés en fonction des diplômes et pas selon un standard. On ne fait pas entrer dans une entreprise un bac +7 comme un bac +4. Malheureusement, au Liban, ce principe ne s'applique pas, du moins pas partout. Je ne fais que rencontrer des hyperdiplômés embauchés pour des salaires dérisoires. À quoi bon se spécialiser si les connaissances ne sont pas prises en considération au moment de l'embauche ?
C'est un peu pour tout cela que le patriotisme de la jeunesse s'estompe peu à peu. Même les plus récalcitrants commencent à aller voir ailleurs. Il n'y a personne pour remédier à cet exode de cerveaux. C'est triste mais c'est ainsi !