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Liban - Hors piste

La confessionnalisation de la laïcité

Le confessionnalisme est sans le moindre doute l'une des principales faiblesses du Liban ; l'un des facteurs déterminants des crises politiques qui menacent périodiquement sa stabilité et même son existence ; l'origine de la fragmentation à l'infini de son identité ; un obstacle majeur à l'édification de son État ; l'une des sources des déformations structurelles de son économie ; la porte d'entrée par laquelle s'infiltrent les puissances étrangères depuis des siècles, pour se tailler des périmètres d'influence géographique, politique et même sécuritaire sur la scène locale.
Cependant, contrairement au discours que tente d'imposer l'omniprésident de la Chambre, Nabih Berry, le confessionnalisme ne saurait être réduit à un simple système politique. Tout comme dans le cas de la corruption, il s'agit d'un fait, d'un phénomène, d'un paradigme social dont la répartition confessionnelle du pouvoir politique n'est qu'une des principales manifestations, un symptôme dangereux certes, mais pas le seul. L'éradication de ce phénomène nécessite un travail de longue haleine, un processus d'accumulation culturelle, politique, économique, sociale, un chantier national qui ne saurait être limité aux strates supérieures de l'État.
S'il est utile de rappeler ce point, c'est que les répliques des parties chrétiennes de la majorité parlementaire aux dernières rodomontades du chef d'Amal ont produit un brouillage des valeurs, une confusion du débat, une sorte de confessionnalisation de la question de la laïcité et de la déconfessionnalisation. Malgré les tentatives timides et fort embarrassées du Courant du futur de rejeter les propositions de Nabih Berry, les discours tenus au cours des dernières semaines ont généré une sorte de clivage curieux autour de la question de la laïcité qui laisserait croire que les chrétiens seraient contre la déconfessionnalisation alors que les musulmans, du moins les chiites, y seraient favorables.
En proposant de commencer à appliquer les dispositions de Taëf en matière de déconfessionnalisation, la cible de Nabih Berry était claire, à savoir les chrétiens de la majorité, dernières parties à continuer à tirer à boulets rouges sur l'armement de son allié khomeyniste. Ce faisant, le président de la Chambre misait sur une réaction primitive de la part de ces parties - qui tremblent toujours face à l'épouvantail creux et absurde de la question démographique - qui les conduirait à rejeter péremptoirement, en bloc, ses propositions, sans chercher à approfondir la réflexion publique dans ce domaine. Son pari ayant réussi, Nabih Berry est en mesure d'établir l'équation suivante : la déconfessionnalisation contre les armes du Hezbollah.
Autrement dit, le chef d'Amal tente d'insinuer ce qui suit : les représentants de la communauté chrétienne, notamment ceux qui défendent le monopole de l'État sur les armes, violent Taëf en refusant d'appliquer ses dispositions en matière de déconfessionnalisation et assument donc la responsabilité de toute crise politico-confessionnelle à venir. Les parties majoritaires au sein de la communauté chiite peuvent donc en faire de même, en choisissant une autre clause de Taëf à violer, à savoir celle sur le désarmement des parties politiques. Et voilà que le débat public est déboussolé, confessionnalisé à profusion et que le projet de l'État est noyé dans d'interminables polémiques sur le sexe des anges.
En faisant abstraction de la position de Michel Aoun qui n'a jamais été favorable à Taëf et qui a adopté le discours de la partie qui viole les dispositions de ce texte en matière de désarmement, il est indubitable que l'attitude des chrétiens de la majorité a permis, sinon facilité la réussite de la énième manœuvre abracadabrantesque de Nabih Berry et produit une incohérence dans le propre discours de ces parties, en montrant que ces dernières non plus ne sont pas pour une application intégrale de Taëf.
Pourtant, il aurait été bien plus simple d'accepter purement et simplement la proposition Berry qui porte sur la création de la Commission nationale pour la suppression du confessionnalisme politique conformément à Taëf et non sur une abolition immédiate et fulgurante du système actuel. Une fois cette commission formée - ce qui aurait nécessité des lustres, le gouvernement n'ayant réussi à nommer aucun directeur général en quatre ans, on voit mal comment il pourrait former rapidement une instance d'une telle envergure - il aurait suffi de recadrer le débat en réclamant un projet de déconfessionnalisation à tous les niveaux, de sorte que ce processus ne conduise pas à une laïcité à l'égyptienne où une communauté monopolise le pouvoir et écrase toutes les autres au nom du sécularisme. L'on pourrait proposer également dans le cadre de cette commission une déconfessionnalisation de la principale force militaire du pays, à savoir le Hezbollah, qui a une identité confessionnelle étroite et unidimensionnelle. Le sortilège aurait alors été retourné contre l'apprenti sorcier.
Mais pour cela, il faudrait que les parties chrétiennes dépassent certains de leurs cauchemars ataviques, infantiles, absurdes pour reconnaître que la déconfessionnalisation profite en premier aux chrétiens de ce pays. Car dans le cadre d'un régime laïc, les chrétiens seront des citoyens comme les autres, égaux en devoirs et en droits, et dont l'existence ne peut être menacée. Alors qu'à l'ombre du système confessionnel actuel, ils ne seront que les membres de collectivités minoritaires dans la région, en perte de vitesse démographique sur la scène locale et dont les acquis confessionnels sont toujours menacés par l'attitude vindicative de certaines parties qui, malgré tous les documents d'entente qu'elles ont signés, continuent de nourrir leur public de discours revanchards et haineux, et de l'abreuver d'histoires anachroniques de « cireurs de chaussures ».
Le confessionnalisme est sans le moindre doute l'une des principales faiblesses du Liban ; l'un des facteurs déterminants des crises politiques qui menacent périodiquement sa stabilité et même son existence ; l'origine de la fragmentation à l'infini de son identité ; un obstacle majeur à l'édification de son État ;...
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