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Liban - Hors piste

La CDRisation galopante

Au détour d'une de ces lapalissades dans lesquelles excellent les dirigeants libanais en période de réconciliations et d'union nationale, un responsable officiel appartenant au Courant du futur a lâché une phrase fort significative, et en tout cas fort révélatrice de l'état d'esprit qui gouverne une tranche, loin d'être marginale, de la classe dirigeante locale.
Ledit responsable s'est en effet « étonné » du « tapage médiatique » suscité autour du dossier des nominations visant à pourvoir aux vacances au niveau des hautes sphères de l'administration, promettant, en bafouant sans sourciller le principe de la séparation des pouvoirs, que les deux têtes de l'Exécutif et du Législatif allaient « se concerter » pour concocter un mécanisme visant à clore ce dossier « au plus vite ».
Dans son « étonnement », il est échappé à ce ténor haririen que les nominations administratives sont une affaire publique par excellence et doivent, par conséquent, être débattues en long et en large sur la scène publique et médiatique. D'autant que ces nominations devraient viser à redynamiser l'administration après une longue période de paralysie due à la crise politique des dernières années. D'autant que cette administration est sclérosée, exsangue, fourbue, et que la désignation de nouveaux dirigeants administratifs devrait être l'occasion d'améliorer son fonctionnement afin de lui permettre de mieux servir la population, de mieux gérer la fraction de la chose publique qui relève de son domaine de compétence et de mettre un terme au chaos ambiant. D'autant que les personnes concernées par ce processus seront rémunérées par les deniers de l'État, par l'impôt que le contribuable règle souvent moyennant de durs sacrifices et que ce contribuable a donc le droit de savoir comment et pourquoi ont été sélectionnés les hauts fonctionnaires dont il finance les salaires et les appointements.
Mais « l'étonnement » du responsable précité de voir la question des nominations débattue en public montre que certains, voire la plupart des responsables de la classe politique continuent de voir dans les dossiers publics une affaire strictement privée, à régler à huis clos, dans l'intimité d'une rencontre entre les trois têtes de l'État, au grand dam de la Constitution, des règles législatives et des usages et principes républicains. D'aucuns continuent de voir dans les nominations administratives l'occasion de renforcer leur influence clanique au sein de l'appareil étatique, de contrer les projets de leurs adversaires politico-communautaires, d'agrandir leur terrain de chasse dans le domaine public, de récompenser certains de leurs acolytes ou de servir certains de leurs clients en leur confiant des postes prestigieux au sein de l'administration. Ils continuent de voir dans chaque institution étatique une officine d'intérêts privés à exploiter ou à détruire, dans chaque projet public l'occasion de conclure un bon marché, de faire une bonne affaire, de consolider son business, dans chaque réforme l'opportunité d'engranger des bénéfices et des profits à long terme.
Cette vision ou plutôt ce trouble de la vision qui conduit à confondre domaine public et affaires privées n'entache pas une partie politique précise et n'en épargne aucune autre. La CDRisation, du nom de ce monstre juridique qu'est le Conseil du développement et de la reconstruction qui brasse des fonds publics colossaux tout en étant géré comme une société privée, loin du contrôle du Parlement et des instances de surveillance, ne cesse de prendre de l'ampleur. Cette façon de gérer la chose publique comme une affaire privée est largement présente tout au long du spectre politique et traverse aisément les lignes de clivages pour être partagée par la partie qui règne sur le CDR, Solidere, l'aéroport international, le port et le conseil municipal de Beyrouth ou les secteurs des télécoms et de l'aviation, tout comme celles qui contrôlent la Caisse du Sud, les ministères de la Santé, de l'Information et du Travail, la Caisse nationale de la Sécurité sociale, la télévision nationale ou l'EDL, celles qui manipulent les municipalités du Metn, et toutes leurs richesses, celles qui font de même avec les conseils municipaux de Jbeil et du Kesrouan, et toutes les autres qui, d'une façon ou d'une autre, se sont taillé des parcelles d'influence plus ou moins étendues dans le domaine public. Par ceux qui veulent construire l'État en s'opposant à l'ingérence syrienne tout comme ceux qui veulent l'édifier en luttant contre les visions hégémoniques israéliennes, sans que l'on comprenne très bien pourquoi ils ne commenceraient pas à ériger les institutions en mettant purement et simplement un terme à leurs marchandages et à leur népotisme.
Au détour d'une de ces lapalissades dans lesquelles excellent les dirigeants libanais en période de réconciliations et d'union nationale, un responsable officiel appartenant au Courant du futur a lâché une phrase fort significative, et en tout cas fort révélatrice de l'état d'esprit qui gouverne une tranche, loin d'être marginale, de la...
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