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Liban - Hors piste

Une visite, pas un suicide

La visite prévue de Saad Hariri à Damas aura probablement des conséquences cataclysmiques sur le public du 14 Mars pour lequel il ne sera guère évident de voir l'héritier de celui dont l'assassinat a marqué le déclenchement de l'intifada pour l'indépendance serrer la main de Bachar el-Assad lui-même. Beaucoup s'en trouveraient désillusionnés, déçus, dégoûtés de la politique et de ses méandres. Certains regretteraient leur engagement en 2005, le temps qu'ils ont passé place des Martyrs. D'autres vivront l'événement comme une défaite, une déchéance, une humiliation. Probablement que jamais le déplacement d'un dirigeant libanais à l'étranger ne suscitera un tel déferlement de réactions passionnées dans la rue libanaise.
Force est toutefois de reconnaître que cette visite demeure inéluctable non parce que, comme le prétendent certains, un Premier ministre libanais se doit de visiter la capitale syrienne dès son entrée en fonctions pour obtenir la bénédiction du régime baassiste et réussir dans sa mission, mais parce que le contexte régional et les nécessités de la paix civile l'exigent. Parce que le 7 mai 2008 est passé par là. Parce que sur le plan militaire, il y a eu un vainqueur et un vaincu, certains vecteurs du projet d'édification de l'État ayant ouvert la voie à leur défaite en se laissant piéger par la tentation des compagnies de sécurité miliciennes. Parce que la menace des armes impose aujourd'hui le consensus dans tous les domaines, sauf en matière de guerre et de paix. Parce qu'il s'est avéré que l'ancienne puissance occupante garde intact son pouvoir de nuisance au Liban et conserve l'une des clés de la paix civile du pays, de sa stabilité, de son avenir. Parce que Washington, Paris et Riyad ont décidé de mettre un terme à l'isolement de Damas et que le Liban ne peut pas continuer à boycotter seul la capitale syrienne. Parce qu'enfin le parrain régional du jeune Premier ministre, le roi Abdallah ben Abdel Aziz, a décidé de geler les hostilités avec le régime syrien et attend de Saad Hariri qu'il en fasse de même.
Saad Hariri ne pourra donc pas éviter ce qui sera probablement la plus grande épreuve de sa vie politique. Cependant, si le principe de sa visite à Damas est acquis, les modalités de cette démarche offrent au Premier ministre une marge de manœuvre suffisante pour rencontrer Bachar el-Assad sans renier les principes et le projet qu'il a défendus depuis 2005.
Damas attend probablement un Saad Hariri vaincu, soumis, conciliant à volonté, aussi faible que possible. L'affaire des commissions rogatoires concernant plusieurs proches de la Maison du Centre semble en dire long sur ce sujet.
Il appartient au chef du Courant du futur de s'assurer que la tentative de le briser et d'humilier au moins la moitié du peuple libanais ne réussira pas. Rien que la date de son déplacement ou le moyen de transport qu'il empruntera pour traverser la frontière auront une portée symbolique suffisamment importante pour sauver la face du projet indépendantiste et affirmer au monde entier que l'époque où le Premier ministre du Liban ne pouvait que se soumettre aux diktats du Baas syrien est bel et bien révolue.
En effet, s'il se rendait en Syrie par voie terrestre, Saad Hariri rouvrira malgré lui la funeste route de Damas qu'arpentaient les politiciens libanais pour recevoir leurs directives à l'époque de l'occupation. Par contre, un voyage en avion conférera à la visite l'aspect solennel, officiel, du déplacement en terre étrangère du chef du gouvernement libanais et signifiera aux responsables syriens que la continuité géographique entre les deux pays n'est guère un prétexte pour imposer à l'un l'hégémonie de l'autre.
De plus, une visite à Damas dès le lendemain du vote de confiance, c'est-à-dire dès ce week-end comme le veulent certains, sera interprétée comme une tentative de Saad Hariri de mendier, de négocier, de solliciter le succès et le bon fonctionnement de son gouvernement auprès des responsables syriens. Cependant, s'il attendait quelque mois, jusqu'en février selon certaines sources, le chef du Courant du futur se rendra à Damas en Premier ministre au pouvoir bien assis, rodé à l'exercice de ses fonctions, sûr de son autorité, qui ne vient traiter que des relations bilatérales entre le Liban et la Syrie, ni plus ni moins. Surtout si le président du Conseil inscrivait son déplacement outre-frontières dans le cadre d'une tournée arabe, voire même régionale.
Le plus important reste toutefois le discours que tiendra Saad Hariri à Damas et les points qu'il soulèvera avec ses hôtes syriens. Le chef de la majorité parlementaire, le Premier ministre du Liban, le défenseur du projet d'édification de l'État n'hésiterait ni à parler de relations équitables, d'égal à égal entre le Liban et la Syrie, ni à évoquer les dossiers épineux mais non moins fondamentaux et incontournables des détenus et disparus libanais en Syrie, de l'armement des milices palestiniennes implantées en dehors des camps de réfugiés et contrôlées par Damas, du tracé des frontières, notamment au niveau des fermes de Chebaa et de la tutelle syrienne sur le Liban entre 1989 et 2005. Un homme vaincu,, un petit caïd libanais se contentera de ressasser quelques banalités, d'écouter ses interlocuteurs et de déguerpir. Il appartiendra à Saad Hariri de choisir lequel des deux rôles il souhaiterait jouer. Néanmoins, l'excès de zèle grossier dont a fait preuve Jean Oghassabian, ministre nommé par le Courant du futur, en demandant le remplacement dans la déclaration ministérielle de l'expression « relations d'égal à égal entre le Liban et la Syrie » par les termes « relations fraternelles » ne laisse présager rien de bon à cet égard.
La visite prévue de Saad Hariri à Damas aura probablement des conséquences cataclysmiques sur le public du 14 Mars pour lequel il ne sera guère évident de voir l'héritier de celui dont l'assassinat a marqué le déclenchement de l'intifada pour l'indépendance serrer la main de Bachar el-Assad lui-même. Beaucoup s'en trouveraient...
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