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La « libanisation » du Moyen-Orient et ses conséquences sur le Liban (I)

Fouad KHOURY HÉLOU
Le Moyen-Orient vit une transformation majeure. D'abord, l'Afghanistan et l'Iran constituent un élément essentiel dans la stratégie américaine en Asie, visant à établir un « équilibre des forces » avec la Chine, l'Inde et la Russie afin de préserver l'influence des USA. Ensuite, le « Croissant fertile » (notamment Irak, Syrie et Liban) subit l'émergence de l'Iran et de la Turquie, ainsi que le morcellement communautaire et le face-à-face sunnite-chiite. Le Liban vit les conséquences de cette situation, en particulier depuis les affrontements de 2008 et la conférence de Doha, qui a consacré une forme de « partition » non déclarée, sous surveillance régionale et internationale. Ainsi, le Liban ne s'est ni « arabisé » ni « occidentalisé » ; c'est tout le Proche-Orient qui est maintenant « libanisé ».
D'abord, l'Afghanistan. Ce pays est le point de rencontre géographique des cinq puissances qui comptent en Asie : Russie, Chine, Inde, Pakistan et Iran. Il est sur la route du pétrole : si l'une des puissances, notamment la Chine ou l'Inde, veut envahir demain par voie de terre le golfe Persique, elle doit passer par Kaboul. Plus généralement, toute puissance voulant contrôler l'Asie et ses ressources devra tôt ou tard occuper ce pays, « carrefour » du continent : c'est le point de passage obligé de toute puissance et le lieu où les autres peuvent l'arrêter. Voilà pourquoi l'Amérique a occupé l'Afghanistan, au-delà de la lutte contre al-Qaëda.
Mais l'Afghanistan est également une carte de pression entre les mains des USA. Ce pays est aujourd'hui la « zone de non-droit » d'où partent nombre de menaces terroristes. Il constitue un risque pour ses voisins : le Pakistan et l'Inde, victimes d'attentats à répétition ; la Chine avec les problèmes séparatistes au Tibet et au Xinjiang, qui sont une menace pour son unité ;  la Russie, qui craint la déstabilisation de son territoire ; enfin, l'Iran, qui vit au rythme d'attentats dans sa partie orientale à minorité sunnite. Donc, en œuvrant à pacifier l'Afghanistan, les États-Unis rendent en fait un grand service à la Chine, à l'Inde, à la Russie... En échange, ils exigent des concessions. Ainsi, Henry Kissinger a récemment réclamé que ces pays se joignent à l'entreprise de pacification de l'Afghanistan, et ce implicitement sous commandement américain. Mais si ces puissances l'acceptaient, cela impliquerait de reconnaître la suprématie US en matière de sécurité. Ce que les USA recherchent. Conclusion, lorsque l'Amérique évoque ses efforts de pacification de l'Afghanistan, c'est une invitation adressée aux puissances asiatiques d'entrer dans son jeu. Ou, dans le cas d'un refus, d'en subir les conséquences.
En parallèle, l'Amérique négocie avec l'Iran l'accès de ce pays à la technologie nucléaire civile, prélude éventuel à son accès à la bombe. Mais cette négociation est d'abord pour les USA un moyen de pression afin d'obtenir des autres puissances, particulièrement la Chine et l'Inde, un accord limitant leurs capacités militaires. Le message est clair : soit ces pays consentent d'eux-mêmes à limiter leurs ambitions, soit l'Iran, leur voisin immédiat et adversaire potentiel, serait susceptible d'accéder au nucléaire. Ce qui imposerait sur le continent asiatique un « équilibre des forces » de facto. C'est pourquoi Henry Kissinger réclame également une entente globale de sécurité englobant toute l'Asie, limitant les capacités militaires de l'Iran, de la Chine, de l'Inde, de la Corée du Nord, donc de tous les pays représentant pour Washington un risque potentiel. L'Iran n'est qu'un prétexte. Le but réel est de créer un équilibre préservant la prééminence américaine. De « diviser pour régner ».
Certains argueraient qu'un Iran nucléaire se retournerait contre les USA. Or, idéologiquement, l'Iran n'est pas plus un ennemi de l'Amérique que ne l'est le Pakistan, qui est miné par le fondamentalisme, qui possède la bombe atomique et qui est un allié des USA. Et, surtout, l'expérience de la guerre froide a prouvé que la bombe atomique est une arme défensive et non pas offensive. C'est une arme de dissuasion, qui garantit à l'agresseur d'être détruit ; mais, si tout le monde la possède, alors il vaut mieux que personne ne l'utilise, de peur d'être également détruit. Autrement dit, point fondamental, le fait que l'Iran possède la bombe atomique ne constitue pas un problème pour l'Amérique, si celle-ci n'a de toute façon pas l'intention d'agresser Téhéran, mais d'en faire un partenaire dans le « grand jeu » asiatique. Notons enfin qu'un Iran nucléaire ferait également l'intérêt de la Russie. Car la détention par Téhéran de la technologie nucléaire lui permettrait de faire face dans le futur à la Chine et l'Inde, en accord avec Moscou, puissance elle-même en déclin. Voilà pourquoi la Russie construit aujourd'hui pour le compte de Téhéran une centrale nucléaire à Boushehr, en Iran. Et tout cela fait l'intérêt des USA.
Cela dit, il y a des conditions pour que l'Amérique envisage de donner à l'Iran l'accès à l'énergie atomique : elle souhaite y voir un régime stable et allié. Or, la situation politique en Iran n'est pas totalement clarifiée. Depuis la mort de l'ayatollah Khomeiny en 1989, ce pays repose sur un compromis entre le clergé chiite, gardien de l'orthodoxie religieuse, et les Pasdarans ou Gardiens de la Révolution, aile militaire du régime. Et l'ayatollah Ali Khamenei, qui avait négocié ce compromis, avait émergé comme arbitre entre ces deux factions, ce qui lui avait permis de s'octroyer le titre de « guide suprême » ou « wali el-fakih », qui est avant tout un titre politique. Un tel compromis entre deux grands blocs rivaux est par essence fragile. Or, le clergé chiite commence à montrer des signes de division, avec l'opposition entre la faction Rafsandjani, qui soutient les libéraux (dont Mir Hossein Moussavi, qui s'est illustré lors des événements qui ont suivi l'élection présidentielle de juin 2009), et la faction conservatrice de l'ayatollah Mesbah-Yazdi, qui soutient Ahmadinejad. Ainsi, fondamentalement, les événements de juin 2009, avant d'être un conflit entre « laïcs » et « religieux », étaient un affrontement « interreligieux ». Un tel affaiblissement du clergé secoue les fondements du compromis historique mis en place par Khamenei. Cela veut-il pour autant dire que les Gardiens de la Révolution, autre grande branche du régime (dont est issu Ahmadinejad), vont détrôner les religieux ainsi que Khamenei et prendre le contrôle du pays ? Ce n'est pas certain, car les Pasdarans n'ont pas d'idéologie propre et ont besoin de l'aura islamique, sinon ils n'auraient pas plus de légitimité qu'une junte militaire. Ainsi, les jeux ne sont pas faits et il faudra attendre une clarification définitive de la situation à Téhéran. Cela n'empêche pas l'Occident d'intensifier entre-temps la pression et les négociations.
Tout cela entraîne des conséquences majeures pour le « Croissant fertile ». D'abord, l'ascension de « l'islam non arabe », à savoir l'Iran et la Turquie, renforcée par l'effondrement du régime de Saddam Hussein. Irak, Syrie et Liban doivent se soumettre à l'influence irano-turque, sous le regard des USA. Conséquence, l'affaiblissement relatif de ces pays et leur réorganisation en « minorités » ou « communautés ». Le Proche-Orient est ramené cent ans en arrière, à l'époque ottomane précédant la naissance du nationalisme arabe, où le fondement de l'ordre politique était les communautés religieuses et non pas les « États-nations ».  Sunnites et chiites s'y retrouvent face-à-face, dans un statu quo généralisé.

Fouad KHOURY HÉLOU
(À suivre) 
Le Moyen-Orient vit une transformation majeure. D'abord, l'Afghanistan et l'Iran constituent un élément essentiel dans la stratégie américaine en Asie, visant à établir un « équilibre des forces » avec la Chine, l'Inde et la Russie afin de préserver l'influence des USA. Ensuite, le « Croissant...

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