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Nos Lecteurs ont la Parole

Sur ma gâchette, un oiseau

Hala MOUBARAK
J'ai un oiseau posé sur ma gâchette... et le silence autour.
J'ai un oiseau posé sur ma gâchette, et je ne sais toujours pas si je vais tirer ou rester attachée à cet espoir qui commence à s'évanouir petit à petit. Et si je tire, si je prends cette microseconde pour appuyer et tirer, je serai justement identique à ceux qui veulent transformer notre ciel en un hiver permanent.
Si je tire, je serai mise au banc des accusés.
Pareille...
J'ai conscience de cette liberté qui s'offre à moi. Et j'essaye d'en profiter malgré tout et contre tous, pour dire ce que j'ai à dire.
On ne pose pas ses mains sur des blessures sans connaître la douleur soi-même.
On ne pose pas ses mains sur les barres d'une geôle sans retenir sa respiration.
La liberté n'est pas un caramel emballé dans un papier doré qu'on roulerait entre nos doigts.
La liberté n'est pas une femme violentée et un fracas d'os.
La liberté n'est pas juste une polémique qui réveillera en nous une révolte face à un interdit.
La liberté n'est pas un bandeau de silence cousu sur nos lèvres.
La liberté... bafouée.
Et une nouvelle fois en l'espace de quelques mois, nous sommes de simples spectateurs face à une décision qui fut prise sans aucune consultation.
Peut-être faut-il rappeler au monde qu'Adolf Hitler n'a pas seulement et uniquement persécuté les juifs. Peut-être faut-il citer les homosexuels, les handicapés, les trop vieux à son goût, les Arabes, les « pas blonds et pas race aryenne ».
Peut-être faut-il rappeler au monde que le Journal d'Anne Frank est un témoignage poignant et humain, avant de parler de religion et de sionisme.
Peut-être faut-il que je parle de mon enfance. Celle qui n'est que séquelles et coups de canon. Celle qui fut privée de jours heureux. Celle où mes parents devaient courir pour nous cacher sous des escaliers.
Peut-être faut-il que je dise franchement que l'un des livres qui accompagna mes premières années de jeunesse et que je lus avec énormément de passion fut le Journal d'Anne Frank, que je me suis vue pleurer avec elle, que je pus trouver des peurs identiques. Que c'est grâce à son malheur que je pus comprendre qu'une guerre nous donne un peu d'âge et de maturité, et que grandir devient un fait sinon une conséquence.
Interdire Anne Frank aujourd'hui, la priver de paroles, comme pour ne pas regarder les choses en face, la réduire au silence. Comme Hitler...
Et d'autres interdits suivront. Des auteurs à persécuter, des livres à brûler, une musique à égorger.
Comme Hitler...
Et même si je dis. Et même si j'écris que l'échappatoire de notre condition humaine se trouve dans les livres et au milieu de l'intellect. Quelle différence y aurait-il ?
Je préfère avouer mon mépris face à cet acte qui manque de noblesse. Combattre un ennemi, c'est connaître son histoire. On ne peut pas se réfugier contre des interdits qui relèvent d'un savoir collectif. Refuser une telle lecture aujourd'hui, c'est interdire Lolita de Nabokov demain, c'est interdire Moustaki, sa barbe blanche de métèque et sa guitare ; comme fut interdit le spectacle de Gad el-Maleh il y a quelques mois.
Notre emprisonnement commence ainsi.
Le mur de Berlin comme celui de Cisjordanie sont le fruit de la bêtise humaine.
Nous sommes en train de voir notre mur s'ériger devant nos propres yeux, brique par brique.
Au nom d'interdits, de censure et de privations.
Et ce mur-là est bien pire que tous les autres.
Je ferai mon possible pour ne pas cesser de lutter contre cette fatalité qui s'installe et qui devient jour après jour de plus en plus présente, et j'apprivoise même l'idée que la folie créatrice et avant-gardiste sortirait vainqueur de ce combat, et non l'inverse.
Ma liberté.
Et un oiseau sur ma gâchette.
Les chaînes ne sont pas dans les fers. Elles sont d'esprit.

Hala MOUBARAK
J'ai un oiseau posé sur ma gâchette... et le silence autour.J'ai un oiseau posé sur ma gâchette, et je ne sais toujours pas si je vais tirer ou rester attachée à cet espoir qui commence à s'évanouir petit à petit. Et si je tire, si je prends cette microseconde pour appuyer et tirer, je serai justement identique à ceux...

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