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Nos Lecteurs ont la Parole

Fête de la « dépendance » du Liban

Par Berthe NOUJAIM
Pourquoi eux et pas nous ? Liban vs Maroc : peut-on comparer ? 127e rang dans le classement de l'indice de développement humain pour le Maroc, contre une jolie 83e place pour le Liban. Le Maroc c'est aussi seulement 1 % de sa superficie riche en eau, contre 3 % pour le Liban. Pourtant le Maroc, ce sont également d'immenses sommes versées à des cabinets de conseil « de luxe » pour créer, implémenter et accompagner des stratégies de développement dans les secteurs-clés de l'économie. McKinsey et Monitor, respectivement premier et cinquième cabinets mondiaux de stratégie(1), offrent leurs services depuis déjà quelques années au gouvernement marocain ; ce gouvernement qui cherche à engager le Maroc sur une ligne de croissance continue, s'ouvrant encore plus vers les pays développés et cherchant à attirer les investissements et les fonds des plus grandes institutions mondiales.
Pourtant, le Maroc est loin de posséder toutes les ressources nécessaires pour implémenter ces changements structurels, parfois utopiques, dans lesquels espère s'engager l'État. Par contre, ce qui est sûr c'est que ses dirigeants, eux, possèdent la volonté et la détermination de donner une chance au pays de s'affirmer et de mener la croissance dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Cette réhabilitation des infrastructures de l'économie prépare le chemin pour soutenir et épauler l'afflux de nouveaux investissements : désormais attirés par le cadre institutionnel favorable qu'offrira le gouvernement, les entrepreneurs envisageront une délocalisation de leur business dans le royaume où ils y développeront diverses activités et participeront ainsi à la montée du Maroc.
Je ne cherche pas à proposer de telles solutions aux autorités libanaises. De toute façon, la reproduction des stratégies marocaines peut ne pas s'avérer pertinente dans le cas du Liban, dans la mesure où il manque à notre pays un maillon essentiel pour pouvoir se comparer au royaume chérifien : un pouvoir exécutif. Un pouvoir exécutif qui sache créer, mener et suivre de près une politique économique.
Par contre, je cherche à attirer l'attention sur deux autres atouts majeurs que possède le Liban, mais dont le potentiel n'est que faiblement exploité : il s'agit du capital humain et du secteur bancaire. Est-il besoin de rappeler aux lecteurs de la remarquable réussite d'un grand nombre de Libanais à l'étranger ? Je ne citerai personne, par crainte d'en oublier de très importants. Il n'est pas nécessaire non plus de citer toutes ces grandes écoles et universités de renommée mondiale et majoritairement supersélectives que nos étudiants fréquentent, et dont nos parents se vantent à juste raison. Sans oublier, bien sûr, ceux qui choisissent de pousser très loin leurs études au sein de nos universités libanaises dont il faudrait commencer à être un peu plus fiers. Toute cette richesse humaine demeure dans le cas de notre pays une mine vierge, inexploitée ou plutôt inexploitée uniquement par le Liban. Cette fuite de cerveaux impose une externalité négative à la population restante, car, selon les théoriciens de la croissance endogène, elle entraînerait une réduction du stock de capital humain disponible pour les générations présentes et futures. Cependant, cette fuite peut être bénéfique au pays d'origine dans le cas où l'effet d'incitation l'emporte sur l'effet de fuite (l'effet d'incitation se produisant ex ante et l'effet de fuite ex post). Dans ce dernier cas, la part de la population éduquée dans la population totale serait plus élevée quand l'économie est ouverte aux mouvements migratoires que quand les flux sont limités. Clairement, cela n'est pas le cas du Liban où, bien que la part de la population éduquée ait augmenté, celle-ci demeure encore très insuffisante.
Quant à notre secteur bancaire, il est parmi les rares au monde à avoir survécu à la crise et à avoir présenté une telle solidité et immunité au cours des dernières décennies. L'Economist Intelligence Unit (EIU) a même souligné dans son rapport sur le secteur bancaire de la région que les banques libanaises profitent d'une liquidité abondante rarement présente dans les autres banques mondiales. Alors que ce même secteur bancaire détruit et reconstruit des économies dans les pays développés, il se retient de pleinement jouer son rôle moteur au Liban. Dès 1912, Schumpeter avait insisté sur l'importance des intermédiaires financiers dans la procuration des fonds pour l'innovation(2). Et en 2009, Joe Saddi, président de Booz&Co. Liban, a lui aussi soulevé cette problématique de financement dans le cadre du World Economic Forum sur les politiques de relance pour le Moyen-Orient. Ce sujet est d'actualité au Liban où la demande de prêts bancaires reste sous-développée dans la mesure où les taux d'intérêt offerts par l'État restent beaucoup trop élevés pour les entreprises libanaises (les banques préférant alors alimenter leurs réserves auprès de la BDL plutôt que d'investir dans la distribution de nouveaux crédits).
Clairement, nous possédons le capital humain mais également les fonds nécessaires pour investir, mais rien n'est encore fait, peut-être par ignorance, ou par peur de la situation politique, ou tout simplement dans le but de l'unique satisfaction d'intérêts personnels.
Tout cela nous mène à conclure que nous, citoyens, pouvons uniquement proclamer l'indépendance politique de notre patrie (et encore...). Parce que, d'un point de vue économique, l'indépendance n'y est pas encore. Notre patrie est fortement dépendante de ces quelques milliers d'étudiants qui quittent le Liban pour poursuivre leurs études à l'étranger ; fortement dépendante de ces autres milliers qui quittent pour mettre à profit du monde entier leurs services : mais aussi et surtout fortement dépendante de ces 4 millions qui restent (par manque de choix ou de moyens, ou par pure conviction) et qui possèdent sûrement de quoi alimenter la croissance de leur pays.
Pourquoi eux et pas nous ? Peut-être parce que le Libanais s'affiche parfois comme une personne plutôt égocentrique. Il se veut patriote, mais n'affiche son patriotisme qu'en faisant déguster la fabuleuse gastronomie libanaise aux étrangers, qu'en se vantant de ses soirées de folie qui durent jusqu'à l'aube, de ces belles plages devenues un loisir de luxe et, évidemment, de nos ravissantes demoiselles. Pour lui, le patriotisme c'est surtout réussir à s'assurer un billet gratuit pour « descendre » voter lors des élections. Voter pour qui ? Voter pour quel programme ? Aucune importance. De toute façon, et dans la majorité des cas, son choix est fait depuis sa naissance.
Je suis parmi ceux qui ont quitté le pays pour poursuivre leurs études à l'étranger et je suis impatiente de rentrer pour faire profiter le Liban de tout ce que j'ai appris.

(1) Selon le classement Vault 2009 des cabinets de conseil en stratégie.
(2) D'après Schumpeter, l'innovation est le moteur de la croissance de par le phénomène de destruction créative.
Pourquoi eux et pas nous ? Liban vs Maroc : peut-on comparer ? 127e rang dans le classement de l'indice de développement humain pour le Maroc, contre une jolie 83e place pour le Liban. Le Maroc c'est aussi seulement 1 % de sa superficie riche en eau, contre 3 % pour le Liban. Pourtant le Maroc, ce sont également d'immenses sommes versées...

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