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Diaspora

Quand le communautarisme socioreligieux s’exporte en terre étrangère…

Les nouvelles générations de Libanais arrivant en Côte d'Ivoire ont tendance, par une sorte d'atavisme, à reproduire, en terre étrangère, le schéma social libanais fait de clivages socioreligieux destructifs. 
À l'instar de tout groupement humain, la communauté libanaise de Côte d'Ivoire s'est constituée selon un phénomène de stratification en fonction de l'arrivée de ses membres, de leur condition économique, de leur statut social, de leur appartenance géographique et religieuse. Leur distinction peut donc indifféremment s'établir selon la chronologie de leur arrivée, et la sphère géographique ou religieuse d'appartenance. Au clivage « anciens » et « modernes », s'est superposé le clivage « chrétiens » et « musulmans ».
Dans un environnement étranger, les premiers arrivés ont su faire taire leur particularisme, accordant la priorité à leur intégration dans le moule social ivoirien. La génération suivante, constituée principalement de leurs descendants, se distingue des aînés du fait que les descendants sont natifs de Côte d'Ivoire et sont donc dès l'enfance naturellement intégrés à la société locale. La dernière catégorie englobe les nouvelles générations de Libanais arrivés à l'âge adulte, forcés à l'exode par la guerre interlibanaise (1975-1990), davantage sensibles donc aux dissensions socioreligieuses perceptibles dans leur pays d'origine et qui se trouvent, de surcroît, projetés dans une société ivoirienne à fortes traditions ancestrales de tolérance.
Dans tous les cas de figure, la communauté libanaise, quel que soit son degré d'enracinement, est tiraillée entre les concepts occidentaux qui imprègnent le pays d'accueil et les valeurs orientales auxquelles ils restent nostalgiques.
Attachés à un encadrement arabe, ils ont mis en place dès le milieu du XXe siècle des institutions socioreligieuses libanaises. La première d'entre elles fut la Mission libanaise du Sacré-Cœur, fondée en 1954 par l'ordre des moines maronites libanais, à la demande du Saint-Siège. Institution œcuménique ouverte à tous les Libanais pendant plusieurs décennies, elle reçut la visite à tour de rôle du patriarche Nasrallah Sfeir et de l'imam Moussa Sadr.
Premiers missionnaires arrivés en Côte d'Ivoire, ils créèrent en 1959 - avant l'indépendance - la première école primaire du pays. Restaurée il y a peu grâce au financement de sa communauté, l'église dirigée par Mgr Marcos demeure l'unique lieu de culte libanais chrétien de Côte d'Ivoire.
Le Centre culturel islamique de Marcory a été fondé, lui, en 1977, par l'Association culturelle islamique, soit 23 ans après l'église maronite. Lieu de culte, il accueille tous les rites de l'islam. La communauté libanaise musulmane est dirigée par trois cheikhs, dont les deux principaux sont cheikh Kobeissy et cheikh Zaghlout. Grâce à la mobilisation de leurs fidèles, ces deux principales institutions religieuses sont actives dans le domaine caritatif, tant envers la communauté libanaise que la société civile ivoirienne.

« Petit Beyrouth »
Parallèlement à ces institutions majeures, l'on dénombre près de 10 associations libanaises présentes en Côte d'Ivoire.
L'Union libanaise culturelle mondiale (ULCM) a vu le jour en 1967. Dirigée par M. Nagib Zaher, cette association civile a pour but de renforcer les liens entre les deux peuples et d'encadrer les Libanais en difficulté. Elle fut à la base de la création de nombreuses institutions sportives, culturelles et médicales à travers tout le pays.
Cependant, sous l'impulsion des courants politiques et religieux montant au Liban et les modifications démographiques en Côte d'Ivoire, l'ULCM a dû céder sa place à des associations religieuses à dimension politique, dont la plus active est aujourd'hui l'association al-Ghadir, dirigée par cheikh Kobeissy, proche du Hezbollah. Socialement et économiquement active, elle englobe près de 93 % des chiites libanais, qu'elle accompagne dans leur installation et qu'elle intègre au réseau des commerçants libanais, notamment depuis 2006. On lui devrait en partie, selon certains observateurs, l'augmentation remarquable du nombre de Libanais en Côte d'Ivoire, passé de 60 000 en 2006 à 100 000 à l'heure actuelle. De ses nombreuses réalisations, la plus reconnue est la récente construction de l'imposante mosquée al-Ghadir, à l'entrée de Marcory, un quartier reconnu pour son exceptionnel taux de résidents libanais, d'où son surnom de « Petit Beyrouth ».
Ayant décidé de s'installer définitivement en Côte d'Ivoire depuis la guerre civile interlibanaise, les Libanais résident désormais dans des quartiers résidentiels tels que Marcory, Zone 4, Biétry, le Plateau et Cocody, où ils occupent souvent des immeubles entiers.
Sur le plan éducatif, la première école ivoiro-libanaise a été inaugurée le 22 novembre 1984 à Abidjan. Elle fut la première d'une série d'établissements du même genre, dont l'école de Fadi Açaf, celle de cheikh Zaghlout ou encore celle de l'Association al-Ghadir, qui s'attelle à élargir son réseau éducatif à l'intérieur du pays.
Sur le plan médical, le pays compte près de 100 médecins libanais, dont plusieurs de renom. Pour la plupart nés en Côte d'Ivoire, une vingtaine d'entre eux sont aujourd'hui propriétaires de cliniques privées réparties aux quatre coins d'Abidjan : « La Providence » du Dr Raad, « L'Indénié » du chirurgien le plus reconnu de la communauté, le Dr Khoury, le « Trade Center » du Dr Khalaf ou encore « l'Hôtel-Dieu » du Dr Bassit...
Conséquence des tensions politico-militaires survenues en 2002 en Côte d'Ivoire et, en 2006, au Liban, leurs activités fluctuent au gré des bouleversements sociopolitiques et des tensions psychologiques qui règnent dans les deux pays. Pour déplorable que puisse être ce constat, il reste vrai que l'engagement effectif des associations libanaises est tributaire du profil politico-religieux de la population libanaise du pays.
Ainsi, les associations libanaises telles que l'Aflec, l'ASLI, Agouli, l'Association « el-Birr w taawan » du parti Amal, ou encore l'Association « el-Hoda », qui ont pendant des années été très actives, se voient délaisser par une population qui tend plus à s'apparenter aux blocs politiques libanais qu'à accorder la primauté à une solidarité sans bornes.
Si les « anciens » ont pendant longtemps affirmé avec fierté leur neutralité quant aux négations socioreligieuses du Liban, il semble clair aujourd'hui que la solidarité communautaire spontanée et légendaire tant exaltée par les « aînés » tend à se réduire à un niveau strictement familial ou à la communauté politico-religieuse à laquelle on appartient, par défaut ou par choix.
Le conflit politico-religieux qui détruit le Liban depuis des décennies s'est ainsi silencieusement transposé en Afrique de l'Ouest où les Libanais se considèrent, chacun à sa façon, engagés dans la défense d'un Liban qu'ils ne connaissent, en définitive, que par les récits de leurs aînés...
À l'instar de tout groupement humain, la communauté libanaise de Côte d'Ivoire s'est constituée selon un phénomène de stratification en fonction de l'arrivée de ses membres, de leur condition économique, de leur statut social, de leur appartenance géographique et religieuse. Leur distinction peut donc indifféremment...