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Liban - En dents de scie

Naître à Leidschendam

Vingt-neuvième semaine de 2009.
Il y a de la panique dans l'air, et la panique, il y a deux façons de la gérer : soit en la prenant au sérieux, soit en la prenant de haut. Soit, donc, en paniquant davantage, en se laissant bouffer par elle, soit en badinant, en étalant des muscles de matador de salon.
À la différence de beaucoup d'autres, pratiquement tous ces autres qui n'en chevrotent pas moins, Walid Joumblatt et Hassan Nasrallah ont montré chacun à sa manière, ou plutôt n'ont pas essayé de cacher le fait qu'ils paniquent bel et bien. Ce qui est très drôle, c'est qu'ils paniquent tous deux pour la même raison. Différemment, certes, mais pour la même raison...
Quoi qu'il fasse, le chef du PSP ne parviendra jamais à convaincre ses contempteurs qu'il n'est pas cette girouette avec laquelle on le confond en un clin d'œil ; il ne parviendra pas non plus, quoi qu'il fasse aussi, à faire oublier à ses aficionados quel homme d'État il a su être lorsque l'histoire le commandait. Samir Geagea n'est ni l'un ni l'autre, et son explication du (sous-)texte joumblattiste est d'une simplicité et d'une évidence confondantes, que chaque étape du parcours de Walid Joumblatt prouve d'une façon indiscutable : le maître de Moukhtara est obnubilé par le bien-être de sa (petite mais pas si fragile que cela) communauté et, a dit le chef des FL, il tente d'une façon ou d'une autre de mettre un terme aux conséquences résiduelles des événements du 7 mai ; c'est là une initiative utile pour le Liban et les Libanais, a-t-il même jugé.
Quoi qu'il fasse lui aussi, le patron du Hezbollah restera un demi-dieu aux yeux de ses partisans, libanais soient-ils ou arabes ; une sorte de néo-mehdi, un don du ciel, un Zorro, un sauveur. De la même façon, il ne sera jamais rien d'autre, selon ses détracteurs, tout aussi nombreux, que le bras armé de l'Iran sur le territoire libanais, qu'un homme obsédé par la destruction d'Israël au lieu d'être tout entier consacré à la (re-)construction du Liban, qu'un homme entièrement voué à saper l'État libanais, à le métastaser. Son discours d'hier était à la fois attendu et surprenant. Attendu parce que les biceps étalés comme à un concours de bodybuilders sont une des marques de fabrique de Hassan Nasrallah : Nous n'avons pas besoin de garanties, ni sur les armes ni sur le Tribunal spécial pour le Liban ; les garanties, c'est nous qui les donnons. Surprenant parce que le ton était d'une façon générale logiquement mais naturellement... estival. Primesautier même. Léger. Badin, justement. À tel point que le patron du Hezb a laissé comprendre entre les lignes que ce n'était pas la peine de suer comme des forcenés pour former le gouvernement ; qu'il serait plus judicieux de profiter de l'été pour... s'amuser.
Mais de quoi ont peur à la fois Walid Joumblatt et Hassan Nasrallah ; pourquoi le premier veut à ce point créer ne serait-ce qu'un semblant de cohésion intermahométane (il a raison : il suffit de se promener dans les cazas du Chouf et de Aley pour se rendre compte, au bout de trois minutes, de l'allergie épidermique des jeunes druzes pour la moindre teinte de couleur jaune), et pourquoi le second veut à ce point retarder la formation du gouvernement (de nombreuses sources qui n'ont pas grand-chose à voir entre elles assurent même que le cabinet Hariri ne verrait pas le jour avant janvier...) ?
Ils craignent une chose : que le Der Spiegel, finalement, n'ait raison. Que tous ces mamours, plus ou moins baveux, de la communauté internationale à l'égard du régime syrien ne soient réellement justifiables autrement que par les diktats un peu flous tout de même de toute realpolitik censée se respecter. En un mot : que l'acte d'accusation que publiera dans quelques mois le procureur du Tribunal spécial pour le Liban, sis dans la banlieue de La Haye, dans la jolie petite bourgade de Leidschendam (39 567 habitants au 1er janvier 2007), ne mentionne la responsabilité et la culpabilité de plusieurs cadres du Hezbollah dans l'assassinat, le 14 février 2005, d'un des plus symboliques emblèmes du sunnisme mondial : Rafic Hariri.
Et alors ?
À supposer que les retentissantes révélations du Der Spiegel soient exactes, ce qui ferait automatiquement le bonheur de la famille Assad, rien, absolument rien n'implique que le chaos s'installerait immédiatement au Liban et ravagerait tout sur son passage - de la même façon, dixit Walid Joumblatt il y a quelques années, qu'un éventuel changement de régime en Syrie n'entraînerait pas fatalement, là aussi, le chaos. Les dirigeants du Hezbollah savent qu'un nouveau 7 mai serait fatal à tous les niveaux et, d'une façon ou d'une autre, pour tout le monde. Ils savent aussi que la rue chiite dans sa totalité ne supporterait pas le poids d'une accusation pareille si une autopurge ne démarrait pas immédiatement au sein du Hezb. Qui pourrait même gagner au change en livrant les éventuels responsables, en faisant montre d'un indiscutable sens de la démocratie et de la justice : après tout, participer à l'assassinat d'un leader libanais, fût-il de la trempe de Rafic Hariri, n'est pas tellement plus grave que de collaborer avec Israël et contribuer à la mort de Libanais.
Bref : tout cela n'est que supputations, des hypothèses que la douce panique des uns et des autres rend pourtant quelque part un poil plus tangibles. Reste une certitude : quelque chose verra nécessairement le jour à Leidschendam avant la fin de l'année.
À condition, bien sûr, et à l'aune de l'état de fragilité absolue de l'Iran (le discours d'hier de Rasfandjani est déjà culte), que des deals ne voient le jour. Des deals pas forcément tout noirs : parfois, la restauration de la suprématie de l'État, sa récupération des monopoles, tous les monopoles, qui lui reviennent peut primer sur le triomphe de la vérité. Et de la justice.
Il est parfois des naissances d'une infinie cruauté. 
Vingt-neuvième semaine de 2009.Il y a de la panique dans l'air, et la panique, il y a deux façons de la gérer : soit en la prenant au sérieux, soit en la prenant de haut. Soit, donc, en paniquant davantage, en se laissant bouffer par elle, soit en badinant, en étalant des muscles de matador de salon. À la différence de beaucoup d'autres,...
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