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Liban

Youssef Chaabane acclamé comme un héros et un symbole à Bourj Brajneh

« Mon corps tremble d'émotion. C'est certainement la plus longue journée de ma vie. » En balbutiant ces mots, la mère de Youssef Chaabane avait presque perdu le contrôle de ses mouvements. L'émotion l'a secouée crescendo, au fur et à mesure que les minutes qui la séparaient des retrouvailles avec son fils s'égrenaient.
Après quinze ans de calvaire, la dernière demi-heure d'attente devant le siège de la Sûreté générale - passage obligé pour un détenu étranger - lui paraissait lourde et éternelle.
Emprisonné depuis quinze ans pour un crime qu'il n'a jamais commis, Youssef Chaabane devait cependant en payer le prix doublement : d'abord, à cause d'une erreur monumentale dans le procès qui l'a condamné. En second lieu, parce que le tribunal d'exception qui a émis son verdict ne pouvait plus rectifier l'injustice dont il était l'auteur, puisque la cour de justice au Liban n'admet aucun recours.
C'est face à l'absurde que ce réfugié palestinien et sa famille nombreuse devaient mener leur combat. Son frère Ibrahim aura les mots justes pour le dire : « Youssef a été condamné à la prison à perpétuité et nous aux travaux forcés. »
La lourde sanction subie était d'autant plus pénible que ses proches avaient, dès le départ, la certitude de son innocence.
Ils ne pouvaient d'ailleurs comprendre ni croire qu'un système judiciaire puisse justifier, se taire et se raidir face à une telle absurdité.
L'absence du fils, du père et du frère avait un goût d'amertume et de révolte que seuls le courage et la détermination de Youssef Chaabane pouvaient par moments alléger, confie sa mère. Orphelin de père dès l'âge de 14 ans, ce réfugié palestinien devait probablement se faire à la fatalité et à l'ironie du sort, sans pour autant perdre la boussole.
C'est chez lui, d'ailleurs, que la famille venait puiser sa force.
Sa mère, qui le voyait deux fois par semaine seulement à travers les grillages de la prison de Roumieh, a fini par se familiariser avec ce rythme auquel elle a été fidèle quinze années durant. C'est également à travers ces mêmes grillages que Youssef Chaabane a vu ses enfants grandir. « Je vais pouvoir enfin le prendre dans mes bras, ce dont j'ai été privée pendant des années à cause des barbelés qui nous séparaient », confie Hanin, sa fille de 19 ans.
N'y a-t-il pas de rancœur chez cette jeune fille privée de la paternité dès l'âge de cinq ans ?
« La seule joie de le revoir va nous permettre d'oublier. Personne n'accepte l'injustice. Mais les hommes peuvent parfois se tromper. Que Dieu leur pardonne », dit-elle avec une générosité et une sérénité déroutantes.
Même sagesse chez sa mère, privée de son époux sept ans à peine après son mariage. Elle affirme ne pas vouloir demander réparation à la justice : « Ma plus grande compensation est sa libération », dit-elle.
Pour son frère Ibrahim, qui a milité des années durant pour défendre la juste cause de son frère, enchaînant manifestation sur manifestation, l'oubli n'est pas aussi simple. Sa consolation à lui est que la libération de son frère « restera un symbole pour tous ceux qui souffrent d'une injustice quelconque à travers le monde ».
Lui était, d'ailleurs, de l'avis de son frère lorsqu'il avait refusé à plusieurs reprises de demander le droit de grâce qui lui ôte systématiquement l'innocence. C'est sa mère, atteinte d'une maladie grave, qui a fait pression sur lui, en définitive, pour pouvoir vivre encore quelques années auprès de son fils.
« J'ai fini par obtempérer lorsque, plusieurs années plus tard, nous avons enfin compris qu'aucune révision du procès ne sera admise en justice, et lorsque tous les moyens ont été épuisés. ». Lui-même malade depuis quelque temps, Youssef Chaabane souffre de problèmes gastriques sérieux et d'anémie.
Il a même été opéré lors de son séjour en prison.
« Il a été décimé et sa santé détruite par quinze années de détention », atteste tristement sa mère.
Si elle reconnaît volontiers que son fils est physiquement affaibli, elle refuse toutefois d'admettre que son moral a été ébranlé en prison. « Psychologiquement, il est toujours aussi solide. Mais c'est la révolte et la tristesse qui ont fini par éroder son état de santé », dit-elle.
L'innocence à laquelle s'accrochait Youssef Chaabane comme à la prunelle de ses yeux avait désormais autant d'importance que la vie. C'est pour celle-ci qu'il a fini par opter. Par amour pour sa famille, mais surtout, aussi, pour cette mère otage d'une souffrance par procuration.
Aux premiers instants de leur rencontre, et dès sa sortie du convoi, Youssef Chaabane s'agenouillera à ses pieds en signe de reconnaissance, d'amour et de respect, mais aussi comme s'il lui demandait pardon pour lui avoir fait subir, sans le vouloir, les affres de l'injustice. Celle qui fut des années durant son ange gardien et celui de sa famille devait être promue au rang d'une héroïne.
Acclamé à la manière d'une star dans son modeste camp de réfugiés à Bourj Brajneh, Youssef Chaabane aura au moins eu un accueil digne des sacrifices faits au nom de la justice libanaise. Même si ni lui ni ses proches ne pensent encore à réclamer réparation auprès d'un système judiciaire qui a étalé ses failles au grand jour, on ne peut qu'espérer qu'un point final soit mis aux afflictions de cette famille et que des compensations financières et morales soient versées à Youssef Chaabane, pour erreur grave de jugement.
« Mon corps tremble d'émotion. C'est certainement la plus longue journée de ma vie. » En balbutiant ces mots, la mère de Youssef Chaabane avait presque perdu le contrôle de ses mouvements. L'émotion l'a secouée crescendo, au fur et à mesure que les minutes qui la séparaient des retrouvailles avec son fils...
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