Rechercher
Rechercher

Liban - En dents de scie

Histoire de l’œil

Vingt-huitième semaine de 2009.
Et puis il est difficile, sans doute impossible de l'apprécier à sa valeur juste lorsque l'on y (sur)vit - l'herbe est toujours tellement plus verte ailleurs, loin, là-bas.
Et puis ce pays est plouc, ce pays est veule ; ce pays est fourbe et inconsistant et pâle et fin de race et bancal ; ce pays est vain. Ce n'est pas qu'ils ne sont pas complaisants, les Libanais, avec leur Liban : la plupart d'entre eux ont une tolérance zéro, aucune pitié pour les tares, les déficiences, les aberrations et les vices qui font et défont leur pays. Souvent même, ils sont cruels, pire que des enfants qui arrachent par jeu les ailes d'un papillon ou démontent, pour voir comment ça (ne) marche (plus), une somptueuse mécanique. Cruels. Sauf que, par amour, par pitié ou, le plus souvent, par manque de choix, ils y restent, dans leur Liban.
Et puis les bras leur en tombent - et eux des nues. Ils le pressentaient, mais lorsqu'ils l'apprennent, lorsqu'ils prennent conscience que les autres, tous les autres, les étrangers et les Libanais de la diaspora, sont fous de leur Liban, de ce Liban qui leur sort par tous les pores, qu'ils seraient prêts à tout pour y passer dix jours, deux ans, trois vies, ils sont stupéfaits. Comme enivrés par une découverte (de soi) qu'ils pensaient ne jamais être capables de percevoir. L'un des plus prestigieux magazines au monde, le New York Times, catapulte ces 10 452 km² aux premières loges ; ils entendent qu'on attend plus de deux millions de touristes rien que cet été, et, en se promenant, au hasard, dans la rue Hamra, même pas au centre-ville, même pas à Gemmayzé, même pas sur les plages ou dans les villages de montagne, dans la rue Hamra elle-même, ils entendent parler treize langues à la douzaine, ils reniflent mille et une odeurs, ils côtoient, dans une touchante et fébrile confusion, tous les genres du monde, ils découvrent, gentiment, d'urgents et de magnifiques métissages.
Et puis, ils commencent à entrevoir, à apercevoir, furtivement, presque honteusement, leur Liban avec l'œil de ces autres. Ces autres qui, quelles que soient leur nationalité et la fréquence de leurs passages sur le territoire libanais, gardent l'âme vierge et épatée d'autant de Christophe Colomb avides de polyphonies de cultures et de ways of life. De véritables voyageurs fascinés, littéralement fascinés par ces tchadors et ces minijupes, ces djellabas et ces costumes-cravate, ces églises et ces mosquées, le nightclubbing et le grand calme, les alcools à flot et les cafés turcs, la sensualité débridée et la piété, les soirées sur les roof-tops et celles en famille, les émancipations les plus folles et la stricte tradition, l'hier et le demain, l'ici et le maintenant. Des hommes et des femmes amoureux fous de ce qu'on pensait être désormais une pure chimère, à la rigueur un mythe ; un faste passé, une gloire déchue, une splendeur d'Amberson morte mais qui s'avèrent, ressuscités par on ne sait quel(s) miracle(s), être une absolue, une furieuse réalité : aussi rudimentaires voire risibles que soient ses infrastructures, le Liban est réellement un Eldorado, un proto-Eldorado pour touristes épuisés d'entendre et de vivre au quotidien d'infinis chocs de cultures.
Et puis, dans la stérilité navrante de leurs interminables gesticulations, dans leurs efforts ou leurs contre-efforts pathétiques destinés à accélérer (ou à retarder...) la formation du nouveau gouvernement et la rédaction d'une déclaration ministérielle qui s'annonce déjà comme un moment de grande solitude, les différents responsables libanais seraient fort inspirés d'accorder à la protection de cet embryon de paradis touristique, culturel, social et politique qu'est le creuset libanais, la plus ferme, la plus constante et la plus audacieuse des priorités - au même titre que le renforcement de l'État de droit, de la souveraineté et de l'indépendance du Liban ; la lutte contre la corruption et contre l'implantation ; l'application de l'accord de Taëf et des résolutions onusiennes ; le redressement de l'économie ; la réforme administrative ; la récupération des fermes de Chebaa et des collines de Kfarchouba ; l'aboutissement du Tribunal spécial pour le Liban ; l'endiguement des visées israéliennes et syriennes, etc.
Et puis, finalement, c'est là qu'elle est, c'est là qu'elle se concrétise, c'est là qu'elle peut se magnifier, cette unité nationale galvaudée à toutes les sauces par tous les leaders politiques : dans la sanctuarisation de l'exception libanaise et de son identité hyperplurielle. C'est entre autres mais surtout grâce à l'œil des autres que peuvent aboutir la résurrection du Liban, son installation dans le IIIe millénaire et la pérennité de son unité nationale, à l'heure, notamment, où se multiplient les menaces israéliennes en tout genre et où se réveille de nouveau le revanchard appétit du régime syrien. Et c'est uniquement en travaillant d'arrache-pied pour satisfaire, 365 jours par an, l'autre, étranger soit-il ou Libanais de la diaspora, pour constamment l'attirer vers ce laboratoire grandeur nature et l'y laisser émerveillé, que la métastase de ce pays pourrait commencer à se résorber.
L'œil de ces touristes, dans ce que la globalisation peut parfois avoir de plus sain, est un époustouflant antidote contre le pourrissement du Liban. Inéluctable, irréversible et létal si rien ne se fait en ce pourtant stupéfiant an de grâce 2009.
Vingt-huitième semaine de 2009.Et puis il est difficile, sans doute impossible de l'apprécier à sa valeur juste lorsque l'on y (sur)vit - l'herbe est toujours tellement plus verte ailleurs, loin, là-bas.Et puis ce pays est plouc, ce pays est veule ; ce pays est fourbe et inconsistant et pâle et fin de race et bancal ; ce pays est vain. Ce n'est pas...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut