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Liban - En dents de scie

Devenir Hariri


Personne ne donne des ordres au Premier ministre du Liban.
Rafic Hariri, 2004, Djeddah.

 

Vingt-septième semaine de 2009.
Au départ, il y avait les uns et les autres. Les uns qui pensaient qu'il était encore tôt, très tôt pour lui ; qu'il n'avait pas encore l'expérience suffisante, l'étoffe nécessaire - ceux-là allaient même jusqu'à vouloir le protéger, répétant que la rue le rendrait responsable de tout, de la hausse du kilo de lentille ou de pomme de terre comme d'une éventuelle guerre israélo-iranienne. Les autres jugeaient qu'il est largement temps ; temps qu'il assume ses responsabilités de leader de la majorité, temps d'être conséquent avec lui-même, avec l'héritage qui est le sien, avec la volonté des urnes, temps d'investir le Sérail quatre ans après qu'on lui eut enfilé la abaya.
Les uns et les autres n'avaient pas vraiment tort.
Ce n'est pas qu'une question de regard. Quelque chose a changé dans la façon de se tenir de Saad Hariri. Dans sa façon de regarder la caméra ou l'appareil photo. Dans sa façon de serrer la main de son interlocuteur, de s'adresser à lui. Il y a dans le body language du jeune Premier ministre désigné, au-delà de cette assurance et de cette prise de conscience de soi qu'il ne pouvait qu'acquérir, comme une nouvelle grammaire. Une grammaire nouvelle, étrang(ère), acquise, impatiemment, avec du courroux, des bruits, des poings serrés ; une grammaire comme un défi. Poli, certes, le défi. Courtois même. Mais infiniment sérieux et déterminé, infiniment inflexible - de ce défi que l'on (se) lance après tellement d'humiliations et d'avanies et qu'on finit alors par l'incarner. En réalité, et contrairement à ce que croient les uns et les autres, Saad Hariri a su qu'il serait Premier ministre le 10 mai 2008 - peut-être même l'est-il, dans sa tête, devenu ce jour-là.
Et le voilà, plus d'un an plus tard, confronté à sa première, sa très grosse première crise politique et personnelle. Il ne s'agit vraiment pas de la formation de son gouvernement. Il ne s'agit pas non plus des états d'âme naturels, voire légitimes, inhérents à cette fonction que son père avait fini par confondre avec sa propre vie. Il s'agit encore moins de savoir comment succéder à Fouad Siniora, lequel a pu/su se transfigurer au point de réussir l'incontournable meurtre du père (c'est le même : Rafic Hariri), au point de devenir un rare, un précieux homme d'État. Il ne s'agit pas non plus d'apprendre, dans ce pays de tous les paradoxes, de tous les consensus et de toutes les bizarreries, à ménager chèvres et choux. Non. La première, la très grosse première crise politique et personnelle de Saad Hariri consiste bien plutôt à réussir à favoriser et à accélérer, c'est-à-dire à le concrétiser, le rabibochage saoudo-syrien sans écorner, sans souiller la souveraineté du Liban.
Comme l'est le Hezbollah à l'Iran, Nabih Berry à la Syrie, Michel Aoun au Hezbollah (et, surtout, à lui-même) ; comme l'est Walid Joumblatt à sa propre communauté et comme le sont, en gros, les pôles chrétiens du 14 Mars à l'Occident, Saad Hariri est redevable à l'Arabie saoudite. De cœur et/ou de raison. Il en tire une grande force (il a appris à en tirer, heureusement, ailleurs...) mais aussi de nombreuses et épuisantes faiblesses. Le challenge originel du fils, et que le père ne réussissait à relever, de son vivant, que fugacement et intuitivement, est de trouver le bon équilibre, l'indiscutable et l'inattaquable équilibre, entre saoudisme et libanisme, entre wahhabisme et sunnisme, entre gratitudes et loyauté et réalités libano-libanaises. Y parviendrait-il qu'il inscrirait sans doutes aucuns son nom au plus haut du panthéon des locataires du Sérail. Il en est définitivement très, trop loin encore, surtout que ce piège qui l'attend patiemment depuis le 8 juin au matin est retors comme rarement.
L'énoncé du problème, purement mathématique, contrairement à sa solution, est simple. Un : le régime syrien est avide de revanches et a compris, bon gré mal gré, que la vengeance est un plat qui ne peut se manger, souvent, que congelé. Deux : le régime syrien mourrait s'il ne revenait pas, d'une manière ou d'une autre, dans le je(u) libanais, si une crypto-prototutelle, d'une manière ou d'une autre, ne ressuscitait pas. Trois : le régime syrien est glouton d'une réconciliation avec Washington et il sait que cela doit nécessairement passer par Riyad. Corollaire : depuis l'assassinat de Imad Moghniyeh, les relations entre la Syrie et l'Iran ne sont franchement plus ce qu'elles étaient. Quatre : Damas veut être au cœur de la formation du gouvernement libanais ; il entend même que cette naissance serve aux réjouissances entre Bachar el-Assad et le roi Abdallah. Et peu importe si la haine et les (res)sentiments personnels (n'est pas le fils de Kamal Joumblatt qui veut...) et la crédibilité politique de Saad Hariri seraient sacrifiés sur l'autel déjà bien graisseux et bien maculé des priorités régionales.
Voilà pourquoi il est impératif que le patron du Courant du futur explique gentiment et fermement aux Saoudiens qu'au Liban, on est redevable à ses électeurs. Voilà pourquoi il est impératif qu'il ne se rende à Damas, seul, qu'une fois son cabinet sur pied - qu'il y aille avec Michel Sleiman en tant que Premier ministre désigné ne posant aucun problème. Voilà pourquoi, surtout, il est impératif, entre autres, qu'il fasse comprendre à Michel Aoun et à ses lieutenants, qui s'inquiètent du poids volumineux des capitales étrangères, à commencer par Damas, qui jugent, à raison pour une fois mais si seulement ils étaient conséquents avec eux-mêmes, que trop d'aide tue l'aide et qui répètent à qui veut les entendre que l'accouchement du gouvernement doit être à 100 % made in Lebanon, qu'il leur fasse comprendre que c'est exactement leur supercapricieuse, inconstitutionnelle et incongrue exigence de la représentation proportionnelle qui bloque et qui paralyse le plus.
On ne naît pas Hariri. On le devient.

Personne ne donne des ordres au Premier ministre du Liban. Rafic Hariri, 2004, Djeddah.
 
Vingt-septième semaine de 2009.Au départ, il y avait les uns et les autres. Les uns qui pensaient qu'il était encore tôt, très tôt pour lui ; qu'il n'avait pas encore l'expérience suffisante, l'étoffe nécessaire - ceux-là allaient...
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