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Nos Lecteurs ont la Parole

Extrémisme vs culture

Par Dr Maria BASSIL
C'est avec des sentiments mêlés de dégoût, de rage, de tristesse et surtout d'incrédulité que je vous adresse ce courrier. C'est un SOS, une bouteille lancée à la mer que des milliers de Libanais auraient voulu ou pu écrire à ma place. J'ai décidé de le faire pourtant, au nom de mes enfants, mes enfants qui ont 12 et 14 ans, mes enfants pour qui le compte à rebours avait déjà commencé et dont le rêve s'est encore une fois fracassé si près du but, aux pieds des gradins du palais de Beiteddine par le biais d'une faction politico-religieuse qui veut imposer sa pensée, ses lubies et dicter ses desiratas au reste de la population.
L'obscurantisme, l'extrémisme et cette fois-ci le racisme triompheront-ils encore une fois de la culture et de la diversité ?
Madame, Monsieur, vous nous devez de retrousser vos manches, d'unir vos efforts, d'user de vos pouvoirs de persuasion que je devine immenses pour ne pas céder au chantage et à l'intimidation. Gad est juif, et alors ? Cela ne nous regarde strictement pas. C'est quoi cet amalgame réducteur ? Nous sommes, à ce que je sache, contre l'État d'Israël, ses politiciens fascistes et leurs exactions sauvages à l'encontre des populations, et non contre les juifs.
Tous les musulmans ne sont pas Ben Laden.
Tous les chrétiens ne sont pas Hitler.
Tous les juifs ne sont pas Sharon.
Notre pays, qui se doit d'être, de par sa toile sociale, le plus tolérant du monde, peut-il succomber si facilement aux sirènes du racisme et se refuser l'honneur d'accueillir sur son territoire un des plus talentueux artistes de sa génération pour la raison la plus sordide qui soit : sa religion ?
C'est d'autant plus grotesque que des dizaines de juifs viennent au Liban chaque année : des politiciens, des touristes anonymes, des universitaires pour des colloques, des médecins pour des congrès, des professionnels de tous bords pour des séminaires et autres foires.
Ces considérations odieuses et même douteuses ôtent à des milliers d'entre nous le droit, la possibilité et donc le plaisir immense d'assister au spectacle de l'humoriste français le plus convoité du moment, que les villes françaises s'arrachent lors de ses tournées et dont les spectacles se jouent à guichets fermés. C'est un camouflet pour la liberté, une gifle pour notre dignité de citoyen  et surtout une immense déception pour nous, qui sommes privés d'une inestimable fenêtre artistique sur le monde.
Beaucoup de familles avaient planifié leurs vacances au Liban en fonction des dates de ce spectacle.
Beaucoup d'enfants avaient refusé la participation à des camps sportifs ou autre activité car cela coïncidait avec ces dates-là.
Beaucoup d'étrangers établis chez nous avaient retardé leur retour au bercail et donc raccourci la durée de leur précieux séjour estival dans leur pays pour être parmi les privilégiés des 13,14 et 15 juillet.
De quel droit prend-on ainsi les familles en otages, otages de la diffamation et de la manipulation de l'image ?
Madame, Monsieur, il est de votre devoir de défendre férocement la présence de Gad Elmaleh au Festival de Beiteddine  et de vous mobiliser bruyamment avec la société civile, les intellectuels et les journalistes pour lui montrer notre profond respect et le persuader de changer d'avis. Car il y va de la crédibilité et de l'image du Liban dans le monde, image déjà fortement écornée, et de sa réputation qui, jusqu'à hier, était celle d'un pays carrefour des civilisations, chantre des libertés et surtout berceau de la tolérance et de l'hospitalité.
Car cet acte d'intimidation et ce rendez-vous manqué avec la joie de vivre et le rire pourraient être le prélude à d'autres dérives et actes d'ostracisme.
Car il en va de notre dignité de citoyen à part entière.
Et surtout, car les rêves et les rires de nos enfants n'ont pas de prix...
C'est avec des sentiments mêlés de dégoût, de rage, de tristesse et surtout d'incrédulité que je vous adresse ce courrier. C'est un SOS, une bouteille lancée à la mer que des milliers de Libanais auraient voulu ou pu écrire à ma place. J'ai décidé de le faire pourtant, au nom de mes enfants, mes enfants...

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