Personne ne comprend pourquoi le Hezbollah, au lendemain pourtant d'un tête-à-tête de quatre heures très positif entre Walid Joumblatt et Hassan Nasrallah, a décidé de s'en prendre à ce point et de cette façon au Festival de Beiteddine. À moins que non. À moins que le parti de Dieu n'ait pas voulu viser en particulier l'une des deux plus grandes manifestations culturelles de l'été, mais qu'il voyait grand, beaucoup plus grand. Extrêmement agacé par les résultats des législatives d'il y a trois semaines, un scrutin dont le résultat ne lui a pas permis, avec l'aide royale du courant de Michel Aoun, de commencer son opération de chirurgie plastique pro bono sur l'identité et le visage du Liban, le Hezbollah a compris qu'il devait s'y prendre autrement. Commencer modestement et puis garder le rythme, espérant atteindre son objectif par des chemins de traverse, des chemins plus longs, parce que plus discrets, des chemins moins radicaux qu'un déclenchement de guerre avec Israël, mais des chemins qui sentent mauvais. C'est-à-dire en souillant et en dynamitant aux yeux de la planète entière l'image d'un Liban qui revit, d'un Liban qui renoue avec une tradition séculaire de cœur battant du tourisme, de la culture, de l'art et de l'entertainment, un Liban-pont entre deux, cinq, mille rives, un Liban heureux, malgré tout, parce qu'amoureux fou de la vie.
L'ultracampagne lancée depuis une semaine par al-Manar est définitivement et éminemment politique.
Cette opération de maculation, même le très sérieux et pourtant très intelligent Nouvel Obs s'est laissé prendre, titrant son information sur l'annulation par l'artiste franco-marocain de ses spectacles à Beiteddine : Le Liban voit en Gad Elmaleh un soldat israélien. Là où le Hezbollah (et avec lui tous les silences, d'où qu'ils viennent et surtout de Rabieh, comme autant de cautions complices) devient scélérat, bien au-delà de ce terrorisme intellectuel qu'il a élevé au rang d'art de régner, bien au-delà de cet antisémitisme, ce racisme fous nés d'une confusion délétère et inadmissible entre judaïté et sionisme, bien au-delà de ce refus de l'autre surtout quand cet autre n'a jamais combattu pour Israël et qu'il est le premier à user et abuser de l'autodérision et de blagues sur ses coreligionnaires, c'est lorsque la formation de Hassan Nasrallah entame avec une férocité inégalée ce processus de régression et de ringardisation absolues du Liban. C'est lorsqu'il fait tout pour suggérer que ce pays ne sera jamais qu'un sale nid d'obscurantismes en tout genre, qu'un repaire pour grand Inquisiteurs en mal de sorcières et de feux de joie sur autant de bûchers, qu'un laboratoire grandeur nature de pensée unique et de lobotomisation (clockwork) orange, qu'un appendice de 10 452 km - pour l'agrandissement d'un ayatollahland où tous les grands frères de Moussavi doivent, eux aussi, être (for)matés.
Il est étonnant, stupéfiant même de voir que les grands cerveaux du Hezbollah, connus, et largement, pour leur intelligence affûtée, n'ont pas encore pris conscience de la force herculéenne d'une société civile libanaise décidément somptueuse. Bien sûr, les zélotes ont gagné cette bataille : craignant, le plus naturellement et le plus légitimement du monde, pour son intégrité physique, Gad Elmaleh ne viendra pas. Mais une chose est claire : un nouveau jihad culturel, une nouvelle fatwa de ce genre, initiés par le Hezbollah ou pas, ne passeront plus.
Il est désolant, enfin, à l'heure où le monde fait tout pour résorber un choc de civilisations à l'échelle planétaire, de voir le Hezbollah s'employer avec une patience infinie à créer, à la toute petite échelle intralibanaise, un mortifère choc des cultures. Plus que jamais, il y a l'urgence d'écouter et surtout d'entendre la voix des Libanais chiites convaincus par la nocuité des options du Hezbollah. Plus que jamais, il est urgent que ces voix se lèvent.