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Liban

Drama queens

Exécrable idéal des années de plomb, celles d'une tutelle syrienne viciée jusque dans ses moindres détails, celle d'une république policière stalino-fascisante lahoudisée jusqu'à la moelle, c'est-à-dire suiviste, annexée, obséquieuse et lâche, Jamil el-Sayyed faisait peine à voir et à entendre en ce 29 avril 2009. Le présumé innocent qui aura sacrément besoin de la protection des FSI (il en sait certainement beaucoup trop) a été immédiatement et littéralement étouffé par le Hezbollah, Mohammad Raad en ange gardien : à l'heure post-assassinat de Imad Moghniyé, cette heure bleue-noire d'une relation salement troublée entre Damas et Téhéran, l'ex-homme lige de la Syrie a été vite, trop vite récupéré - sans même avoir le temps de savourer, à condition naturellement qu'il en ait eu envie, la félicité de sa libération. Peine à voir, donc, mais aussi à entendre : Jamil el-Sayyed gueulait ce qui ressemblait étrangement à un manifeste politique, entre des boulets rouges tirés mécaniquement contre un Samir Geagea autour duquel il avait très patiemment et très méthodiquement tissé le piège de Saydet el-Najat, et une feuille de route aux airs de promesse (à qui ? pour quoi ?) - une promesse, pourtant, qu'il lui sera infiniment impossible de tenir : cet homme n'est plus, ne sera plus jamais le Jamil el-Sayyed qu'il a été, à moins d'une victoire écrasante (plus de 86 députés) du 8 Mars au matin du 8 juin prochain : donc, plus jamais.
Les partisans, ceux absolument convaincus, et ils ont raison, d'avoir été au cœur de l'intifada du Cèdre, son moteur, faisaient aussi peine à voir et à entendre hier. Totalement désenchantés, désabusés, déprimés, ils ne se souviennent que des portraits des quatre généraux brandis durant ces mois bénis de février et de mars et d'avril et de juin et de juillet 2005, levés haut, à s'en péter les tendons. Symboliquement, ce 29 avril ressemblait au dynamitage de tous leurs espoirs. Entendus hier dans les rues, les salons, au téléphone : on va affreusement perdre les élections, il faut partir d'ici, il n'y a plus d'espoir. Et pourtant : si d'aucuns veulent voir en la libération de ces quatre généraux un absolu triomphe, qu'ils ne se leurrent pas : cet acquis vivra le temps d'une rose : quelques matins. Plus encore : cette quadruple libération d'hier devrait être le plus bienvenu des électrochocs pour inciter ces hommes et ces femmes viscéralement attachés à un Liban indépendant et souverain, doté d'un État surpuissant, ouvert au monde, à tous les mondes, aux milices désarmées et aux libertés sanctuarisées, à voter, le 7 juin prochain, pour le Tribunal spécial pour le Liban - des hommes et des femmes qu'un déplacement vers l'isoloir motive décidément de moins en moins.
Pourquoi ? Parce qu'en oubliant de quoi et surtout de qui elle est constituée, l'alliance du 14 Mars a tout de même réussi non seulement à asseoir les douze mille hommes de la Finul au Liban-Sud et donc à enraciner la résolution 1701 de l'ONU, mais aussi à concrètement prouver que le tribunal spécial est tout sauf une chimère. 1701 et TSL : voilà les deux plus grands acquis libanais depuis l'accord de Taëf, infiniment supérieurs à ce plus que fumeux accord de Doha qui a fait son temps, a asséné hier le décidément très surprenant et presque indispensable en ces temps-là Michel Sleiman - un véritable camouflet, de Londres, au Hezbollah et autre CPL jamais à court de fantasmes de putschs (noirs, blancs, gris, peu importe...).
Pathétiques, faisant véritablement peine à voir et à entendre hier, étaient enfin, surtout, ces zélotes du 8 Mars qui, après des mois et des mois d'insultes crachées à la gueule de la justice internationale, après des portes de Conseils des ministres ostentatoirement claquées, après des hurlements de Castafiore hystériques et un interminable Anschluss du centre-ville à coups de mille et une tentes comme autant de murs de Berlin, après un mai 2008 qu'aucun Beyrouthin, aucun habitant de la Montagne n'est près d'oublier, voilà ces zélotes rivalisant de superlatifs et de compliments à l'endroit de cette même justice onusienne, à l'endroit de ce tribunal qu'ils honnissaient il y a quelques heures, qu'ils accusaient de tous les maux - notamment, martelaient-ils, d'être politisé jusqu'à ses moindres recoins. Peine à voir et surtout à entendre, lorsqu'ils se sont déchaînés contre une justice libanaise pourtant largement dé-Addoumisée. Qu'on ne se leurre pas : Saïd Mirza et Sakr Sakr n'auraient jamais pu se permettre le moindre élargissement de leur propre chef, sans une demande plus ou moins discrète de la commission d'enquête internationale, et rarement ministre de la Justice n'aura été aussi convaincant, aussi professionnel qu'Ibrahim Najjar.
La libération des quatre généraux n'avait effectivement ni à être autant pleurée par les uns ni autant célébrée par les autres. Épisode hyperponctuel et absolument pas irréversible dans la longue marche du tribunal, elle est presque, parce que tellement prévisible et tellement prévue (Houssam Houssam se rétractant à Damas : un comble du grotesque), un non-événement. Hormis, bien sûr, sa dimension symbolique, donc éphémère, donc anecdotique.
C'était hier la journée de tous les excès, de toutes les disproportions ; une journée d'hyperboles. Une journée soap opera comme seuls des Orientaux avides de folklores en tout genre savent en fabriquer. Une journée presque Ettore Scola, n'étaient-ce ces deux images d'une force spectaculaire. Celle, d'abord, anonyme, invisible, de cette jeune militante 14 Mars, ses petits poings serrés, son visage un peu blême, petit Poucet sans cailloux, se demandant quoi faire, répétant à quoi bon. Celle, ensuite, publique, surexposée, des épouses et des enfants des quatre généraux, ivres d'un bonheur insondable, comme ressuscités, comme ramenés à la rive. Deux images d'une sincérité absolue ; deux images, encore une fois, éminemment symboliques, donc éphémères, donc anecdotiques.
De ces images, à quelques différences près, les Libanais seront gavés d'ici jusqu'au 7 juin. Un mois et une semaine où les rebondissements, les coups de théâtre de pacotille, les cliffhangers plus ou moins haletants, se multiplieront comme des petits pains. Puis s'oublieront. Seul restera, seul fera la différence, un passage dans l'isoloir le 7 juin. Un vote. Pas pour des hommes, pas pour des femmes, pas pour des bilans, pas pour des programmes, pas pour des alliances, pas pour des crétins, pas pour des moins pires : juste pour la 1701. Et pour... le Tribunal spécial pour le Liban.
Exécrable idéal des années de plomb, celles d'une tutelle syrienne viciée jusque dans ses moindres détails, celle d'une république policière stalino-fascisante lahoudisée jusqu'à la moelle, c'est-à-dire suiviste, annexée, obséquieuse et lâche, Jamil el-Sayyed faisait peine à voir et à entendre...
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