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Nos Lecteurs ont la Parole

Paix et justice : le défi des Libanais

Khalil MECHANTAF
Génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, des termes qui ont émaillé le siècle dernier et qui perdurent. Des tribunaux pénaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ont été créés sous l'égide de l'ONU, et une juridiction permanente a vu le jour, la Cour pénale internationale avec un mandat juridictionnel qui couvre même l'agression, un mot dont la définition fait toujours défaut.
L'élaboration de cette base juridique pénale internationale s'est faite en réaction aux massacres commis au cours du XXe siècle. La Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale, les conflits en ex-Yougoslavie et la guerre au Rwanda ont constitué les épisodes les plus marquants de ce processus. Récemment, le Tribunal spécial pour le Liban fut créé pour connaître des attentats commis contre l'ex-Premier ministre Rafic Hariri et contre de journalistes, ministres et députés. Enfin, un tribunal va pouvoir juger des crimes qualifiés comme terroristes et agressions, une première mondiale. La Cour pénale internationale vient de délivrer aussi un mandat d'arrêt à l'encontre du président soudanais Omar el-Bachir pour crimes de guerres et crimes contre l'humanité contre une importante partie de la population civile au Darfour. Ces événements, en dépit de leur portée sur l'avènement de la justice pour des milliers de victimes, sont loin d'assurer une paix durable dans les zones de conflits. Il importe de marquer l'intersection entre paix et justice dont plusieurs facteurs et joueurs s'entremêlent dans un jeu de tiraillement interminable.
M. Benjamin Ferencz, ancien procureur au tribunal de Nuremberg, considérait qu'« il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de justice sans loi, ni de loi digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider ce qui est juste et légal dans des circonstances données ». Ainsi se trouvaient rappelés les liens complexes, parfois équivoques, que la paix entretient avec la justice, singulièrement la justice pénale.
Si la guerre a été et demeure le théâtre des crimes les plus odieux, une paix durable ne peut être conclue et consolidée que si les auteurs de ces crimes, du dirigeant gouvernemental au simple exécutant, sont susceptibles d'être amenés à rendre compte devant la justice de leurs méfaits. Cette justice présente alors une double vertu : celle de la sanction exemplaire de crimes graves et celle de la dissuasion destinée à prévenir le retour de telles tragédies. Une simple défaillance d'une des deux vertus détruira les efforts de paix, qui devront débuter en parallèle des investigations et des persécutions entamées, alors qu'un retard de l'avènement de la paix affectera à long terme l'aspect dissuasif de la justice pénale. Cette dernière assure une dissuasion qui ne peut devenir durable sans avoir réglé les problèmes qui étaient à la base de la commission des exactions et des crimes graves, et cela ne peut se faire qu'avec un dialogue entre les parties belligérantes sur un système égal de gouvernance où la loi est maître d'orchestre.
L'enquête au Darfour serait presque clôturée maintenant avec le président Omar el-Bachir, requis de paraître devant le procureur de la Cour pénale internationale pour répondre des exactions instruites contre lui. Alors que la justice prend sa voie exacte pour les victimes du Fur, Masalit et Zaghawa, les principales ethnies au Darfour, la paix cependant est loin d'être entamée : les principales sources du conflit, comme la pauvreté, la sécheresse et le pouvoir centralisé, persistent encore toujours. Aucun système de gouvernance garant des droits des minorités n'a vu encore la lumière, et la force commune (Nations unies et Union africaine), disposant d'un équipement militaire ridicule, n'est même pas capable à se défendre contre le régime de Khartoum qui bénéficie toujours du soutien des pays arabes.
Contrairement au Darfour, la justice en ex-Yougoslavie a suivi un chemin différent avec son Tribunal pénal international, le TPIY, qui renforce les efforts de paix dont les grandes lignes ont été définies par les accords de Dayton de 1995, suite à quoi les principaux acteurs du conflit Yougoslave ont opté pour la voie de l'autodétermination comme système de prévention des clivages entre leurs communautés respectives, et ce en découpant l'ex-Yougoslavie en pays indépendants : Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Macédoine et République du Kosovo - l'indépendance de cette dernière n'est pas unanimement reconnue. Ainsi, les efforts de paix et de justice en ex-Yougoslavie, sans noter l'engagement complet de la communauté internationale, s'entremêlent et se complètent afin de sécuriser le climat du Sud-Est européen avec actuellement des pays comme la Croatie et la Macédoine qui ont déposé leurs demandes d'adhésion à l'Union européenne.
En Afrique subsaharienne, les cas transmis à la justice internationale se multiplient avec le Congo, l'Ouganda et la République centrafricaine devant la Cour pénale internationale, ainsi que la tragédie que représente le génocide rwandais de 1994. Mais les efforts de paix dans ces pays ne sont pas clairement définis et les sources des exactions relatives à chacun d'eux, certes tout en soulignant les particularités de chaque conflit, sont loin encore d'être traitées, ce qui pourrait compromettre à long terme l'aspect dissuasif de la justice. Ces pays doivent connaître une vraie transition à la loi démocratique, et tant que la loi de la majorité n'est pas appliquée, comme par exemple au Burundi et au Rwanda, combiné avec des garantis de sécurité pour les minorités, il n'y aura pas de paix et la région des Grands Lacs continuera d'être en danger.
Ces mêmes effets complices de paix et de justice devront affecter la situation au Liban. Comme on l'a signalé, le Tribunal spécial pour le Liban jugera des crimes qualifiés de terrorisme et d'agressions ; des crimes qui ont ébranlé le pays du Cèdre durant les trente dernières années. Cependant, les effets du tribunal en terme de sanctions exemplaires et de capacité de dissuasion ne serviront leurs buts que temporairement tant qu'une vraie transition vers la loi démocratique ne s'est pas produite. Cela impose de traiter d'abord les sources de la crise libanaise, enracinées dans le système de gouvernance où les droits individuels et communautaires n'existent pas. Seuls des groupes confessionnels partagent le pouvoir en excluant l'individu de la scène politique et sociale. Ces groupes confessionnels ne sont liés que par des idées vagues imposées par l'obligation de cohabitation et le renforcement des intérêts privés divergents. Le consensus interrompu, ou la démocratie consensuelle, comme on ne cesse de le répéter, s'avère être le seul moyen de gouvernance. Par conséquence, la vie politique se transforme en un jeu de pression et de corruption exercé par les centres de décision afin de réaliser des gains, économiques ou autres, même si cela mènera, comme on l'a expérimenté, à une guerre sanguinaire contre l'autre. Bref, un processus interlibanais de paix devrait être entamé afin de renforcer les efforts internationaux de justice. La notion d'État et les droits individuels devront prévaloir sur le concept de partage de pouvoir et sur les intérêts privés des groupes confessionnels. La plupart des pays en transition ont réalisé cette combinaison entre paix et justice. Il est temps pour nous de suivre leurs pas.

Khalil MECHANTAF
Génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, des termes qui ont émaillé le siècle dernier et qui perdurent. Des tribunaux pénaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ont été créés sous l'égide de l'ONU, et une juridiction permanente a vu le jour, la Cour pénale internationale avec un mandat...

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